Il y a trois siècles (1724-2024) la tentative de sécession du Bethio Maali Xury réprimée par le Brack Yerim Mbagnick Aram Bakar Mbodj

Pendant les deux premières décennies de ce début du XVIIIe siècle, le Béthio Maali Khury Diop était au centre de toutes les alliances et contre-alliances entre les différents directeurs de la Compagnie du comptoir de Saint-Louis, le Brack Yerim Mbagnick Aram Bakar, l’Emir du Trarza Ali Chandora, et le Damel Meissa Teind Wédj Fall.
De par son intermédiation, il était devenu un prospère négociant ; échangeant les produits manufacturés du comptoir de Saint-Louis contre le sel, la gomme du Trarza, le mil et le bétail des royaumes du Walo et du Cayor.
Le Béthio Maali Xury Diop s’était tellement enrichi, que le pays wolof avait donné son titre de Kangam aux jupons des femmes de son fief. De par sa prospérité, ses femmes, ses filles pouvaient avoir le luxe de porter plusieurs pagnes et sous-pagnes qui seront appelés du nom du son titre : Béthio.
Bethio était devenu le Kangam le plus puissant du Royaume du Walo, il était à la tête d’une puissante cavalerie accompagnée de plusieurs centaines fantassins possédant des armes à feu, acquises auprès du Comptoir de Saint-Louis.
Bethio Maali Xury aimait rappeler en toute occasion son rôle essentiel, son soutien militaire au Brack Yerim Mbagnik lors de leurs années d’exil et de leurs luttes armées contre Beur Thiaka et de l’appui militaire qu’il avait fourni au Brack lors de l’invasion des Ormans.
Comme toujours dans un système féodal, le souverain est souvent confronté à des volontés de dissidence de la part d’un vassal puissant.
C’est ainsi qu’à l’entame de l’an 1724, débuta un conflit entre le Brack et son puissant Kangam.
Plusieurs versions de la tradition locale sont notées pour expliquer la cause immédiate du conflit.
Pour Azan, afin de consolider son nouveau pouvoir, le Brack Yérim Mbagnick Aram Bakar chercha à se réconcilier avec le matriclan Loggar, surtout avec les héritiers de son prédécesseur Brack Beur Thiaka.
Dans ce dessein, le Brack Yerim Mbagnick donna en cadeau un cheval pur-sang arabe qu’il avait acquis au niveau du comptoir de Saint-Louis, portant le nom français de Sans-pareil à Birama Mbodj Thiaka, l’aîné des 30 fils du défunt Brack Beur Thiaka.
Ce don provoqua l’ire du puissant Béthio Mali Xury à qui il avait donné auparavant le cheval.
D’après Azan, ce fut le prétexte pour le Bethio de se mettre en dissidence : «En vain, on fit palabres sur palabres, en vain, il offrit vingt chevaux à l’irascible Béthio pour l’apaiser, celui-ci s’emporta tellement qu’il en vint à dire qu’il n’obéirait plus désormais au Brak Yérim-Mbagnik.»
L’historien traditionniste Amadou Wade donne une autre version. Pour lui, les raisons de la tentative de sécession du Béthio résidaient dans sa soif du pouvoir. «Grisé par le pouvoir (nguur-gi yobuko bê mu fatê bop-am), oubliant ce qu’il devait à Yêrim Mbanyik et les souffrances qu’ensemble ils endurèrent (dans le Waalo, le Fouta et le Wul), resta à Pum, sa capitale, pendant trois années, sans rendre visite au Brack. Il s’abstint d’assister aux gamu de ces trois années et, chose plus grave, n’envoya même pas au Brack et à son conseil les parts du môyal (pillage) des dites années.»
Toutes les versions s’accordent sur le fait de la volonté d’autonomie du Béthio Maali Khury de rompre les liens de vassalité avec le Brack.
En tant que kangam, le Béthio avait posé deux actes forts de défiance ; par son refus de participer à Ndiandiou aux festivités du gamou pendant trois ans, et d’apporter le tiers du moyaal du Mpethio au Brack et les tiers au Seb ak Baor.
Le Brack, conscient de la toute-puissance du Béthio et des souvenirs des luttes partagées contre Beur Thiaka, ne pouvait pas et ne voulait pas réprimer le dissident.
Pour le Seb Ak Baor, le Brack, sans faiblesse coupable, devait révoquer le Béthio, qui avait trahi ses engagements en tant que Kangam et que le Brack Yerim Mbagnick devait avoir en mémoire que le Seb Ak Baor avait destitué son prédécesseur pour n’avoir pas suivi les avis du Conseil pour limoger la Linguère Dyambourguel Fara.
Contraint par le Seb Ak Baor de destituer le Béthio Malikhoury, le Brack Yerim exigea en contrepartie que le Conseil lui désigne un émissaire pour aller à Pum annoncer à Maali Xury son limogeage.
Pendant quelques jours, n’ayant obtenu aucune proposition du Seb Ak Baor, le Brack convoqua un conseil de trône pour demander de nouveau, un candidat pour porter le message à Pum.
Personne, parmi les membres du Seb Ak Baor, ne se porta volontaire, de peur de pas revenir vivant de la capitale du Béthio. Alors le Brack se tourna vers le jeune Yerim Ndiaye Khary Diaw, pour le designer pour cette mission. Pris de panique, ce dernier rétorqua au Brack que le Béthio ne laisserait aucun envoyé retourner vivant à Ndiandiou.
Courroucé, le Brack se leva pour l’apostropher en ces termes : Ngay (prénom affectif de Yerim), mon fils, tu seras couvert d’opprobre et ton père de honte si tu refusais cette mission. Je prends à témoin ton père, mon ami Diawdine Barka Ndiaye Fassar, qui lorsqu’il m’annonça qu’il allait épouser sa cousine Khary Diaw Maram Thiam, il me fit la promesse que si un garçon naissait de cette union, il porterai mon prénom.
Le jour de votre naissance, dès que je fus informé, je demandé au Mipp de proclamer que je vous nommais aux charges de Béy Toubé, Ngangouné. Lors de votre sevrage un an après votre naissance, je vous donnai en apanage les terres de Naléw. Pour toutes ces raisons, tu devrais accomplir toutes missions que je vous confie, même au prix de votre vie.
Le Diawdine Barka Fassr et les autres membres du Seb Ak Baor acquiescèrent et demandèrent à leur fils Yerim Ndiaye d’accepter la mission.
Ce dernier acculé, confus, accepta et demanda une faveur à son parrain et homonyme, le Brack, celle de seller son coursier rapide, le cheval pur-sang arabe Tikri Bowdi pour rallier Pum la capitale du Béthio.
Pour Azan, «Yérim-Mbagnik le destitua, mais pendant trois ans, personne n’osa porter cette nouvelle au redoutable Mali. Enfin Diaoudine, qui était lié d’amitié avec lui, se chargea de la lui apprendre. «Mange et bois, dit-il à Diaoudine, puis, prends mon cheval, je te le donne, et tu iras dire au Brak que je tuerai quiconque me remplacera. Je le jure.»
Pour Amadou Wade, arrivé à Pum, Yêrim Ndyay trouva le Bêtyô assis sous un grand arbre, causant avec les principaux dignitaires de son Etat. Après les salutations d’usage, le Béthio demanda à Yêrim s’il y avait encore un Brack dans le Wàlo.
Devant la réponse affirmative de Yêrim Ndyay, le Béthio déclara à sa cour que s’il y avait deux Brack ; Yerim Mbagnik, celui du Walo Tack et moi le Brack du Walo Tack Diouck et Walo Tack Gagne.
Le Béthio proposa à Yerim Ndiaye de se rallier à lui et devenir son Diawdine et lui proposa une forte somme d’argent. Toujours en selle, Yerim remercia le Béthio pour ses présents et sa proposition généreuse de nomination. Ensuite à haute voix, il déclara : «le Brack Yerim Mbagnick Sangu Nieup vous destitue de votre charge de Béthio» et il s’élança à bride battue vers Ndiandiou, poursuivi par Béthio Maali Xury et ses ceddo décidés à lui ôter la vie, pour lui faire payer son audace d’avoir osé lui porter cette annonce.
Leur poursuite fut vaine, tellement était rapide le coursier Tokri Bowdi monté par Yerim Ndiaye.
Non content d’avoir tenté d’assassiner l’émissaire du Brack, le Béthio et ses ceddo, en ce début du mois de mars 1724, déclenchèrent les hostilités en traversant les rivières Beud et Yalakhar pour s’attaquer au domaine du Maarosso, demi-frère du Brack, en pillant et incendiant les villages riverains et traversèrent le fleuve pour brûler Rosso, malgré la vive opposition du Marosso Ndiack Fama Yacine Mbodj.
Les lueurs des incendies informèrent le Brack du déclenchement des hostilités et l’arrivée en trombe de Yerim Ndiaye le confirma.
Avisé, connaissant l’impulsivité du Béthio, le Brack avait, dès le départ de Yerim Ndiaye, décrété la mobilisation générale de toutes ses troupes.
Avec son armée, le Brack traversa le fleuve à Mbagam et trouva le Béthio Malikhoury en train d’incendier Ndiourbel et de dévaster les terres de Nalew pour se venger du Diogomaye Madyaw Khor et le Seb Ak Baor qui avaient beaucoup contribué à sa destitution.
Bethio Mali Xury fut vaincu lors de cette bataille du marigot de Khamm, où périrent trois fils du Diogomaye Al Thiaka Thiam : Mbagne Peinda, Pathé Peinda et Bougouma Peinda.
Contraint de rejoindre la rive droite, Maali Xury y fut attaqué et battu par Thiaggar Ndiatene Kher Ronkh.
Le Brack Yerim Mbagnick encercla l’opulente résidence du Béthio Pum où il s’était retranché en dernier lieu, le Béthio Maali-Khuri, accompagné de quelques guerriers, de ses femmes et de ses enfants, réussit à s’échapper. La résidence de Pum fut pillée de fond en comble et incendiée. Yerim Mbagnick savourant sa victoire annonça que les flammes de l’incendie de Pum avaient vengé celles de Rosso
Acculé, affaibli, le Béthio Maali Xury et ses ceddos s’enfuirent vers le Ndiambour, la province septentrionale du Cayor. Le Damel Meïssa Teind Wedj Fall, allié du Brack, son beau-frère (il avait épousé la sœur de Brack, la princesse Coondama Aram Bakar Mbodj), refusa de lui accorder asile et par dépit, il mena avec ses hommes une politique de terre brûlée et de razzia dans la province du Ndiambour.
Les archives françaises, dans une note datée du 28 mars 1724, indiquent que le Béthio Maalixuri «…a été chassé il y a trois semaines de son pays par le Brack Yerim Mbagnic, il est à présent errant et vagabond en Caÿor avec 300 hommes armés qui pillent partout».
Chassés par le Damel Meïssa Teind Fall, Béthio et ses hommes cherchèrent à rallier la rive droite pour se réfugier auprès de l’Emir du Trarza, Ali Chandora.
Malgré la vive opposition et plusieurs accrochages armés avec les soldats du Kaddj Ndiack Aram Bakar, le Béthio Maali Khoury et ses troupes purent s’échapper, traverser le fleuve et rallier le Trarza.
Ayant repris des forces, soutenu par un contingent maure, mis à sa disposition par l’Emir du Trarza, le Béthio s’établit près du marigot de Gandianguér pour mener de fréquentes incursions dans son ancienne province du Mpethio et d’après Azan …. «Il tua son neveu Ngone Diop qui était nommé à sa place, puis successivement les trois qui le remplacèrent, puis deux Dio-Ronk (chef de Ronk) qui étaient de la branche des Béthio, puis il alla couper le cou au Montel, qui se trouvait à une pêcherie devant Kham et se retira dans le Toubé. Yérim courut après lui, l’atteignit à Belkhar et le tua.»
Une note du comptoir de Saint-Louis datée le 18 juin 1724 signalait que «la guerre estoit fort allumée avec le roy Brack, Alichandora et Bequio Malicoury, que ce roy a chassé Bequio et les Maures d’Alichandora de Isle de Poume, a taillé les nègres en pièces, car les Maures les ont abandonnés dans le fort de la bataille et a poursuivi très loin les fuyards dont il en a fait noyer une partie dans la rivière.»
En effet, Béthio et ses hommes se replièrent dans leur réduit de la forêt galerie du Gollakh, où ils furent encerclés par les troupes du Brack Yerim Mbagnick.
Les troupes maures auxiliaires soudoyées par le Brack feront défection et Maali Xury fut capturé vivant et exécuté en public.
Selon Amadou Wade «…le Brack continua sa poursuite et atteignit, enfin, Maalikhuri à Bêkhar. Il s’empara de lui par surprise, lui saisit la chevelure, le souleva violemment, et dit à deux des hommes qui I ‘encadraient : yat Len-ko (taillez-le).»
Ces derniers appuyèrent leurs armes chacun sur l’une des oreilles du Béthio et, froidement, firent feu. Ainsi mourut le Béthio Maalikhuri, cousin et ancien compagnon d’exil du Brack Yerim Mbagnic Aram Bakar.
D’autres sources indiquent que le Béthio se sachant trahi, accepta son sort et enleva de ses tresses une amulette protectrice et accepta stoïquement son sort.
Tout au long de la guerre civile, le Béthio ne put bénéficier que de l’alliance de l’Emir du Trarza, par contre le Brack, en plus du soutien du Satigui du Fouta Boubou Moussa Ba, de son gendre Damel du Cayor, avait le soutien du comptoir de Saint-Louis.
Le directeur de la Compagnie Julien Dubellay ne voulait pas que le conflit empêche ses chaloupes de traite de remonter le fleuve jusqu’au Ngalam et arrêter la fourniture de produits vivriers et de bœufs au comptoir de Saint-Louis.
Julien Dubellay, le chef du Comptoir de Saint-Louis, avait fourni des armes au Brack, et pour expliquer son parti pris, indiqua dans un document daté en décembre 1724 : «La Compagnie me dit pensera s’il luy plaît de répondre à l’article de la ruine de Bequio avec le roy brak ny de la continuation de la guerre entre le roy Thin et damel en m’attribuant des fautes où je n’ai jamais eu de part. Car sans Brak qui m’a soutenu de tout ce qu’il y a eu dans son pays, je n’aurois pû faire ny le commerce de Galam, ny faire subsister cette garnison de mil et de bœufs, et si j’avais secouru secrettement Bequio qui estoit desjà soustenu par les Maures comme les mauvais conseils de la Compagnie luy ont inspirés de m’écrire, je perdais entièrement le commerce de Galam et de cette rivière parce que le roy Siratique estoit du party de Brack. »
Après la défaite de Maali Xury et son exécution, Yerim Mbagnick rentra à Ndiandiou et nomma Fara Thioro Diop comme un nouveau Béthio.
Pour tourner définitivement la page du défunt Béthio, le Brack demanda au nouveau Kangam de raser la résidence de Pum et de fonder une nouvelle capitale provinciale.
Respectant les directives royales, Fara Thioro fonda, au bord de la rivière Lampasar, une nouvelle capitale et lui donna le nom de Rosso-Béthio en souvenir de Rosso incendiée naguère par Maali khury.
Bethio Maali Khury avait quatre neveux, fils de ses deux sœurs, Fanta Ngoon Ndiop et Booh Ngoon Mbodj, nommés : Amadou Fanta, Fara Fanta et Barka Booh et Mbagnick Booh.
Tout au long du conflit, ces neveux maternels de Béthio étaient restés loyaux dans la cour du Brack.
Ce dernier leur accorda une audience pour leur indiquer qu’il voulait les libérer pour leur permettre de rejoindre leurs familles avec tout un chacun comme cadeau un cheval et un esclave.
De retour à Diagambal, leurs mères et familles leurs conseillèrent de s’exiler le plus rapidement au royaume voisin du Cayor. Au motif que neveux du défunt Béthio, le Brack et son Béthio Fara Thioro les considèreraient toujours comme de potentiels ennemis.
Naifs, ils répondirent qu’à leur départ de Ndiandiou, le Brack leur avait montré beaucoup d’estime et qu’en aucune façon il était convaincu de leur loyauté.
Peu de temps après, une escouade de ceddo les surprend à Ndiagambal pour assassiner tous les quatre princes ainsi que leurs mères respectives.
Trois siècles après, le traumatisme de la terrible répression contre le Béthio Maali Xury demeure toujours vivace.
Bethio Maali Xury Diop pour descendants :
Brack Yerim Mbagnick Anta Diop Maali Xury,
Brack Fara Peinda Tégue Rella Maali Xury,
Brack Ndiack Xury Xury Diop Maali Xury,
Linguére Fatim Yamar Khouriyaye Anta Diop Maali Xury
Diawdine Amadou
Bakhaw DIAW