L’Aibd a commencé ses services il y a quelques jours. Diass, le voisin immédiat, ne sent pas encore l’impact de son implantation. Les populations estiment déjà que l’infrastructure ne change rien à leur quotidien, marqué par la précarité et le chômage des jeunes. Ces derniers qui craignent d’éventuels litiges fonciers réclament l’éclairage public. Bref, «des conditions dignes d’une ville aéroportuaire».
Le ruban a été coupé le jeudi 7 décembre dernier. Le décollage des avions a commencé dans la foulée. 5 jours après son inauguration, c’est le calme à l’Aéroport international Blaise Diagne (Aibd). Le ciel est dégagé, sous le chaud soleil, le toit à la forme ondulée offre aux yeux une scène splendide. Pas d’avions dans les airs. Sur le sol, oui. Un sur lequel on peut lire Air Burkina est sur le tarmac. Sur le parking, une flopée de véhicules. Près de la porte du service d’accueil, des taxis peints en blanc forment un long fil sous le regard figé et attentionné des agents de sécurité, parés de gilets oranges. Derrière eux, d’autres taxis, plus vieux et moins luxueux, attendent des clients à côté des particuliers. De temps en temps, le vrombissement des moteurs des bus Dakar dem dikk met fin au silence de cathédrale qui prévalait. Sous l’effet du vent, les drapeaux aux couleurs nationales suspendus sur des poteaux en fer flottent et renvoient de petits échos sonores. Pour ce qui est des voyageurs, dans la matinée, ce n’est pas encore le grand rush, les quelques rares personnes tirent leurs charriots en compagnie des parents ou chauffeurs venus les accueillir. «J’ai conduit un homme et sa femme. Maintenant je retourne à Dakar», affirme Lamine Thiam, debout à côté de son taxi jaune-noir. De l’autre côté, une dame s’occupe du petit-déjeuner. Elle est la seule vendeuse sur ce périmètre. Sacs de pains posés à terre, les bols sur une table, elle est entourée par des clients. «Il n’y a pas assez de vendeuses pour le moment, les services viennent juste de débuter. C’est ce qui rend un peu difficiles les conditions de travail», laisse entendre un agent de l’aéroport, vêtu d’un gilet sur lequel on peut lire 2 As (Assistance et aide services). Bâti sur une superficie de 42 mille m2, l’espace est grand, les bâtiments sont nombreux. En même temps que les services, des travaux sont en finition. En face d’une grande bâtisse en jaune faisant office de locaux du Trésor public, un homme, assisté par une femme, continue le pavage à côté de la latérite. Comme quoi, du travail, il en reste.
Diass abrite Aibd, mais l’euphorie du voisinage qui a escorté l’arrivée du nouvel aéroport semble baisser peu à peu. L’effet salvateur tant espéré par les habitants de la commune n’a pour le moment pas eu lieu. Les espoirs suscités par la pose de la première pierre en 2007 se révèlent progressivement chimériques. Les populations ruent déjà dans les brancards moins d’une semaine après l’ouverture. A bord de la route goudronnée, de nombreux tabliers se sont installés. La plupart sont des femmes. La vente de pastèques et d’autres fruits rythme leur quotidien. La poussière de la latérite soulevée par l’allure des véhicules ne les gêne guère. Dynamiques et motivées, elles font des va-et-vient avec leurs sachets d’oranges, d’arachides et de pamplemousses. Les usagers des transports en commun sont leurs principales cibles. En groupe, elles interpellent en chœur. Chacune d’elles veut ravir la vedette à l’autre. «Nous sommes proches du nouvel aéroport, mais en réalité pour le moment, il ne nous sert à rien. A part le bruit des avions et le nom de Diass qui résonne quotidiennement sur les ondes des radios, rien de concret», confie Nafi Diouf, les yeux grand ouverts, en balançant les mains tout en veillant sur sa marchandise. Assise sur une chaise à côté d’une boucherie, sa voisine n’hésite pas à lui emboîter le pas. Pour Astou, les promesses et avantages longtemps évoqués par les autorités n’étaient que du leurre. Néanmoins, la dame, vêtue d’un ensemble wax bleu, demande aux gens de ne pas aller trop vite en besogne. «Peut-être dans quelques mois, la situation va changer», espère-t-elle.
Colère et désespoir chez les jeunes
En ce jour ouvrable, l’enceinte de la mairie de Diass grouille de monde. Si certains sont assis sur des bancs en bois, d’autres font le pied de grue en attendant leur tour chez l’officier. A côté du bureau du maire, un agent de sécurité de proximité discute avec un jeune, documents à la main. Vêtu d’un Lacoste bleu sur lequel est écrite en blanc «Association des étudiants de Diass». Amath Diouf est l’un des dirigeants de ce mouvement. En un tournemain, l’étudiant regroupe une dizaine de camarades. Avec une envie énorme de s’extérioriser, l’homme de petite taille déclare : «L’aéroport tant chanté a empiré notre situation. Quelques mois auparavant, beaucoup de gens issus de la commune travaillaient en tant qu’ouvriers. Mais depuis que les travaux sont achevés, ils ont arrêté le service. Nous sommes là, désemparés et désœuvrés», déplore-t-il, le visage ferme, sur un ton amer, le doigt pointé vers le bureau de l’élu municipal. A sa chute, ses camarades applaudissent avant que Khon Diouf en rajoute une couche : «Notre mairie ne pipe mot alors qu’elle est censée défendre nos intérêts. Avec les 423 milliards investis, les conditions de vie des populations pouvaient changer. Tout ce qu’on peut dire pour le moment est que Diass ne profite pas de sa proximité avec l’Aéroport international Blaise Diagne.» En dehors du chômage, la population de Diass déplore le manque d’éclairage public qui les plonge dans la pénombre tous les soirs, occasionnant des accidents. Un chauffeur de la compagnie équato-guinéenne nous a confié que des hommes et des femmes se sont couchés lundi dernier devant la grande porte de l’Aéroport international Blaise Diagne pour réclamer des emplois. Chez les populations, la coupe est déjà pleine.
Diass, «nouvelles terres bénies»
La destination Diass se vend à merveille. Le foncier est sur toutes les lèvres. Les villages de Kessouk-Hatt, Kathialick et Mbadatt ont été délogés pour la construction de l’aéroport. Après moult hésitations, ces populations ont fini par céder leurs terres malgré le poids traditionnel. La plupart d’entre elles pratiquaient l’agriculture. «Nous avons cédé nos terres héritées de nos ancêtres. Ce n’était pas du tout facile surtout avec la délocalisation du cimetière de Mbadatt (le site qui abrite actuellement le pavillon présidentiel). Nous tenons beaucoup à notre tradition», avance Ndiassé Ndiaye. Malgré la cession de ses terres, l’homme à l’ensemble bleu estime qu’avec la nouvelle infrastructure, la commune de Diass est devenue plus attractive. Les murs sortent de terre, les maçons sont à pied d’œuvre. Les nombreux chantiers attirent les attentions. Un phénomène né avec l’implantation de l’Aéroport international Blaise Diagne, selon Moussa Lô. «Les terres sont maintenant de plus en plus sollicitées. Comme vous pouvez le voir, il y a beaucoup de maisons en construction. Depuis des années, les étrangers veulent avoir des demeures dans cette localité très proche de l’aéroport. C’est une aubaine pour les vendeurs de briques, les quincailleries et les maçons. Je sens que pour le moment, Diass grandit», lance le gérant d’une quincaillerie, debout derrière son comptoir. L’impression est la même chez Abdou Diouf, un Dakarois qui fréquente régulièrement cette commune pour des raisons commerciales. Un léger boubou traditionnel noir avec des lunettes de soleil qui protègent ses yeux, le natif de Pikine se projette déjà sur la prochaine décennie. «D’ici dix ans, Diass sera une grande cité. Vous savez, les infrastructures de ce genre attirent les investisseurs. Dans quelques années, les jeunes pourront facilement obtenir des emplois sans avoir besoin d’aller à Dakar. Je pense que ce sera l’inverse. Certes les jeunes commencent à râler à cause des conditions de vie difficile. Je leur demande d’être un peu patients, ça viendra», prédit-il.
Des autochtones craintifs
«Depuis des années, on constate que les chantiers poussent comme des champignons. Le problème majeur est que le plus souvent, on ne sait pas qui sont les véritables propriétaires», regrette l’étudiant Pape Diouf. Concernant ses probables futurs voisins, ses inquiétudes sont d’ordre sécuritaire. «Diass n’a pas de poste de police, ni de gendarmerie. Concernant la cohabitation, nous n’avons pas de problème, mais il faut d’abord des préalables et surtout des concertations entre nos élus et nous .Il le faut absolument», ajoute-t-il. Abasse Dionne, quant à lui, craint des litiges fonciers qui risqueraient d’avoir de grandes conséquences sur le quotidien des gens. «Avec l’Aibd, les terrains sont devenus chers. Il faut 5 millions de francs Cfa ou plus pour en avoir. Certains peuvent en profiter pour vendre des terrains qui ne leur appartiennent pas pour se faire de l’argent. Les responsables municipaux et domaniaux doivent veiller à la préservation des terres avant que Diass ne s’embrase. Nous tenons tant à notre terroir et à nos us et coutumes.» Le sujet est sensible. Les rares personnes qui acceptent d’en parler le font avec une grande prudence. «Dans les années 70, l’Aéroport international Léopold Sédar Senghor n’était pas proche des maisons, mais au fur et à mesure, des cités ont été construites tout autour. Maintenant avec la spéculation foncière, conséquence de la revalorisation de la terre, je crains le même phénomène à Diass, notamment avec ceux qui prévoient des hôtels, restaurants et auberges», s’inquiète Gorgui Diouf.
Diass réclame l’éclairage public
C’est l’une des principales préoccupations des voisins de l’Aibd. Ils n’hésitent même pas à aborder cette question ô combien importante pour leur existence et le déroulement normal de leurs activités quotidiennes. Diass est traversée par la Rn1. Les nombreux réverbères installés tout au long de cette route n’ont pour le moment aucun impact sur les habitants et les usagers. Assise sur une chaise à l’intérieur de sa modeste maison dépourvue de porte d’entrée, Mame Astou tient bon malgré l’âge. De sa main droite, elle tient un pilon. Ses yeux presque couverts par son châlenoir sont dirigés vers le mortier rempli d’herbes. Les mots sortent difficilement de sa bouche. Ce qui ne lui empêche pas de donner son avis sur la marche de sa commune : «Je n’ai pas encore vu le nouvel aéroport. Je l’ai entendu à travers la radio. Avant l’aéroport, il fallait d’abord s’occuper de l’éclairage public. A partir de 19 heures, nous vivons dans la pénombre. Ce qui est anormal selon moi.» Khon Diouf embouche la même trompette. Pour lui, la commune de Diass n’est jusqu’à présent pas prête pour accueillir une infrastructure de cette envergure. «Certes un aéroport augmente la notoriété et attire les investisseurs, mais je ne peux pas comprendre que la localité soit dépourvue d’éclairage public. Cela peut même être source d’insécurité. Les gens viennent de partout. Dans l’obscurité, les risques sont plus nombreux, les tentatives des malfrats ont plus de chance d’aboutir.» A leurs inquiétudes et plaintes s’ajoutent les risques permanents d’accidents dans cet axe très emprunté par les automobilistes. «Certaines maisons ne sont pas loin de la route nationale. En plus, il y a le marché. La nuit, les chauffeurs roulent à vive allure malgré l’obscurité. J’invite la mairie à prendre ses responsabilités avant qu’il ne soit trop tard», rajoute-t-il. Charité bien ordonnée commence par soi-même, dit l’adage, les très impatients Diassois crachent déjà du feu.
Silence de la mairie
Par souci d’équilibre, on a voulu avoir la réaction du maire de la commune de Diass, Alioune Samba Ciss. Après une heure d’attente à l’intérieur de la mairie, on n’a pas aperçu l’ombre de l’élu municipal. L’un des conseillers municipaux qui est parti lui faire part de notre présence n’est pas revenu non plus nous informer.