Ce mois de janvier sera déterminant pour l’histoire politique de la Gambie indépendante. Le 19 janvier, Adama Barrow, le président démocratiquement élu par le peuple gambien le 1er décembre 2016 prêtera serment pour prendre la direction du pays. Tous les Chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ont promis de se rendre à Banjul pour assister à la prestation de serment du président élu. Toutefois, des informations font état de la volonté de Yahya Jammeh d’empêcher les avions des Chefs d’Etat d’atterrir ce jour-là à Banjul et d’empêcher la prestation de serment du président élu. Personne ne peut douter de la possibilité d’un tel acte de défiance de la part de Yahya Jammeh, après qu’il eut refusé l’atterrissage à l’avion de la Présidente en exercice de la Cedeao Ellen Johnson Sirleaf le 10 décembre dernier. Sauf que cette fois-ci, le refus d’atterrissage pourrait précipiter l’intervention tant redoutée de troupes de la Cedeao, sous commandement sénégalais, dans ce pays.
Le Mfdc, par la voix de son chef autoproclamé en exil, Nkrumah Sané, a clairement dit que la branche militaire du mouvement, Atika, combattrait aux côtés de l’armée de Jammeh en cas d’intervention de la Cedeao. Plusieurs responsables de ce mouvement, dans leur journal en ligne «Le journal du pays», accablent l’Etat du Sénégal de tous les maux, le rendant responsable d’une situation inacceptable créée par leur allié Yahya Jammeh. Leurs appels au combat aux côtés de Yahya Jammeh barrent la une de leur journal tous les jours. Il faut faire de l’amalgame, faire du problème gambien un problème casamançais pour justifier l’intervention de leurs combattants en Gambie, comme ce fut le cas en 1998 en Guinée Bissau aux côtés du général putschiste Ansoumane Mané. Mais la Gambie n’est pas la Guinée Bissau, du point de vue de la géographie et du point de vue de l’histoire. Et si le Sénégal est intervenu en Guinée Bissau en 1998, à la demande du Président Nino Viera, une éventuelle intervention en Gambie pour chasser le dictateur Yahya Jammeh du pouvoir se fera avec un mandat et des troupes d’autres Etats membres de la Cedeao ; le Sénégal prenant la direction des opérations parce que le déploiement ne peut se faire qu’à partir de son territoire et parce que notre armée connait le terrain gambien mieux que n’importe quelle autre armée de la sous-région. L’armée sénégalaise n’est-elle pas intervenue deux fois en Gambie pour rétablir le régime de Daouda Diawara et y a déployé un bataillon pendant des années sous la bannière de l’éphémère confédération de la Sénégambie, recrutant et formant la plupart des officiers de l’armée de ce pays, dont le Président sortant Yahya Jammeh ?
Ce décor campé, Nkrumah Sané et ses acolytes mesurent-ils toutes les conséquences d’une implication de leurs troupes – le journal de l’opposition gambienne en exil Freedom Newspaper, généralement bien informé, annonce la commande de plus de 1733 uniformes pour les combattants du Mfdc – dans une guerre en Gambie ?
Du point de vue politique, la défaite inéluctable de Jammeh sonnera le glas de la lutte armée du Mfdc en Casamance. Sans base arrière en Gambie et en Guinée Bissau, sans le soutien politique et logistique de ces deux Etats, ou d’institutions dans ces deux Etats, le Mfdc ne peut continuer la guerre de guérilla qu’il mène en Casamance depuis trente quatre (34) ans.
Du point de vue judiciaire, la participation des combattants du Mfdc à la commission de crimes internationaux en Gambie – crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes de génocide ou actes de torture – pourrait engager leur responsabilité à l’instar de Jean Pierre Bemba, jugé actuellement par la Cour pénale internationale à la Haye pour des atrocités commises par ses troupes parties prêter main forte au Président Ange Félix Patassé en République Centrafricaine en 2002. La Gambie est encore membre du Statut de Rome jusqu’à la fin de l’année, si le nouveau président ne retire pas la demande de retrait introduite par Yahya Jammeh, tandis que le Sénégal et la quasi-totalité des Etats européens sont des membres engagés de la Cour. Aucune difficulté technique ou juridique n’empêcherait que Nkrumah Sané et compagnie soient poursuivis devant des juridictions de leurs pays de résidence pour des crimes commis par des troupes sous leur direction, ou sensés être sous leur direction et intervenues en Gambie à leur demande ou par la Cour pénale internationale. Les rebelles en exil et leurs chefs de guerre doivent donc mesurer la portée de leurs déclarations et les conséquences possibles des actes qu’ils posent. L’impunité pour des crimes internationaux n’est plus de ce monde.
En attendant, les Sénégalais doivent garder à l’esprit que ce n’est pas leur pays qui fera, éventuellement, la guerre contre le régime sanguinaire de Yahya Jammeh. C’est l’ensemble des Etats membres de la Cedeao qui feront la guerre, avec le soutien de l’Union africaine et des Nations unies.
Dr Abdoulaye MANE
Expert en développement des collectivités locales
Layemaneh@gmail.com