Incivilités, délinquances et violences électorales

Ouf ! Les élections législatives anticipées du 17 novembre 2024 sont désormais derrière nous, mais sans anicroches. Encore des scènes de violences çà et là : Saint-Louis avec son lot de destructions et d’arrestations, Dakar, avec divers affrontements de rue, mais surtout -et c’est déplorable- la mise à sac du siège de Taxawu par un incendie particulièrement destructeur ; toutes choses qui défient les valeurs de la République et fragilisent notre démocratie. Certes, le phénomène n’est pas nouveau. Il est observable depuis Senghor jusqu’à Sall ; cependant l’ampleur qu’il a connue depuis mars 2021 est sans précédent. Quand les urnes peuvent départager, pourquoi la violence ? La tendance doit-être inéluctablement inversée ! Sinon…
C’est pourquoi J’ai peur. J’ai bien peur pour mon pays. Tout est possible avec ces attitudes de défiance que l’on note, tant du côté du pouvoir que celui de l’opposition. Dans bon nombre de mes articles, je n’ai cessé, comme d’autres sénégalais épris de paix, de tirer la sonnette d’alarme. Il faut que les politiciens, de quelque bord ils se situent, comprennent que ce pays-là ne leur appartient pas. Ils n’ont pas le droit de le brûler ! Et tous les «ingrédients», pour que ce sinistre macabre arrive, sont désormais en place en veille d’élections.
Tout part d’un constant : une véritable crise du lien social qui se manifeste d’abord par la montée des incivilités, des actes de délinquance et du sentiment d’insécurité -pour un oui ou pour un non, on tue- dans les familles, dans la rue et dans certains milieux malsains. C’est ce que le sociologue Sébastien Roché appelle «rupture de l’ordre public, dans la vie de tous les jours, de ce que les gens ordinaires considèrent comme la loi».
Parmi ces incivilités, on peut citer, entre autres, les dégradations de toutes sortes -destruction de biens publics ou privés, voitures et maisons d’autrui incendiées- vitres brisées, impolitesse, insultes, bruits intempestifs, actes de vandalisme. Des actes manifestant une véritable «crise des mécanismes sociaux d’apprentissage du contrôle de soi et du respect mutuel», une «crise du lien civil».
Devant une telle situation, le sentiment le plus partagé est celui, ni plus ni moins, d’une régression du processus de civilisation qui se manifeste par des manquements systématiques au «code des relations entre les personnes». Oui, sinon qu’est-ce qui peut expliquer le réflexe de donner l’ordre de brûler la maison d’un paisible citoyen ?
Cette régression constitue une menace grave, génératrice d’un sentiment d’insécurité, «pour soi, pour le corps social, mais aussi pour le corps propre». Cette dimension identitaire de l’incivilité serait, selon Roché, à relier à l’envahissement d’un sentiment de peur exprimant «l’impossibilité de vivre ensemble, de se faire confiance, de respecter les droits des uns et des autres». Sous ce rapport, un danger social et un risque personnel qui mettraient en cause les règles de la vie sociétaire en jetant le doute sur la possibilité de ce lien social.
Par ailleurs, toutes les analyses des statistiques de délinquance, criminalité et délits… s’accordent à reconnaître que la montée des indicateurs -infractions pénales, atteintes aux personnes et aux biens- constitue un fait réel. Ce phénomène a-t-il motivé le durcissement de la loi 65 – 61 du 21 Juillet 1965, portant Code pénal et celle portant Code de procédure pénale avec les mêmes références que la précédente ? Les points de vue divergent bien sûr selon qu’on se situe du côté du pouvoir ou de l’opposition, ou même simplement du citoyen Lambda, tout à fait neutre dans ses analyses. Je ne suis pas juriste, mais ma conviction profonde est que les destructions des biens privés et publics justifient amplement l’adoption d’une telle loi. Pourquoi brûler les magasins Auchan ? Pourquoi brûler l’université ?
En tout cas, les questions d’insécurité ont envahi la société sénégalaise avec toutes les conséquences qu’on connaît bien : obsession de la protection avec le recrutement de nervis, appels à l’Etat-gendarme, replis individualistes, etc.
Les questions d’insécurité sont bien réelles dans notre société. Il est impossible de ne pas relier cette sorte de «cercle vicieux de la sensibilité civile» à des évaluations lourdes par rapport à l’autorité, aux valeurs et à la norme sociale. Encore faut-il être prudent et bien prendre la mesure des divers facteurs du processus qui touche à la fois le rapport des individus aux institutions -présidence de la République notamment, et prise de certaines décisions qui déclenchent une avalanche de réactions- «bou peunde bi wouré, jamm am». Espérons-le.
Mais si l’on y prend garde, ces formes d’incivilités et de délinquances, même «mineures», peuvent être de nature à constituer les véritables prémices d’une violence politique rampante.
Aussi, la violence et les remous que nous avons vécus perturbent-ils de manière traumatisante notre société dont l’opinion dominante prétendait qu’elle était parvenue à un état de tranquillité intérieure et à un consensus permanent.
Et sous ce rapport, il est nécessaire que nos hommes politiques possèdent en permanence une culture de la paix et évitent en toutes circonstances des termes qui incitent à la violence, comme nous en avons entendu durant la campagne. «Venger», tombé dans le discours politique, comme un cheveu dans la soupe, n’avait pas sa place dans le débat d’idées. Son aspect incongru et indécent a surpris plus d’un.
Toutefois, il faut saluer l’attitude du président de la République qui, dès l’entame, a appelé tous les acteurs politiques à la sérénité. Le jour du scrutin, tout de blanc vêtu avec la première dame, l’a réitéré, montrant ainsi la voie royale, indispensable à tout processus de développement : la Paix.
Jeunesse de mon pays, refusez systématiquement d’obéir aux injonctions subversives ! La violence doit cesser. Ses partisans ont tort. Aucun progrès n’est possible dans une société où prévaut la violence.
De toute façon, moi je ne me tairai pas. La liberté d’expression est une garantie constitutionnelle. Chaque fois que je me trouve devant une situation, qui menace la stabilité de la République, je n’hésiterai pas, sans aucune intention d’offenser ou d’égratigner qui que ce soit, de brandir ma modeste plume et dire ce que j’en pense pour le bien commun.
Pour parvenir à l’éradication de la violence, chacun doit prendre ses responsabilités : certains pensent que la loi telle qu’elle est «forgée» actuellement est de nature à engendrer des émeutes, donc la violence, d’autres incombent la faute à la société et non aux émeutiers ; autrement dit l’inadaptation des institutions et non la délinquance, et proposent la mise en œuvre de politiques publiques à caractère social, qui aboutiraient à donner aux émeutiers potentiels -masse de jeunes chômeurs- une plus grosse part du «gâteau sénégalais». Il faut donc procéder à une modification véritable des pratiques sociales et politiques. «Inutile de mettre un sparadrap sur une tumeur cancéreuse !»
Ni balles ni pierres !
Unissons-Nous : Le Sénégal est notre bien commun !
Yakhya DIOUF
Inspecteur de l’Enseignement
Elémentaire à la retraite