Voici le célèbre Sydney Poitier, le premier Africain-Américain ayant obtenu l’Oscar du meilleur acteur dans un premier rôle, c’était en 1964  avec Le lys des champs de Ralph Nelson. Voici l’homme qui a ouvert la voie à Denzel Washington, Forest Withaker, Jamie Fox, Halle Berry qui ont décroché plus tard la précieuse statuette pour un premier rôle, ensuite Woopi Goldberg, et Louis Gosset Jr comme meilleur acteur dans un second rôle. Mais il faut noter que plus de vingt ans auparavant, la comédienne Hattie Mc Daniel a eu l’insigne honneur d’être la première «personne de couleur» à obtenir l’oscar dans un second rôle.
Né à Nassau (West Indies), Sydney Poitier a débuté sur scène à Broadway, avant d’être remarqué par les agents de la Fox. Il débuta alors à l’écran avec Now way out (La porte s’ouvre) du cinéaste légendaire Joseph L. Mankiewicz en 1950. Hormis les «connaisseurs» et ceux qui ont de l’œil, peu d’observateurs pouvaient parier sur la carrière historique de cet acteur au jeu minimaliste, sobre et plein de retenue, pour un pensionnaire d’Hollywood, l’école du cinéma spectaculaire par essence. Mais c’était sans compter avec le talent de cet homme au charisme extraordinaire, à l’expression faciale mesurée, contrairement à beaucoup d’acteurs qui martyrisent leur visage pour impressionner.
Sydney Poitier a peut-être compris la doctrine de Denis Diderot : «J’insiste donc et je dis, c’est l’extrême sensibilité qui fait les acteurs médiocres, c’est la sensibilité médiocre qui fait la multitude des mauvais acteurs, et c’est le manque absolu de sensibilité qui prépare les acteurs sublimes.» Ils sont rares, les acteurs qui ont atteint ce niveau d’insensibilité. Cette race est plus fréquente au théâtre qu’au cinéma. Peut-être bien que Buster Keaton, Michel Simon, Charles Chaplin ou Marlon Brando appartiennent au cercle fermé des comédiens authentiques, ces acteurs détachés. A Broadway, Il y a 40 grands théâtres professionnels de 500 places et plus, le plus souvent situés dans le Theater district de Manhattan.
Aujourd’hui, un comédien sublime comme le Français Michel Bouquet (un des derniers maîtres) ne cesse de s’offusquer quand il entend dire qu’un acteur doit incarner le personnage. C’est tout à faire le contraire, il doit opérer une distanciation pour contrôler justement le personnage. A coup sûr, Sydney Poitier n’a pas tout le temps réussi cette gageure, mais son mérite a toujours été d’approfondir son jeu malgré les exigences spectaculaires du cinéma commercial hollywoodien (un jugement caricatural parfois). Une certaine critique cinématographique retient du reste qu’il a eu à travailler avec les pires faiseurs de films d’Hollywood (Martin Ritt, Hall Barlett, Ralph Nelson). Mais avait-il le choix ? Aujourd’hui, les «films makers» ont pignon sur rue, surtout en Amérique. Ils ne se soucient pas de la postérité et de la signature personnelle. Ils se contentent de remplir leur job, empocher leur cachet et s’en aller se la couler douce. Roger Boussinot a écrit à propos de Poitier : «Dans ses films où les ambitions ne dépassent jamais les limites du scénario, il peut donner une caricature effrénée de l’Actor’s studio, mais il a suffisamment prouvé ailleurs qu’il est un acteur capable et intelligent, particulièrement avec Richard Brooks.»
Il va falloir rappeler que Sydney Poitier a fait ses débuts d’acteur sur scène dans Lysistrata, Anna Lucasta et Freight, à Broadway. Il est surtout connu du grand public à travers le fameux Dans la chaleur de la nuit dont les images, la musique de Ray Charles, la photographie, sonnent toujours dans la tête de ceux qui l’ont vu. Un film d’époque qui aborde la lancinante question du racisme et des préjugés fondés sur la couleur.
Sydney Poitier a pendant longtemps campé ce type de rôle, sans jamais être le nègre de service. A un moment donné, il s’est littéralement défait de ce cliché pour jouer des personnages «normaux». Dans le classement de l’American film institute des plus grands acteurs américains de tous les temps, il occupe la 22ème place, après avoir tourné dans 44 films avec les metteurs en scène les plus illustres, comme Mankiewicz.
Sydney Poitier est l’une des plus grandes figures noires du 20ème siècle.