Le Pdg de la Nouvelle société textile sénégalaise revient sur les difficultés qu’ont connues les grandes industries textiles du Sénégal, et donne les perspectives de développement, face à l’arrivée de nouveaux investisseurs.Depuis un certain moment, le Gouvernement du Sénégal semble se vanter de pouvoir, grâce à des investissements chinois, produire des vêtements au Sénégal, notamment dans le parc industriel de Diamniadio. Cela ne constitue-t-il pas une dangereuse concurrence pour vous, surtout si l’on sait que les Chinois sont réputés pour leurs bas coûts de production ?

C’est vrai qu’il avait été annoncé l’arrivée d’investisseurs chinois sur le site de Diamniadio pour y développer une activité dans le domaine de la confection de vêtements. C’est une bonne chose pour notre pays d’accueillir de nouveaux investisseurs dans le secteur du textile, surtout pour y développer des activités tournées vers l’exportation. Je fais partie de ceux qui pensent que notre pays peut développer avec les investisseurs étrangers une véritable plateforme spécialisée dans la fabrication de vêtements, surtout à destination des Etats Unis et de l’Europe. C’est ce que j’avais réussi à réaliser avec Indosen à Louga, en partenariat avec des Malaisiens, des Indiens et des Américains. Malheureusement, ce projet a été cassé comme je l’ai expliqué. Je viens de créer avec un Groupe marocain une nouvelle société dénommée Comaset (Compagnie maroco sénégalaise de textile) spécialisée dans la confection. Nous prévoyons le lancement de nos activités de production en 2018 avec à la clé, la création de 300 emplois dans la confection pour un investissement de 1,5 milliards cfa. De nouvelles implantations ne peuvent constituer une concurrence pour nous, au contraire elles ouvrent des opportunités de développer de nouveaux produits pour les industries de filature, de tissage et de teinture. Cependant concernant le projet chinois annoncé, c’est le niveau d’investissements et le nombre d’emplois qui sera créé qui me choque, 25 millions de dollars d’investissements pour 1000 emplois dans le secteur de la confection de vêtements où l’on ne vend que des minutes, dès lors que tous les supports et les accessoires sont importés, me pose problème. Je m’interroge sérieusement sur la justification financière, la viabilité et la pertinence de l’investissement annoncé, mais j’attends de voir.

L’actualité dans le monde du textile est aussi dominée par la marche dernièrement des travailleurs de Sotiba, qui s’en sont pris au dernier repreneur. Que vous inspire cette situation, vous qui connaissez très bien l’usine de Kahone ?
C’est un dossier très complexe et pour comprendre le problème et les sorties de ces travailleurs, permettez-moi de rappeler des faits importants. En 2005, le Gouvernement, prétextant une restructuration industrielle visant une intégration des activités de la Sotiba et de la Sotexka sur le site de la Sotexka à Kahone, avait résilié de manière brutale et illégale le contrat de location gérance des usines de la Sotexka signée avec la Nsts. Après avoir expulsé manu militari la Nsts de l’usine de Kahone, il installa sous escorte des gendarmes, un premier repreneur du nom de Jean Marc Secondi, qui exploitait la Sotiba à l’époque. Une société dénommée Politexka fut créée à cette occasion. Les équipements de la Sotiba furent transférés à Kahone avec une partie du personnel. Les activités de la Sotiba à Dakar cessèrent totalement et ce fut le début du massacre industriel le plus gros que le Sénégal ait connu. Secondi, après avoir vendu le patrimoine foncier de la Sotiba sur la Route de Rufisque et encaissé des fonds publics, a pris la fuite, laissant le vieux matériel de la Sotiba sur le site de Kahone. La restructuration annoncée en grande pompe par le Ministre de l’industrie de l’époque, Ousmane Ngom, pour justifier la reprise par l’Etat des usines de la Sotexka n’a pas eu lieu. Ce fut un échec total.

En quoi cela explique-t-il le mécontentement des ouvriers aujourd’hui ?
Parce que cela a conduit aujourd’hui à un imbroglio juridique extraordinaire, avec l’ouverture de plusieurs contentieux, notamment avec les travailleurs, avec le Groupe Nsts, avec les fournisseurs d’équipements. On a assisté au démantèlement de la Sotiba, au bradage de son patrimoine foncier et à la paralysie totale des usines de la Sotexka. Bref, on a assisté à un désastre industriel, financier et social. Le scandale était tellement gros que l’ancien Ministre de l’Industrie Ousmane Ngom, interpellé à l’Assemblée nationale sur le sujet, déclarait que Secondi faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international lancé par le Sénégal. Pourtant depuis lors, il se balade à travers le monde. Je m’étais élevé contre cette opération et, dans un interview paru dans la presse en 2010, je disais ceci : «Dire qu’on va intégrer les activités de la Sotiba et de la Sotexka relève de la tromperie vu la configuration des deux outils, et la reprise des usines de la Sotexka au Groupe Nsts cache une vaste opération de spéculation foncière». L’histoire m’a donné totalement raison.

Mais comment le deuxième repreneur s’est retrouvé alors dans ce dossier?
Vous allez comprendre, je n’ai pas fini avec les faits. Après le départ de Secondi, l’Etat décide en 2010, de confier les usines de la Sotexka à un deuxième repreneur, en l’occurrence M. Serigne Mboup. Cette nouvelle reprise s’organise dans le cadre d’une convention signée avec une structure dénommée Domitexta Saloum. Très sincèrement, je n’ai jamais compris la nature de cette cession, au vu des documents que j’ai pu consulter et des déclarations de M. Serigne Mboup lui-même. En effet, Serigne Mboup déclarait que le repreneur technique, c’est les travailleurs, et lui était le repreneur financier. Il disait aussi que l’Etat doit lui donner un terrain. La convention liant Politexka et l’Etat que j’ai consulté, n’avait aucun fondement juridique valable, car il faut le rappeler, la Sotexka est une société anonyme à capitaux publics majoritaires, et ses usines ne pouvaient pas être transférées dans les formes et conditions qui ont permis à Secondi et Serigne Mboup d’en prendre possession. Les dispositions réglementaires et légales en matière de transmission d’entreprise n’ont pas été respectées dans les deux cas. Aussi, Je n’ai jamais vu un document traitant des questions industrielles liées à la fusion de ces deux outils, ni entendu parler d’un projet industriel. Les travailleurs ont été totalement abusés. Compte tenu de tout cela, on est en droit d’affirmer que derrière ces montages, il n’y avait aucun projet industriel sérieux. Et plus grave encore, l’Etat avait transféré de manière illégale, à ces soi-disant repreneurs, tous les investissements de plusieurs milliards que le Groupe Nsts a réalisés entre 1997 et 2005 dans les usines de la Sotexka.

Mais pourquoi les travailleurs de la Sotiba s’en prennent alors exclusivement à Serigne Mboup ?
Comme le Groupe Nsts, les travailleurs de la Sotiba sont victimes de cette mascarade industrielle, foncière et financière orchestrée à l’époque au plus haut niveau de l’Etat sous le prétexte fallacieux d’opérer une fusion des activités de la Sotiba et celles de la Sotexka. Le problème de la Sotiba n’est qu’un aspect de cet énorme scandale. Il s’est agit d’un grand crime économique et industriel organisé.

Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer cela ?
Sur la Route de Rufisque, il n’y a plus d’industrie textile, le patrimoine industriel de la Sotiba a été détruit, les terrains ont été vendus, A Kahone, les travailleurs de la Sotiba, dans le cadre de Domitexka, travaillent par intermittence, avec les vieux équipements de la Sotiba pour produire le tissu teint appelé «Guinée», sur un support importé. Ils se démerdent avec beaucoup d’ingéniosité pour maintenir en vie cette activité. Par contre, les anciens travailleurs de la Sotexka sont au chômage, et les machines de cette entreprise sont à l’arrêt depuis le départ de la Nsts. A Louga, c’est le désastre, tout est à refaire.

A vous entendre, Serigne Mboup semble être entré dans une affaire qui le dépasse
La responsabilité de cette crise va au delà de la personne de Serigne Mboup. C’est tout un système qui fonctionnait avec l’ancien régime ayant mis à terre la Sotiba, la Sotexka et la Nsts, qui se dévoile. Un énorme crime industriel quand on sait ce que représentaient la Sotiba, la Nsts, la Sotexka, pour notre pays et le savoir-faire exceptionnel de leurs travailleurs. M. Serigne Mboup en a été un acteur en un instant T. Il a été installé par l’ancien régime dans cette affaire, forcément, il a une part de responsabilité et des obligations qui lui incombent, même si dans le fond, les actes administratifs qui fondent son installation dans ces usines sont contestables.

Quand votre société Indosen avait été expropriée de la Sotexka, elle réclamait plusieurs milliards de dédommagement à l‘Etat. Où en êtes vous avec ce contentieux ?
Effectivement, la Nsts et sa filiale Indosen ont été expropriées de tous leurs biens représentés par les investissements réalisés entre 1997 et 2005. Une procédure judiciaire avait été engagée contre l’Etat et la Sotexka. En effet, après le départ de la Nsts des usines de la Sotexka en 2005, ses équipements, ont été mis aussi à la disposition des différents repreneurs sans que la Nsts ne soit remboursée des investissements réalisés, ni indemnisée du préjudice subi dans le cadre de la rupture abusive de son contrat. Aujourd’hui, par exemple, l’usine de Louga où avaient été installées plus de 200 machines de confection et divers équipements neufs sur financement Pnc Bank Usa, a été vidée. Il ne reste plus rien. C’est extrêmement grave, ce qui s’est passé après notre départ de ces usines. En 2015, Il a été mis fin au contentieux judiciaire avec la signature d’un premier protocole avec l’Etat. Il a été convenu d’un règlement amiable de ce contentieux. Le Gouvernement actuel qui a hérité de ce dossier, a pris les choses en main sur les directives du Président Macky Sall. Nous y travaillons avec le Gouvernement, pour mettre définitivement un terme à ce contentieux qui traine depuis 12 ans. Je garde confiance.

A Thiès, la Nsts a bénéficié d’un concours de la Bnde. Mais il semblerait que l’usine ne tourne encore qu’au ralenti. Y’aurait-il eu de nouvelles difficultés inattendues dans ce dossier ?
Il faudrait d’abord rappeler que la Nsts a failli être victime de cette boulimie foncière dont nous avons parlé plus haut, c’est le Président Macky Sall qui a mis un terme à ce processus en 2015. C’est cela qui a permis la reprise de nos activités industrielles à Thiès. Effectivement l’intervention de l’Etat, la Bnde et le Fongip a été décisive dans la relance des activités industrielles sur le site de Thiès. La relance a été une réussite. Nous avons réussi à relancer la filature de la Ftt et nous sommes en train de travailler pour la relance du tissage, dont les investissements sont très lourds. Certes, il y a des difficultés de mobilisation des financements nécessaires, mais nous gardons confiance car nous travaillons avec le Gouvernement pour lever les contraintes qui limitent nos capacités de financement, notamment celles liées au contentieux Sotexka. Le Gouvernement a désigné un cabinet d’expertise qui est en train d’évaluer nos investissements au niveau de la Sotexka pour qu’enfin, les comptes de la Nsts puissent être assainis. Ce qui est inattendu dans cette relance, c’est le temps mis pour régler ce contentieux qui plombe aussi les comptes de la Nsts, et en conséquence retarde le démarrage du tissage qui devrait permettre à la Nsts de tourner avec un effectif de 435 personnes minimum au lieu de 160 personnes qui ont été déjà intégrées.

Quels sont pour vous, les enjeux du textile au Sénégal actuellement ? Cette filière a t-elle encore un avenir dans notre pays ?
Vous savez, il y’a une volonté forte exprimée au plus haut niveau de l’Etat pour relancer l’industrie textile. C’est très important et incontestable. Aussi, travailler à développer l’industrie textile dans notre pays producteur de coton se comprend parfaitement dans le cadre d’une politique de transformation structurelle de notre économie. Cela relève même de l’évidence au point de vue stratégique. Aussi, l’époque où l’on mettait à terre les industries pour s’approprier de leurs terres est révolue avec le Président Macky Sall. Toutefois, la mise en œuvre d’importants programmes de restructuration industrielle et financière est nécessaire pour la relance de l’industrie textile de notre pays. Mais au préalable, il faudra régler tous les problèmes juridiques et les contentieux qui se posent au niveau de certaines entreprises comme la Sotexka et la Sotiba. L’assainissement de la situation de ces entreprises sur le plan juridique et financier est essentiel et constitue un préalable à toute opération de relance ou de cession.

A quels problèmes juridiques vous faites allusion ?
Par exemple, les travailleurs de la Sotiba demandent que le décret signé par le Président Wade en faveur de Serigne Mboup soit annulé. Personnellement, je n’ai pas connaissance des termes du décret. Cependant s’il porte sur la cession des usines de la Sotexka qui, jusqu’à preuve du contraire est toujours une société anonyme à capitaux publics majoritaires, ce décret n’est pas régulier et peut être rapporté donc annulé pour reprendre les termes des travailleurs. Mais s’il porte sur les terrains sur lesquels sont édifiées les usines de la Sotexka, c’est une autre affaire, car le Président Abdoulaye Wade avait les pouvoirs de céder à Serigne Mboup les terrains du domaine national qui portent les usines de la Sotexka. C’est légal mais incompréhensible car, il poserait un problème sérieux dans le cadre d’une restructuration de la Sotexka. Ceci étant dit, Il faudra aussi régler le problème du financement de ces programmes de restructuration car des moyens financiers importants sont nécessaires. Il reste entendu, que la conduite d’opérations de restructuration industrielle d’envergure, requiert un professionnalisme et des compétences réelles dans le domaine du textile, qui hélas n’avaient pas été pris en compte dans les cas de reprise que nous avons évoqués plus haut. Le Gouvernement actuel est en train de remettre de l’ordre dans le secteur et J’espère que pour l’avenir, il sera plus attentif à ces considérations. La filière textile a un avenir et offre un potentiel de croissance et de création d’emplois important pour notre pays, pour autant qu’on s’attaque aux problèmes des entreprises et qu’on règle aussi les problèmes d’ordre structurel qui freinent son développement et l’arrivée de nouveaux investisseurs. C’est tout le sens de mon combat.

mgueye@lequotidien.sn