Inefficacité et inefficience des politiques de subvention à la production agricole sénégalaise : Où faudra-t-il chercher la racine du mal ?

L’agriculture joue un rôle primordial dans la croissance économique d’un pays. La viabilité des autres secteurs (secondaire et tertiaire) est intimement liée au dynamisme de celle-ci. Au Sénégal, elle emploie environ 46% de la population active et contribue à hauteur de 16% du Pib (Banque Mondiale 2020).
Au regard de son rôle déterminant dans l’économie, l’Etat du Sénégal, à travers les différents régimes qui se sont succédé au pouvoir, a accordé une place de choix au secteur agricole dans le cadre de sa politique de développement. C’est dans cet ordre d’idées que des subventions sont opérées dans la production, par la mise à la disposition d’intrants et de matériels agricoles subventionnés aux agriculteurs. Des milliards sont ainsi injectés dans le secteur, chaque année, pour permettre aux producteurs de bien démarrer la campagne.
La subvention, une politique mondiale
La subvention peut être définie comme une aide financière de l’Etat ou d’une entité étatique à une personne physique ou morale pour favoriser ou financer le développement d’une activité d’intérêt général. Dans le domaine de la production agricole, il s’agit de doter les producteurs de moyens de production (semences de qualité, engrais, matériels agricoles, fongicides, etc.). Cette politique est au cœur des préoccupations de beaucoup de gouvernements. Aux Etats-Unis, par exemple, elle est prise en compte par le ‘’Agricultural Adjustment Act ‘’ de 1933 qui a été promu par le Président Roosevelt dans le cadre de sa célèbre politique du New deal. En Europe, la Politique agricole commune (Pac) de l’Union Européenne, mise en place en 1962, obéit à la même logique.
Evolution des politiques de subventions agricoles
Au Sénégal, des subventions à la production agricole sont opérées depuis l’Indépendance. En effet, à partir de 1960, la politique agricole sénégalaise est marquée par une intervention de l’Etat à tous les stades, de la préparation de la campagne agricole à la commercialisation. L’économie du pays reposait presque sur la traite de l’arachide. Cette dernière représentait plus de 80% des exportations, employait 87% de la population active et couvrait plus de la moitié des terres cultivées (Freud et al, 1997). Il fallait, dès lors, soutenir davantage le secteur et responsabiliser ceux qui le nourrissent.
De 1980 à 2000, le secteur sera marqué par un désengagement de l’Etat suite aux Politiques d’ajustements structurels (Pas) imposées par les institutions de Breton Woods. Ce désengagement s’est manifesté, entre autres, par l’arrêt des subventions et la libéralisation du secteur.
En 2008, en réponse à la crise alimentaire mondiale qui secoua le monde, l’Etat sénégalais décida de renforcer fortement le dispositif de soutien au secteur en lançant la Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance (Goana).
L’année 2013, quant à elle, sera particulièrement marquée par la mise en place, par le Président Macky Sall, du Programme de renforcement et d’accélération de la cadence de l’agriculture sénégalaise (Pracas). Ce dernier constitue le volet agricole du Pse, élaboré pour le développement économique et social du Sénégal à l’horizon 2035. Son projet phare pour relancer la production agricole et accompagner les ménages ruraux est le programme de subvention d’intrants agricoles qui comprend des semences, des engrais et, plus récemment, du matériel agricole. La volonté politique affichée dans le Pracas est de faire de l’agriculture ‘’le moteur de la croissance économique’’ du pays. Ainsi, le budget total que l’Etat a consacré au secteur a presque doublé entre 2010 et 2014 en passant de 136 milliards de FCFA à 264 milliards (Ipar 2015).
Mais, malgré tous les efforts consentis par le gouvernement, la politique de subvention a montré ses limites. Son efficacité est aujourd’hui sujet à débattre.
Des milliards injectés sans produire les effets escomptés
Le but de la subvention est de porter la croissance du pays, par l’augmentation de la production et de développer le monde rural. Cependant, malgré les importantes ressources financières affectées au secteur agricole, il se pose un problème réel d’efficacité de cette politique de subvention. Pour produire, les agriculteurs comptent, en plus d’une bonne pluviométrie, sur les facteurs de production. Véritable casse-tête pour la plupart des producteurs aux ressources financières limitées, la question de la disponibilité à temps de ces facteurs de production (de l’engrais surtout) surgit à l’approche de chaque hivernage. La campagne agricole de cette année aura particulièrement été marquée par une augmentation du prix de l’engrais et de l’urée. Pire, les producteurs du pays peinaient à trouver ces produits.
Il est malheureux de devoir le dire, cette subvention enrichit une bande de politiciens au grand dam des paysans. Ceux qu’on appelle les ‘’gros producteurs’’ ne produisent pas plus que les ‘’petits producteurs’’. Ils sont le plus souvent des agriculteurs du dimanche, composés pour la plupart de marabouts, de membres du gouvernement, entre autres. Ces goulots étranglent le secteur primaire sénégalais de par leurs agissements. Ils captent les subventions et les revendent à des prix deux à trois fois plus chers contrairement aux vrais producteurs. Parfois, ces produits issus de la subvention se retrouvent dans la sous-région. Par ce phénomène, le Sénégal subventionne indirectement l’agriculture de certains de ses pays voisins.
Réinventer la subvention agricole
Nous pensons que les milliards injectés, presque inutilement, dans la subvention à la production peuvent être réorientés dans la commercialisation, la mise à disposition sur le marché de semences capables de résister aux aléas climatiques. En effet, dans la pratique, beaucoup de paysans, les petits producteurs surtout, ne bénéficient pas de cette subvention. Ceux qui ont la chance d’en bénéficier ne touchent que quelques graines, souvent à la suite d’interminables va et vient au niveau des points de distribution. La part reçue est le plus souvent calculée au prorata des têtes imposables pour lesquelles le bénéficiaire a payé l’impôt rural. Cette année, une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux a montré l’amertume des paysans d’un village du Sénégal. En effet, plus de cent chefs de ménages devaient se partager seulement 3 sacs d’engrais au moment où le l’Etat sénégalais, au nom de la coopération bilatérale, a octroyé plus de mille tonnes de semences et d’engrais à la Guinée Bissau.
Pourtant, le budget du ministère de l’Agriculture pour l’année 2021 est estimé à 170,915 milliards, soit une hausse de 12,41% par rapport à 2020. Mais malgré cette importante somme injectée dans le domaine, le recours à l’engrais demeure faible dans le monde rural. Certains producteurs, contraints par leur trésorerie, se passent de cet élément, désormais essentiel pour les cultures, du fait de la dégradation manifeste des sols. Ceci est bien aux antipodes de la recommandation de la déclaration d’Abuja de 2006 dans laquelle les dirigeants africains ont pris l’engagement d’accélérer l’accès des agriculteurs à des engrais abordables ainsi que d’accroître le niveau d’utilisation des engrais (d’au moins 50 kg d’éléments nutritifs par hectare de terre arable).
De la nécessité d’assainir le circuit de distribution
Il est clair que l’opacité qui caractérise la distribution des intrants est inquiétante. En réalité, la pluralité d’intermédiaires qui se dressent entre l’Etat et les producteurs infeste le circuit de distribution. Des efforts tendant à assainir ce circuit devraient être consentis par les pouvoirs publics, au grand bénéfice des producteurs, surtout les détenteurs des exploitations familiales (qui représentent 95% des terres agricoles, selon RuralStruc), largement désavantagés par rapport aux gros producteurs.
Au Sénégal, le manque d’une politique d’évaluation et de définition de la trajectoire des subventions et leur impact sur la production sème de gros points d’interrogation sur les motivations réelles des pouvoirs publics. L’on serait tenté de croire que le choix de subventionner la production agricole est guidé par l’ambition d’alimenter un bétail politique pour espérer une meilleure récompense lors des échéances électorales. Nous en voulons pour preuve les révélations faites par l’ancien Vice-président de l’Assemblée nationale, Moustapha Cissé Lo, sur le manque d’équité et de transparence dans la distribution de ces subventions. De sérieuses études doivent être menées par le gouvernement pour mesurer le rapport subvention /productivité et croissance économique. Des données sur l’impact réel de ces subventions sur la lutte contre la pauvreté en milieu rural doivent aussi être fournies.
Un monde rural pauvre, une sécurité alimentaire menacée
La pauvreté reste la chose la mieux partagée dans la plupart des villages du Sénégal. C’est du moins ce qui ressort du récent Rapport harmonisé sur les conditions de vie des ménages au Sénégal (Rhcvm) publié en septembre 2021 par L’Ansd. Selon le rapport, plus de la moitié de la population rurale (53,6%) vit sous le seuil de la pauvreté. Ce taux, qui était de 46% en 2011 (Banque mondiale, 2020) a donc connu une hausse de 7,6 %. Selon ce même rapport, 5 540 856 personnes sont en situation d’insécurité alimentaire.
On le voit clairement, la politique de subvention n’a pas permis d’atteindre les objectifs de réduction de la pauvreté en milieu rural et d’amélioration de la sécurité alimentaire. Pourtant, dans la Lettre de politique sectorielle de développement de l’agriculture (Lpsda), l’Etat du Sénégal s’est fixé l’objectif, sur la période 2019-2023, de rendre l’agriculture sénégalaise ‘’productive, compétitive, diversifiée, pourvoyeuse d’emplois et durable’’.
En définitive, force est aujourd’hui de reconnaître que le secteur agricole sénégalais broie du noir. En plus d’une politique de subvention à la fois inefficace et inefficiente, il doit faire face à une multitude de défis parmi lesquels on trouve le problème de la dégradation des sols dans plusieurs régions du pays, la forte dépendance des systèmes de production aux aléas pluviométriques, les conflits fonciers, la démographie galopante, la vétusté et l’insuffisance du matériel agricole, l’autosuffisance et la sécurité alimentaires, le problème de la salinité des sols dans certaines régions à fort potentiel agricole comme Fatick, les dangers liés à l’aflatoxine, l’éternel problème de la commercialisation (de l’arachide surtout) etc.
Nous sommes bien au fait du rôle de catalyseur que l’agriculture joue dans l’économie du Sénégal. Mais, pour lui permettre de jouer pleinement ce rôle, il faut dès lors s’attaquer à tous ces goulots qui l’étranglent. C’est là justement que nous l’entendons.
Ibrahima DRAME
Credit & Collection junior specialist
PEG Sénégal
idrame@pegafrica.com
2 Comments
Une analyse tres pertinente
10 hectares dans la commune de merina dakhar