La Casamance est le dernier bastion forestier du Sénégal avec 30 massifs représentant une biodiversité très riche de la flore. Seulement du fait de l’action anthropique, la végétation luxuriante, qui donnait à la Casamance sa renommée de verte Casamance, s’est fortement dégradée de sorte que derrière les rideaux verts qui s’offrent à nos vues le long de certains axes routiers, il n’y a plus que la désolation. Une situation occasionnée, certes, par les feux de brousse, mais également par l’exploitation abusive et clandestine de la forêt sur fond de conflit armé qui a duré plus de 30 ans. En effet, le business du bois est devenu un trafic très juteux dans la région avec des implications géopolitiques insoupçonnées au niveau de la Sénégambie méridionale nonobstant ses ramifications internationales. Il intéresse plusieurs acteurs dont le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc), des groupes d’intérêts sénégalais et gambiens, et même des chinois.
L’insécurité qui règne en Casamance va constituer un terreau favorable pour le trafic illicite du bois dans cette partie sud du pays. Les agents des eaux et forêts ne s’aventurant presque plus dans certaines zones en Casamance devenues des zones de non-droit et où des trafiquants de bois, avec la complicité du Mfdc, se livrent à cette activité délictueuse mais fort lucrative. C’est le cas notamment au niveau de cette vaste aire géographique qui englobe la Zone des Palmiers, une entité de la communauté rurale de Djignaky qui polarise 13 villages abritant des cantonnements rebelles dont Diakaye, l’état-major du Front Nord, créé par Kamoughé Diatta avec l’aval du père fondateur d’Atika, la branche armée du Mfdc, feu Sidy Badji. Ici dans ce no man’s land, bon nombre de sources indiquent que le trafic illicite de bois a commencé avec l’arrivée des combattants du Mfdc dans la localité en 1990. D’ailleurs pour l’ex-Pcr de Djignaky, Daouda Boss, cette zone sanctuarisée par Atika était inaccessible de 1977 à 2004. La coupe abusive de bois et la culture de cannabis constituaient, selon lui, les principales activités au niveau de cette contrée de Djignaky. Une zone où le rônier et le palmier constituaient les espèces dominantes et où le trafic du bois occupait une place prépondérante à tous points de vue. Aujourd’hui dans la Zone des Palmiers, jadis d’une beauté végétative hallucinante avec ses arbres géants de baobab, de caïlcédrat, de nérés et autres fromagers surplombant des blocs végétatifs, le désarroi s’est emparé des populations très inquiètes de voir la disparition des espèces qui ont valu à la zone l’appellation de vallée des palmiers. Et pour Insa Kalala Coly, natif de cette contrée, la forêt dense qui caractérisait cette zone se rétrécit comme peau de chagrin et offre l’image de vastes clairières par endroits.
C’est le cas aussi au niveau du Fogny Combo, notamment à Touba Tranquille situé à la lisière de la frontière sénégalo-gambienne, que la brigade de gendarmerie de Diouloulou, alertée par des sources anonymes, avait arrêté le 19 juin 2007 aux environs de 19h, 12 camions gros porteurs de 20 tonnes chargés de troncs d’arbres, avec pour la plupart des immatriculations gambiennes. L’affaire avait à l’époque fait grand bruit dans la partie sud du pays avec moult spéculations supposées ou réelles impliquant le Mfdc, certains responsables gambiens et même des chinois potentiels acheteurs de ces cargaisons et qui disposaient d’un bateau dans les eaux territoriales gambiennes.
Populations autochtones et franges rebelles à la canopée du business
Une source proche de la gendarmerie informait qu’à côté, il y avait deux camions qui s’apprêtaient à faire le plein des milliers de planches devant les populations désarmées vivant dans la localité. C’est donc toute une nébuleuse sur fond de trafic illicite d’armes, de drogues, de bois organisé par des trafiquants, des maquisards et autres acteurs étrangers qui œuvrent dans une telle intelligence qui rend difficile l’interprétation d’une situation déjà suffisamment confuse. Et ce, au grand dam des populations locales qui assistent impuissantes à la disparition des espèces végétatives qui ont toujours offert à la zone des potentialités économiques énormes dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage et surtout de la foresterie ; une disparition qui touche plus d’une centaine d’hectares dévastés par les trafiquants de bois occasionnant une dégradation monstre de l’environnement.
Plusieurs sources proches des forces de sécurité et des acteurs intervenant dans le processus de paix en Casamance confortent l’idée selon laquelle le Mfdc est aussi un acteur-clé de ce vaste trafic de bois. L’implication du Mfdc a même été prouvée, selon une source proche de la gendarmerie à l’époque, avec l’affaire des 12 camions arrêtés qui appartiendraient aux hommes du commandant en chef du Front Nord du maquis, Ismaïla Magne Diémé. C’est dire donc que depuis le début du conflit, le bois semble ainsi constituer à côté de la drogue et du racket un enjeu financier et stratégique énorme pour la rébellion. Une source bien au fait de cette affaire indique à cet effet, que depuis l’arrivée du Front Nord dans la Zone des Palmiers en 1990, Atika délivrerait des permis de coupe aux populations et a systématisé le circuit. «Il y a 4 chargements que se répartissent les populations et le Mfdc. Le 1erchargement est remis au propriétaire de la tronçonneuse qui rétrocède le produit de la vente aux populations qui l’ont aidé dans le travail. Le 2èmechargement revient de droit aux combattants rebelles. Le 3èmeappartient au village et le 4èmeau propriétaire de la tronçonneuse», indique la même source. Qui précise que tout compte fait, ce sont des hommes armés, supposés appartenir au Mfdc, qui contrôlent tout et acheminent la totalité des troncs d’arbre coupés en Gambie où existent de nombreuses scieries. Un deal qui met également à nu l’implication au premier degré des populations locales, surtout dans la zone du Fogny où la disparition du couvert végétal est plus que manifeste. Une situation que le maire de Djibidione impute d’ailleurs aux populations avec, dit-il, la complicité de lobbies. «La déforestation est un phénomène qui nous inquiète beaucoup. Mais, c’est la population elle-même qui a détruit sa propre forêt avec la complicité de lobbies qui les utilisent à leurs fins», se plaignait-il lors d’une manifestation initiée à Djiral par le Comité des villages frontaliers du Fogny-Ouest (Coviffo). Une zone où le niveau de déforestation est d’une telle ampleur que le caïlcédrats et le bois de Venn n’existent plus à cause des coupes abusives d’arbres. Sur ce même registre, J. C. Marut explique à ce propos comment les rebelles, transformés en commerçants, ou prélevant leur part, sont entrés dans les circuits marchands en s’appuyant sur l’exploitation des différences tarifaires entre la Gambie et le Sénégal. Marut précise: «Bignona devient le centre d’une intense activité de contrebande, organisée et contrôlée par les maquisards, au même titre que le trafic de bois et de cannabis.»