Idrissa Diabira annonce que le Covid-19 a négativement impacté plus de 90% des entreprises. Le directeur général de l’Agence de développement des Petites et moyennes entreprises (Adepme) milite pour une sanctuarisation du temps de la justice qui est un pilier de la démocratie. Dans cet entretien, ce membre de la Task force républicaine fustige l’attitude de défiance de Ousmane Sonko à l’égard de la justice et estime que ceux qui profitent des derniers événements pour nier les réalisations effectuées depuis 2012 sont «dans la démagogie la plus totale». M. Diabira reste d’avis que son leader, Macky Sall, sait particulièrement ceux qui sont à ses côtés dans les moments d’adversité.

Le Covid-19 continue sa propagation, après un an de prévalence. Que retenir de son impact sur les Pme ?
Vous voyez, à force de parler de faits divers, on en oublie l’essentiel. Le Covid-19, c’est déjà plus de 1 000 morts au Sénégal. Dans le monde entier, ce sont des millions de morts et d’êtres chers arrachés à notre affection. Le Covid-19, c’est l’une des pires crises sanitaires depuis des décennies et une crise économique sans précédent dont on constate chaque jour les terribles dégâts.
L’Adepme, avec la participation de l’ensemble des acteurs du dispositif d’appui et notamment les chambres consulaires, a réalisé une vaste enquête – Aar sunu kom kom – au moment de la première période de couvre-feu et son impact sur les Pme. Les résultats relayés par la presse sont terribles pour les Pme et l’emploi, et sont plus que jamais d’actualité. Ainsi, plus de 90% des entreprises sont négativement impactées. C’est plus de 60% des entreprises qui ont perdu de 60 à 100% de leurs chiffres d’affaires. C’est autant qui ont pratiquement cessé leurs activités. C’est un secteur informel, la réalité de notre économie, 97% des entreprises, à terre et donc celles et ceux qui en vivent qui ne trouvent plus de quoi faire bouillir la marmite. Ce sont là quelques effets de la fermeture des aéroports, la restriction des déplacements, de l’absence de touristes ou de la raréfaction des transferts de la diaspora sur l’économie.
L’impact de cette crise est encore incalculable. Les analystes empruntent même une expression bien connue des économistes pour décrire la difficulté de la situation que nous vivons en parlant de «triangle d’impossibilité». Cette expression permet de penser l’extrême difficulté de la gestion publique de la pandémie, car cette difficulté peut également se penser comme un «trilemme». Il s’agit d’atteindre trois objectifs simultanément : 1) maîtriser de manière optimale la pandémie sur le plan sanitaire, 2) assurer le statu quo en matière économique et 3) garantir le plus grand respect des libertés publiques et individuelles.
Or l’atteinte de ces trois objectifs en même temps est quasi-impossible. Je vous invite à suivre la situation dans les pays du monde entier, ceux d’Europe, notamment. Ceux qui profitent de cette terrible situation pour appeler à jeter le bébé et l’eau du bain, et à nier tout ce qui a été fait depuis 2012 comme base d’un nouveau modèle social sénégalais sont dans la démagogie la plus totale. Aucune gestion ne saurait être exempte de critiques. C‘est tout à fait normal en démocratie, mais le patriotisme se mesure aussi dans l’attitude face à la menace de la patrie et pas uniquement à l’agenda des prochaines élections.
Qu’est-ce que l’Adepme a fait en direction des Pme pour les aider à faire face à l’impact du Covid-19 ?
Alors, l’Adepme est un maillon de la chaîne des acteurs qui interviennent à son échelle avec une certaine efficacité. L’enquête révélait d’ailleurs que parmi les 44% de Pme ayant bénéficié d’un accompagnement de l’Adepme et du dispositif d’appui, 78% estimaient qu’elle avait répondu à leurs attentes. Cela tord encore une fois le cou à l’idée répandue que tout est à jeter.
Nous avons donc d’abord été à l’écoute avec cette initiative «Aar sunu kom kom» avec une permanence, un chatbot, des webinaires de formation et une hotline afin de conseiller, assister et aussi compatir. Lorsque l’on perd tout, rien n’est plus important que d’avoir une oreille à qui se confier.
Nous avons ensuite convaincu nos partenaires techniques et financiers de réorienter une partie des ressources disponibles pour aider les entreprises en difficultés que nous suivions. En 2020, c’est plus de 50% de Pme bénéficiaires d’un service de l’Adepme qui ont pu bénéficier d’un accompagnement dans le cadre du Covid-19, notamment par de l’information ciblée ou du conseil. Et c’est 10%, soit près de 500 entreprises, qui ont bénéficié d’appui  pour leurs besoins en trésorerie ou pour des services participant à la lutte contre la propagation du Covid-19.
L’appui le plus symbolique étant certainement les acteurs de la filière textile et habillement. Je veux particulièrement saluer la Fédération nationale des professionnels de l’habillement (Fenaph) qui a pu mobiliser ses membres, grandes entreprises comme ateliers de tailleurs dans les différentes régions, pour confectionner des masques, grâce à l’appui des partenaires, et les remettre gracieusement  comme apport à l’effort de guerre contre le Covid-19 aux gouverneurs de 10 régions.  Ce n’est pas moins de 400 mille masques qui ont pu ainsi être confectionnés et surtout permettre à ceux qui les ont confectionnés de vivre du fruit de leur travail. Enfin, nous avons produit un modèle, à petite échelle certes, mais qui nous semble pertinent pour aider les Pme en difficultés, mais aussi pour préparer une relance plus vigoureuse grâce à elles.
Peut-on avoir une idée des futurs chantiers de l’Adepme face à la nouvelle réalité que la pandémie a fini d’instaurer ?
L’Adepme se positionne comme un tiers de confiance dans l’écosystème entrepreneurial parce que ce qui manque le plus, c’est la confiance entre les acteurs, notamment entre les entrepreneurs et le secteur financier du fait de l’absence d’informations fiables produites. Et comme je le dis souvent, s’il n’y a pas de confiance, personne ne vous confiera son argent, car il ne vous connaît pas. Et la connaissance d’une Pme, ce sont des états financiers fiables et disponibles.
L’Adepme a su élaborer une démarche, mais des outils surtout en matière de profilage du risque, de notation des entreprises, ainsi à notre plateforme initiale – eRating – pour les entreprises formelles soumises au système normal. D’après le Système de comptabilité ouest africain (Syscoa), nous avons développé pour les Pme informelles, les entreprenants ayant un chiffre d’affaires inférieur à 60 millions de francs Cfa, une plateforme pour permettre de générer des états financiers simplifiés pour celles qui sont au Système minimal de trésorerie (Smt). Ces deux plateformes, associées au guichet unique que nous mettons en place dans le cadre du Compact with Africa avec l’Allemagne, sont une véritable révolution, car jusqu’ici nous peinions à suivre les Pme qui disposaient d’un appui financier ou non-financier et ainsi mesurer leur évolution dans le temps. Ces outils  vont nous permettre d’y remédier. La relance a ainsi inscrit le passage à l’universel de ce que nous faisons à petite échelle, c’est le scoring universel. Il vise à fournir à 50 mille Pme leur carnet de santé financier. Jusqu’ici, chacun se rend à la pharmacie sans ordonnance et sans vraiment connaître la raison de son mal de tête. Tout le monde demande le financement, mais il en existe de multiples et pour de multiples usages. Par exemple, renforcer ses fonds propres, ce n’est pas la même chose que financer son besoin en fonds de roulement.
Le scoring universel permettra à chacun de savoir ce qu’il a vraiment et, grâce aux différents outils et services disponibles, de prendre le bon médicament. Là aussi, permettez-moi de dire que le nihilisme ne tient pas une seconde. Il suffit ainsi de se référer aux recommandations issues de la deuxième Concertation nationale sur le crédit en 2010. Chacun appréciera alors les outils et mécanismes que l’ensemble des acteurs appelait de ses vœux, notamment le scoring, la garantie, le capital investissement.  Le défi est de rendre plus cohérent, lisible et efficace le dispositif d’appui, mais l’ensemble des ingrédients est disponible.
Le président de la République, répondant aux revendications de la jeunesse, a décidé de lancer, au lendemain des derniers événements, un nouveau programme de 350 milliards de francs pour plus de pragmatisme dans les politiques d’emploi des jeunes couvrant la période 2021- 2023. Que faut-il faire pour éviter de répéter les erreurs du passé ?
Il a compris le désarroi de la jeunesse et la profondeur de sa souffrance à l’issue de cette crise et, au-delà du montant, le Président Macky Sall a évoqué plusieurs mesures très importantes comme la levée du couvre-feu, ce mal-nécessaire dont on sait l’impact très négatif sur l’économie, la mobilisation générale du secteur privé, l’accélération de la formation professionnelle et duale dans les 45 départements et en effet ce nouveau programme.
La plus grosse erreur serait de considérer qu’un seul mécanisme ou qu’une seule catégorie d’acteurs, en l’occurrence les structures publiques, peut relever, à elle seule, le défi de l’emploi et de celui des jeunes en particulier. Feu Mansour Kama, l’emblématique figure du secteur privé et président de la Cnes, que Dieu l’accueille au Paradis, me disait lors d’une séance de travail l’an dernier : «Vous, l’Etat, avez le chic pour confisquer les mesures ou services que nous, le secteur privé, avons réclamés. Tant et si bien l’on oublie que nous en avons été les initiateurs.» M. Kama faisait référence aux discussions de la fin des années 1990 entre l’Etat et le secteur privé ayant notamment abouti à la création des structures d’accompagnement.
Le secteur privé, les chambres consulaires et sa synergie avec le dispositif d’accompagnement doivent être la clé de voûte du mécanisme. C’est ce que je comprends de l’appel à la mobilisation générale du chef de l’Etat.
Ayons à l’esprit que 350 mille jeunes arrivent chaque année sur le marché de l’emploi. C’est énormissime. Certains estimaient trop ambitieux l’objectif de 500 mille emplois lors du premier septennat de Macky Sall. En 2019, le chef de l’Etat s’est engagé, en connaissance de cause, sur un million d’emplois à créer avant que la crise Covid-19 ne vienne sévir. Malgré cela, nous devons trouver les moyens d’y parvenir et au-delà. Et le principal défi pour en créer massivement réside d’une part dans la productivité des entreprises formelles et informelles, et d’autre part dans la création massive de nouvelles entreprises compétitives.
Nos échantillons nous montrent qu’en moyenne c’est 3 emplois durables qui sont créés par entreprise formalisée et 10 environ par entreprise dont la compétitivité est renforcée en particulier à l’export ou dans la sous-traitance.
Adji Sarr a évoqué devant la presse l’affaire qui l’oppose à Ousmane Sonko. Il y a eu aussi des manifestations qui ont secoué le pays ces derniers jours. Que pensez-vous de tout cela ?
C’est justement l’absolue nécessité que la justice puisse être dite et qu’elle départage enfin les protagonistes qui ont chacun sa version, car l’affaire vire au sordide. Or elle ne peut se régler ni dans la rue ni sur les réseaux sociaux. C’est inimaginable pour un pays démocratique comme le Sénégal.
Quels que puissent être les griefs ou les doutes, il faut bien s’en référer à une tierce partie pour tirer les choses au clair. Seule la justice a cette prérogative. En la lui déniant, c’est l’Etat que l’on abîme et la stabilité que l’on menace. Et même avec ses imperfections, elle est préférable à un état de nature régi par la violence.
Etes-vous d’avis que Adji Sarr, en parlant comme elle l’a fait la dernière fois, a violé le secret de l’instruction, en tant qu’une des parties prenantes dans ce dossier ?
Je n’ai pas d’avis à ce propos. Je constate pour m’en désoler que l’on veuille régler cette question hors de tout cadre normalisé comme dans une mauvaise télé-réalité. Cette affaire est sérieuse, elle touche à l’intimité de deux individus bénéficiant, tous deux, de la présomption d’innocence. Chacun tente de convaincre le Peuple par média interposé depuis que la thèse du complot a été brandie par Ousmane Sonko. Encore une fois, seule l’instruction judiciaire peut déterminer la vérité des faits, dire le droit et départager Adji Sarr et Ousmane Sonko.
Lors des dernières manifestations, on a vu que le président de la République était vraiment esseulé. La majorité n’a-t-elle pas manqué de courage pour le défendre suffisamment ?
Cette appréciation n’engage que ceux qui la font. Le chef de l’Etat dispose d’un appareil, l’Apr, et de la plus large coalition depuis l’indépendance, Benno bokk yaakaar. Les deux sont indéfectiblement engagées à ses côtés. Le Président Macky Sall sait surtout ceux qui, dans l’adversité, sont à ses côtés.
Mais l’opinion et la presse n’ont pas senti la réaction qui sied de la part de ceux qui se considèrent comme les plus fidèles parmi les fidèles du Président Macky Sall…
Le silence est, selon moi, plus que relatif, mais il tient surtout à la sidération et à la surprise totale devant une affaire d’ordre privé d’une telle ampleur sur laquelle il aurait été très malvenu de réagir.
Le khalife général des Mourides, en tant que médiateur, est en passe de réussir sa mission. Quelle appréciation faites-vous de sa démarche ?
Il traduit toute la grandeur et la spécificité du Sénégal. Le pays dispose d’autorités remarquables et respectées, en particulier celles religieuses, qui participent à la paix, la stabilité et la concorde. Je salue et magnifie leurs rôles et leurs interventions. Le chef de l’Etat l’indiquait dans son adresse le 8 mars : «Le Sénégal est une même famille unie par des liens multiples de cousinage, de sang, de parenté.» Or c’est bien cela l’élément fondamental, malgré les inévitables divergences. Les doigts d’une main sont différents, mais c’est précisément cette différence qui en fait toute la beauté et l’harmonie. Le Sénégal est riche de sa diversité. Mais c’est en s’assumant et en acceptant l’autre que l’on devient plus fort. C’est précisément l’invite du patriarche Amadou Makhtar Mbow, autre identité remarquable : «Quoi qu’il puisse arriver, soyez vous-mêmes. Soyez fidèles à votre famille, soyez fidèles à votre pays, le Sénégal ! Nous pouvons devenir un grand pays si nous savons nous unir pour agir pour l’intérêt de notre pays…» Il célébrait ses 100 ans le 20 mars dernier, et le monde entier a salué sa grandeur et son apport à l’universalité et à la dignité de l’Afrique.
L’éventuelle libération des détenus considérés par l’opposition comme des otages politiques et réclamée par le Mouvement pour la défense de la démocratie ne va-t-elle pas signifier une reculade de la part de l’Etat ?
Je considère qu’il faut rester sur l’ordre des principes et de la cohérence, sinon vous tombez précisément dans ce que vous dénoncez : l’imbrication du Judiciaire, de l’Exécutif et du Législatif. A la faveur de la dimension politique, vous faites ainsi sauter toutes les digues. Le temps de la justice est un temps qui doit être sanctuarisé, parce qu’il  est un pilier  de la démocratie. Dans ce temps, il existe des modalités d’aménagement propres à la justice, à elle de le dire. Comme dans le temps législatif, il existe des dispositions, une fois la justice prononcée, d’aborder les lois dédiées comme celles d’amnistie. Mais le danger et l’incohérence seraient de mettre la charrue avant les bœufs, l’amnistie sans la justice.
Dans ses revendications, Ousmane Sonko exige la tenue des élections locales. Il met ainsi la pression sur le Président Macky Sall. Partagez-vous sa position ou bien le moment n’est pas opportun pour poser une telle revendication ?
Ousmane Sonko refuse d’un côté toute autorité et toute marque de respect aux institutions de la République comme celle de la justice et de l’autre il exige. Cette fois-ci, il est au moins cohérent avec lui-même. Malheureusement pour lui la démocratie ne fonctionne pas ainsi. Nos anciens nous enseignaient que le respect peut tout conquérir, il élève ; contrairement à l’irrespect.
J’ai apprécié la hauteur d’un Brahim Seck du Forum civil qui non seulement a dit très tôt que maintenir les mots d’ordre de manifester n’était pas responsable, et de l’autre que les élections locales représentaient des modalités de respiration démocratique. Il faut entendre tout en sachant à ce propos qu’un cadre de discussion, en l’occurrence le dialogue national, œuvre notamment aux modalités de la tenue des prochains rendez-vous électoraux, car il est aisé d’exiger la tenue immédiate d’élections, mais il serait aussi bienvenu d’accepter leurs résultats quand ils vous sont défavorables. A défaut, quel est le message véhiculé : «Je gagne ou je gagne» ? Et ensuite, lorsque cela dégénère et que le tragique survient personne n’est responsable ? La jeunesse ou l’opposition dite radicale n’exonère pas de la responsabilité.
Devant des membres de la société civile qu’il a reçus au Palais, le président de la République a déclaré qu’il n’a jamais dit qu’il fera un troisième mandat. Quelle réflexion vous inspire cette déclaration ?
Vous savez, l’obsession du troisième mandat en dit plus sur ceux qui en parlent que sur le chef de l’Etat. A la faveur de cette question, une pernicieuse manipulation consiste à faire croire que nos acquis démocratiques sont en danger et que le Sénégal est devenu une dictature. Rien n’est plus ridicule.
L’histoire relativement récente du Sénégal démontre à suffisance non seulement la robustesse de nos acquis démocratiques, mais aussi la souveraineté absolue du Peuple au moment des élections.
Dans un contexte de profond désarroi lié aux effets du Covid-19, cet argument d’un péril imminent associé à un discours populiste et «complotiste» a conduit aux évènements que l’on sait. C’est pourquoi le déni de reconnaissance des résultats de 2019 n’est pas anodin. On ne peut appeler à la démocratie et en même temps l’affaiblir.
Mais jusqu’ici c’était le ni oui ni non qui prévalait chez lui avec son sabre qui s’abattait sur quiconque s’opposait au troisième mandat au sein de la majorité…
Jusqu’ici sa volonté est et demeure de ne pas déroger à la ligne directrice qui lui a vu recueillir la confiance des Sénégalais depuis 2012, à savoir changer le modèle de développement du Sénégal jusque-là inadapté pour le bien-être du plus grand nombre. Voilà, l’enjeu fondamental et la liberté de chacun restent de mise, mais la vocation d’une équipe dans l’Exécutif est de partager une vision et un sens des priorités. A défaut, c’est vous qui vous auto-excluez du groupe.