On a déjà vu toutes sortes de candidatures à la présidence de la République du Sénégal. Chacun y est déjà allé avec sa motivation ou ses objectifs propres, mais on en a vu certaines qui ont pu interpeller le commun des Sénégalais. On en était arrivé en effet à se demander ce qui a bien pu se passer pour qu’un tel ou une telle en arrive à avoir le culot ou le toupet de regarder ses concitoyens et de leur dire, dans le blanc des yeux, son ambition à devenir leur chef, le premier d’entre eux. En réalité, on n’y avait pas prêté attention, mais tout plafond de verre a disparu au Sénégal. Abdou Diouf, aux dernières années de sa gouvernance, n’était plus exigeant vis-à-vis de ses ministres. Abdoulaye Wade aura, lui, fait sauter tous les codes et toutes les limites. Il pouvait élever n’importe qui à la dignité de ministre de la République et se plaisait à le dire. Il avait pu être comparé à Néron qui pouvait faire de son cheval un sénateur. Macky Sall, en dépit de sa volonté déclarée de restaurer les valeurs de la République et surtout de prôner une gouvernance sobre et vertueuse, incarnée par des hommes et des femmes qui devront inspirer le respect de leurs concitoyens, sera vite rattrapé par ses calculs et logiques politiciens. Ainsi, fera-t-il aussi mal que son prédécesseur en nommant des ministres qui se surprennent eux-mêmes, en se retrouvant autour de la table du Conseil des ministres. C’est dire que la fonction de ministre n’est plus un enjeu au Sénégal, puisque la preuve est largement faite que tout le monde peut le devenir. Alors, les 15 millions de Sénégalais ne rêvent plus que d’une seule et même fonction, celle de président de la République. On savait déjà que dans la vie, tout le monde pouvait être président de quelque chose, mais de là à ce que tout citoyen sénégalais puisse caresser le rêve de devenir le chef de l’Etat ne manque pas de poser problème. Ils sont tous devenus déraisonnables. Là également, on ne peut s’empêcher d’accabler Abdoulaye Wade. Il se plaisait à souffler dans l’oreille de tous ses visiteurs : hommes politiques, députés, membres de son gouvernement, opposants ou même journalistes qu’il lui arrivait de recevoir en audience, qu’il pensait que son visiteur du jour pouvait devenir chef de l’Etat et qu’il lui conseillait de se préparer. Il a eu à le faire miroiter et le promettre à des gens simples. Certains ne s’y trompaient pas, mais nombre d’entre eux se prenaient au jeu. Ah oui, mon ami Jacques Diouf, ancien directeur général de l’Organisation mondiale pour l’agriculture et l’alimentation (Fao), rappelait que Léopold Sédar Senghor enseignait à ses compagnons politiques que «l’intelligence de l’homme s’arrête là où commence son ambition».
Le mythe du ministre est tombé depuis longtemps et celui de président de la République tend à l’être. L’arrivée d’un Macky Sall au pouvoir suprême semble y contribuer, lui qui a cherché à se rendre trop accessible, trop disponible. En quelque sorte, Macky Sall a cherché à être un peu comme François Hollande, c’est-à-dire «un Président ordinaire». Nous dirions «un Président simple». Son épouse, Marième Faye Sall, a voulu elle aussi ressembler à la Sénégalaise ordinaire. On a pu lui demander même pourquoi se tuer à chercher à incarner la Sénégalaise moyenne quand on ne l’est pas et qu’on ne peut plus et ne saurait plus l’être. Il convient de souligner que le Président François Hollande, dans son dernier livre Les leçons du pouvoir, a tenté d’expliquer cette conception du pouvoir. Pour François Hollande, «une présidence normale n’est pas une présidence banale (…) Ce n’est pas dévaluer le rôle du Président que de s’astreindre à un tel comportement. C’est instaurer une dignité démocratique, c’est appeler à l’exemplarité, à la raison, à l’adhésion. Ce n’est pas céder à l’affaiblissement ou pire, se laisser aller à l’abaissement». François Hollande est d’avis que «la culture démocratique est un apprentissage qui doit commencer par le haut. La République a eu ses grands hommes sans qu’elle n’ait eu besoin toujours de les sacraliser». Il s’y ajoute aussi que le vent ou le phénomène de l’intronisation des chefs d’Etat, hommes ou femmes simples a soufflé dans le monde. L’élection de Adama Barrow en Gambie, de George Weah au Liberia, de Julius Mada Biyo en Sierra Leone, d’un Roch Marc Christian Kaboré au Burkina Faso, d’un Faustin-Archange Touadera en Centrafrique, d’un Donald Trump aux Etats-Unis d’Amérique, de Angela Merkel ou de Theresa May qui passent comme la mère de famille ordinaire allemande ou britannique, entre autres, participerait à une dynamique qui décomplexe tout postulant à la fonction de chef d’Etat.
L’histoire non encore racontée de la loi sur le parrainage
L’élection présidentielle sénégalaise a déjà donné toutes sortes de candidatures les plus farfelues. On était parti pour enregistrer des candidatures plus risibles que celles d’un Alioune Petit Mbaye, d’une Diouma Dieng Diakhaté, d’un Damel Meïssa Fall ou d’une lugubre Baronne qui ne se rappelle de sa nationalité sénégalaise qu’au moment de briguer la Magistrature suprême. Le casting était parti pour être encore plus loufoque en vue de la Présidentielle 2019. En effet, le Parti démocratique sénégalais (Pds) avait planifié une stratégie pour discréditer la prochaine présidentielle du fait que, c’est un truisme de le dire, son candidat déclaré et déjà investi, Karim Wade, ne pourra briguer les suffrages pour cause de condamnation pénale. Ainsi, le Pds et quelques alliés, instruits par la grosse pagaille des élections législatives du 31 juillet 2017 du fait notamment de la pléthore des listes, avaient prévu de rendre l’organisation du prochain scrutin encore davantage chaotique. Le Président Macky Sall a pu être mis au parfum du coup tordu que préparait le Pds. Une centaine de candidatures étaient en gestation pour compliquer encore plus le vote. Il suffisait simplement d’être investi par un parti politique légalement constitué et quelle que soit sa représentativité. Bonjour les dégâts ! Quand on sait que plus de 260 formations politiques au Sénégal satisfont à ce critère !
Le Président Macky Sall leur a coupé l’herbe sous le pied en faisant adopter la loi sur le parrainage généralisé des candidatures à l’élection présidentielle. Autrement, de gros ratés dans l’organisation du scrutin ou même un éventuel report pour permettre de mieux prendre en charge les impératifs et autres contraintes provoqués par la pléthore de candidatures auraient pu justifier des actions prônant l’illégitimité d’un Macky Sall mal réélu ou qui gagnerait un second mandat dans des conditions contestables. La situation aurait encore été du pain béni pour l’opposition si, pour une raison ou pour une autre, le scrutin présidentiel ne pouvait pas se tenir à la date du 24 février 2019. Macky Sall qui resterait au pouvoir au-delà de cette date, sans une réélection formelle, serait bien assurément chahuté. Son opposition qui trouve dans chaque situation politique ou sociale délicate une raison pour demander sa démission et préconiser une transition à la tête du Sénégal ne se priverait pas de chercher à profiter d’une conjoncture politique pareille pour assouvir son projet. Il n’en demeure pas moins qu’en dépit de la loi sur le parrainage, de nombreux acteurs se lancent déjà sur les starting-blocks pour la prochaine Présidentielle. De nombreuses candidatures s’annoncent et on voit bien leur proximité pour ne pas dire leurs accointances avec le Pds. C’est le cas d’un Boubacar Camara, un sujet brillant, vu son parcours académique et professionnel, mais qui se jette dans la fosse aux lions politiques comme un candidat avec de grandes illusions. Par contre, la candidature de Cheikh Hadjibou Soumaré ne surprend pas les lecteurs du journal Le Quotidien. Dans un texte en date du 3 octobre 2016, intitulé «Le pied de nez de Cheikh Hadjibou Soumaré au Sénégal», nous disions que sa démission inattendue et fracassante de la présidence de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) procédait d’une stratégie pour n’être redevable en rien au Président Macky Sall, afin de pouvoir chercher à l’affronter à une prochaine élection présidentielle. D’autres candidatures sont agitées, comme celle de Lamine Ba, des jeunesses se réclamant de Karim Wade. Seulement, nombre d’entre ces candidats devraient s’épargner le ridicule. Nous le disions dans une chronique intitulée «L’erreur de se compter», en date du 9 janvier 2012. Peut-être aussi que les élites politiques sénégalaises se font à l’idée que le ridicule n’arrive qu’aux autres, mais on devrait pouvoir apprendre de la déconvenue des autres. Sans doute qu’on peut rester persuadé que dans ce pays, tout devrait être possible quand, comme l’écrivait Victor Hugo dans un pamphlet en 1852, «on a désormais l’argent, l’agio, la banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort et tous les hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a à enjamber que la honte…». Même de ce point de vue, l’exemple d’un Abdoul Mbaye, ancien banquier et ancien Premier ministre de Macky Sall qui a eu à se ramasser lors des dernières élections législatives, devrait pouvoir servir de leçon. Certains peuvent toujours croire que dans le ciel ne luit qu’une étoile, la leur.