Le combat contre les longues détentions et pour l’indemnisation des victimes de ces pratiques acquittées ou blanchies n’est pas encore gagné par les organisations de défense des droits de l’Homme. Malgré la volonté affichée par les autorités, le mécanisme mis en place pour les indemnisations n’est pas encore fonctionnel. S’agissant des longues détentions, la mise en place des chambres criminelles n’a pas suffi. Il faudra d’autres réformes pour y mettre fin.
La libération simultanée mercredi du jeune Saër Kébé et de l’imam Boubacar Dianko par le juge de la Chambre criminelle a relancé le débat sur les longues détentions et sur l’indemnisation des victimes de telles pratiques blanchies ou acquittées. Jugé pour apologie du terrorisme, Saër Kébé, arrêté il y a 4 ans, a été condamné à 3 mois assortis de sursis pour juste menaces. Imam Dianko a été complètement absous par la justice après 6 ans de prison. Avant lui, d’autres comme l’imam Alioune Ndao et certains de ces co-accusés avaient connu le même sort. Ces derniers poursuivis pour terrorisme ont été acquittés après 5 ans de détention préventive. Tout récemment, au mois de février dernier, l’étudiant Ousseynou Diop, poursuivi également pour apologie du terrorisme, avait bénéficié d’une liberté provisoire après 4 ans de détention avant d’être finalement condamné lui aussi à 3 mois assortis de sursis. Tous ces exemples montrent la pertinence du débat posé sur la question des longues détentions préventives qui sont considérées par certains comme une violation des droits de l’Homme.
Interpellé sur cette question, Me Moussa Sarr, avocat de Saer Kébé, soutient qu’il faut des mesures en amont et en aval pour mettre fin à cette situation. Malgré l’existence d’un mécanisme de réparation institué au niveau de la Cour suprême pour indemniser les victimes de ces abus, Me Sarr informe qu’il n’est toujours pas fonctionnel. D’après lui, l’Etat n’a pas encore mis en place les conditions pour son fonctionnement. Pourtant la «loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et remplaçant la organique n° 2008-35 du 08 août 2008 sur la Cour suprême » qui a été promulguée doit régler cette question. Dans l’exposé des motifs de ladite loi, il est rappelé que «plus de sept années après la création de la Cour suprême née du regroupement du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, l’application au quotidien de la loi organique n° 2008-35 du 08 août 2008 a révélé des difficultés et des insuffisances qui justifient sa refonte». La même loi précise que «les orientations définies s’articulent, pour l’essentiel, autour des objectifs de maîtrise des délais de traitement des affaires, de simplification des procédures et d’utilisation plus rationnelle des ressources humaines». Le texte renseigne que «des innovations significatives ont été introduites dans les règles d’organisation et de fonctionnement». Notamment, le dispositif nécessaire «mis en place pour permettre le fonctionnement de la Commission juridictionnelle chargée de statuer sur les demandes d’indemnité présentées par les personnes ayant fait l’objet d’une décision de détention provisoire et qui ont bénéficié d’une décision définitive de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement». Deux ans presque après la promulgation de cette loi, les choses n’ont pas bougé. C’est du moins ce qu’a fait savoir Me Moussa Sarr qui demande à l’Etat de traduire cette volonté en actes.
Outre le fonctionnement de cette commission, l’avocat soutient qu’il faut d’autres réformes dans le code de procédure pénale. Pour Me Moussa Sarr, il faut limiter «les pouvoirs exorbitants du procureur» et instituer un juge des libertés et de la détention. D’après la robe noire, ce dernier qui sera indépendant va apprécier le bien-fondé de la poursuite pour éviter les longues détentions. De même, il estime qu’il faut limiter la période de détention préventive à un an. Dans ses explications, Me Moussa Sarr souligne qu’il s’agira de donner un délai d’un an au juge d’instruction pour boucler son dossier. Cela, estime-t-il, permettra d’éviter les longues détentions et de consolider les droits de l’Homme.
L’ex-ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall, avait manifesté la volonté d’aller vers ces réformes. Maintenant la tâche revient à son successeur Me Malick Sall, qui a la responsabilité de traduire cette volonté en actes pour mettre fin à ces longues détentions provisoires et aussi rendre fonctionnelle la commission d’indemnisation.
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