Tel un tourbillon qui revient toujours à son point de départ, l’histoire politique du Mali est parsemée d’une spirale infernale de coups d’Etat. Est-ce une fatalité qui condamne le Peuple malien à un éternel refrain de son histoire ? Les sanctions conjoncturelles prises par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à l’encontre du Mali feront elles long feu face à une junte soutenue par une grande marge de la population ? La Cedeao est-elle sous la coupe de puissances néocoloniales qui déroulent leurs agendas aux dépens de la stabilité des Etats ouest-africains ? Le coup de force des hommes de Assimi Goïta a-t-il fait des émules dans la sous-région ? Assiste-t-on au crépuscule de la France-Afrique et quels enseignements en tirer ?
Autant de questions que de réponses face à cette valse de putschs militaires qui font couler tant d’encre et de salive. Dès lors, une analyse décomplexée, prospective et constructive s’avère opportune afin de cerner les contours de ces événements dignes d’un «printemps subsaharien2».

A l’origine, les découpages coloniaux !
«Aucune frontière n’est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi», disait Laurent Gaudé. Nul ne peut mesurer à quel point nos frontières sont éloignées de nos réalités et par conséquent dangereuses pour la stabilité de nos Etats. Historiquement, le poète Président Léopold Sédar Senghor parlait de balkanisation des terres africaines suite au découpage colonial. En vérité, le cancer de la colonisation manifeste toujours ses symptômes. Des populations se sont retrouvées dispersées dans des Etats tandis que d’autres, qui n’ont aucune affinité sociale, se sont vues encerclées à l’intérieur des frontières d’un même Etat. Le diagnostic du plus vaste Etat ouest-africain, le Mali, montre à lui seul le fond du problème. De vastes terres riches en ressources (bauxite, or, fer, etc.) dont la plupart sont exploitées par des groupes armés, notamment dans le Nord-est et dans le Sud-est. Un Etat central dont l’autorité couvre à peine la moitié du territoire national sans oublier la résurgence des conflits ethnico-identitaires entre Dogons et Peulhs ; bref, tous les ingrédients d’un Etat défaillant sous l’emprise de menaces hybrides (terrorisme, trafics en tous genres, etc.). Tombouctou, la ville des 333 saints, considérée comme la perle du désert malien, en est une illustration parfaite. La routinisation de la conflictualité dans cette région, alimentée par des frictions communautaires, est l’un des plus grands défis de la junte militaire au pouvoir.

La Cedeao de «Paris» en échec !
«Lorsqu’un parent punit son enfant, quelle que soit la faute, il ne lui coupe pas les vivres et ne lui ferme la porte de la maison !»
Il est bien heureux de constater que, récemment, l’Uemoa3 a rectifié le tir en annonçant la suspension de ses sanctions contre le Mali. De son côté, la Cedeao, voyant que son bras de fer avec la junte malienne se retourne contre elle, est en train de revoir sa copie. Par ailleurs, le discours séculier sur la France-Afrique est en perte de vitesse. A vrai dire, la «realpolitik» extérieure française est dans l’égarement. Jamais la France n’a été si impopulaire dans ses anciennes colonies. Ni la restitution des objets d’art volés à des pays africains, ni l’augmentation de l’aide au développement, ni la reconnaissance publique des «échecs» de la France pendant le génocide rwandais de 1994 n’ont suffi à endiguer les vagues de manifestations contre la France sous Emmanuel Macron. D’ailleurs, deux des putschs militaires (Mali et Burkina Faso) se sont orchestrés sous les yeux de troupes militaires françaises qui opéraient sur place. Or, les instigateurs de ces coups de force ont, la plupart, fait leur formation militaire en France. Cela démontre que ces élèves n’ont pas demandé la permission de leurs «maîtres» pour perpétrer leurs actes. Quant aux populations, elles y voient un gage de retour à la souveraineté. Et au-delà, c’est une guerre d’influence russo-française qui s’opère à nouveau dans la sous-région ouest-africaine. C’est le moment ! Oui le moment de changer de cap ! Il est temps de diversifier les partenaires diplomatiques, économiques et militaires. Tout en gardant à l’esprit qu’il ne s’agit pas de remplacer «un maître» par un autre mais plutôt de tisser des rapports respectueux et dignes avec le monde occidental.

La peur a changé de camp !
«Nous sommes en train de vivre la fin de l’hégémonie occidentale dans le monde4», reconnaît le Président français Emmanuel Macron à son corps défendant. Les militaires qui sont arrivés au pouvoir dans ces trois pays se reposent sur les lauriers de chefs d’Etat élus au suffrage universel direct. Aussi inhabituel soit-il, ce sont des officiers qui décident de rejeter toute la politique de la gouvernance administrative et sécuritaire imposée à leurs dirigeants civils au mépris des sanctions de la Cedeao et de la France. Autre fait inhabituel aussi, des pays africains tels que la Mauritanie et la Guinée signent des accords avec le Mali permettant ainsi à ce dernier de contourner les ports de Dakar et d’Abidjan. De plus, les officiers maliens s’engagent à reconquérir les «no man land» qui gangrènent la sécurité nationale. Il est clair que la Cedeao et la France se sont ensablées dans le désert sahélo-saharien. Sans doute, il l’a compris à ses dépens, le président en exercice de l’Union africaine, Monsieur Macky Sall, prône une solution négociée pour une sortie de crise. Au final, les djihadistes auront, sans l’avoir programmé, donner une autre occasion aux peuples du Sahel d’enterrer la «France-Afrique». Pendant ce temps, les putschistes ont tourné leur gouvernail vers d’autres horizons et prennent toute la mesure des attentes des populations.

Après la guerre, sortir de la pensée unique !
«Il faut choisir entre le champagne pour certains ou l’eau potable pour tous», disait Thomas Sankara. Inutile de réinventer la machine, ni de pérorer sur les différents modèles économiques. En vérité, l’organisation d’élections démocratiques n’est pas une panacée et les remèdes traditionnels (élections et aide au développement) n’ont pu rien faire face à la détérioration de la gouvernance publique. En réalité, les populations africaines l’ont compris : démocratie ne rime pas forcément avec développement. L’importation de la démocratie et le copiage institutionnel qui s’en est suivi sont tombés en désuétude. L’essentiel est de sortir des dogmes. De s’attaquer aux vrais problèmes des populations tout en faisant froidement le tri dans les connaissances livresques et les modèles proposés afin d’appliquer les solutions idoines. Sans mimétisme, mais avec pragmatisme. Il n’est pas question, au travers de ces lignes, d’encourager les militaires à renverser des gouvernements élus. Mais il est question de refonder notre modèle de gouvernance ! Le train du changement de paradigme a pris son départ et roule à vive allure. Et si les élites politiques civiles n’en prennent pas acte, alors, elles subiront les bourrasques impétueuses du réveil des masses africaines !

Papa Amadou NGOM
Chercheur, juriste/politiste
2 Par analogie aux vagues de contestations populaires dans les pays arabes à partir de décembre 2010.
3 Union Economique et monétaire des Etats Ouest africains.
4 Extrait du discours de Emmanuel Macron à la Conférence des Ambassadeurs de France de 2021