En 2003, alors que Monsieur Macky Sall était ministre de l’Intérieur, j’avais essayé d’attirer son attention, lors d’une de ses visites à la Dagatt où j’étais en service. A sa question «Ça va ?», j’avais répondu spontanément «non» et tenté d’expliquer que nous étions trois instituteurs qui avions réussi à un concours très sélectif et suivi une formation très rigoureuse à l’Ecole nationale d’administration (Ena) sans, au finish, aucun avantage au point de vue salarial. Je me souviens encore de sa réponse : «Comment ça ?!!»
Je voudrais, ici, expliquer plus clairement la situation que beaucoup de fonctionnaires, surtout ceux qui étaient enseignants comme moi, ont vécue et vivent encore après avoir poursuivi leurs études et changé de corps.
Jusqu’au milieu des années 80, il fallait un «certificat de cartouche» pour qu’un étudiant soit autorisé à faire un concours du niveau du baccalauréat. J’étais déjà inscrit à l’université quand j’ai appris que l’ancienneté requise pour qu’un instituteur adjoint fasse le Cap allait être ramenée de quatre à deux ans. J’ai alors fait le concours de l’enseignement du niveau du Bepc (actuel Bfem) pour être instituteur adjoint (Ia), agent de la hiérarchie C2, après un an de formation.
Malheureusement cette information n’était pas actée, il m’a fallu donc attendu les quatre ans pour faire le Cap et devenir instituteur (hiérarchie B3, avec un indice de début et de fin variant entre 1298 à 2467).
Il faut rappeler que pour passer d’instituteur adjoint à instituteur, il faut faire une épreuve à l’écrit et une pratique en classe, il n’y a donc pas de formation pour passer de la hiérarchie C2 à la hiérarchie B3. J’ai, en plus, bénéficié d’un report de 40% de mon ancienneté et ai intégré le corps des instituteurs (instituteur2/1) avec 1 an 7 mois 6 jours d’ancienneté. Il ne me restait donc plus que 4 mois 24 jours pour passer à l’échelon supérieur, c’est-à-dire à instituteur 2/2.
En l’an 2000, instituteur1/3 (indice 2020) après 16 ans 11 jours dans l’enseignement, j’ai tenté et réussi le concours de l’Ena cycle B. Après deux ans de formation, je suis nommé dans le corps des Secrétaires d’administration-Rédacteurs-Intendants 2/1 au 21-10-2002, hiérarchie B2. La Direction de la Solde n’a pris en compte ce changement qu’en février 2004 avec, comme effet, la chute de l’indice de 2020 à 1484 et le versement d’une indemnité différentielle dégressive qui ne s’éteindra qu’en septembre 2010.
En d’autres termes, l’agent de l’Etat que j’étais déjà, a été considéré, avec le changement de corps, comme un «direct» (une nouvelle recrue) sauf que mon salaire n’avait pas diminué en vertu du principe de l’avantage acquis. En fait, je percevais le même salaire que les nouveaux sortants, majoré d’une indemnité différentielle résorbable par le jeu des avancements (article 22 de la loi 61-33 du 15 juin 1961, modifiée), pendant que mes «promotionnaires» enseignants et secrétaires d’administration avançaient de manière automatique et au choix et percevaient, à chaque fois, un plus sur leurs salaires.
En pratique, tous mes avancements, donc toutes les augmentations subséquentes n’auront comme effet que la diminution de l’indemnité différentielle. Cela a duré de février 2004 à septembre 2010, soit 6 ans et 7 mois.
En mars 2015, je suis passé Secrétaire d’administration principal 2/2, avec comme indice 2358 et ce sera mon dernier avancement car jusqu’en janvier 2019 (soit 4 ans), date de mon départ à la retraite, l’indice et le salaire indiciaire n’ont donc pas bougé !
Entre temps, en 2010, j’avais réussi aux tests de l’Ecole nationale d’Economie appliquée (Enea devenue Esea) et suivi une formation de deux ans pour obtenir le diplôme d’ingénieur des travaux en développement urbain qui m’a permis d’intégrer le corps des Aménagistes- urbanistes, hiérarchie A3. Le décret portant intégration dans ledit corps ainsi que les différents avancements y afférents n’ont jamais été pris en compte par la Direction de la Solde, m’évitant heureusement de subir une autre indemnité différentielle.
J’ai pris ma retraite en janvier 2019, après 34 ans 06 mois 24 jours (16 en tant qu’enseignant, 2 ans à l’Ena et 16 comme secrétaire d’administration) de services admissibles pour la liquidation de la pension, à l’indice 2358, alors que certains de mes «promotionnaires» instituteurs qui ont d’ailleurs eu le Cap bien après moi, ont atteint l’indice 2467.
Ils avaient ainsi :
5637 F de plus sur leur salaire indiciaire
et au finish 27 900 F de plus sur le total des gains,
alors que nous avons la même ancienneté dans l’administration et j’étais à une hiérarchie supérieure à la leur.
Signalons que cet écart aurait été plus important si, en octobre 2006, l’indemnité de responsabilité des sortants de l’Ena n’avait pas été revue à la hausse !
Ce déséquilibre, en faveur de mes «promotionnaires» enseignants, est encore de mise sur la pension de retraite. La raison ? J’ai réussi à un concours et fait d’autres études !
Un agent de la Direction de la Solde m’avait pourtant prévenu au cours d’un échange en ces termes : «Si vous pouviez réintégrer le corps des Instituteurs avant la retraite, vous aurez une pension plus consistante.» J’avoue que je n’avais pas cru à ses propos parce qu’il me semblait irrationnel et impossible de sanctionner négativement un agent qui se bonifiait par la formation.
Beaucoup d’agents de l’Etat, comme moi ont, soit réussi à des concours, soit payé de leurs poches, soit bénéficié de la prise en charge financière de l’Etat, pour, au terme des formations à distance ou en présentiel après les heures de travail, être rétrogradés !
J’ai appris plus tard que certains parmi eux, plus avisés que moi, avaient préféré ne pas être reclassés pour ne pas voir leur salaire diminué.
Il faut convenir qu’il s’agit là, ni plus ni moins, que d’une singulière façon de décourager ceux qui cherchent la promotion par la formation continue diplômante mais aussi et surtout d’une injustice inqualifiable à l’endroit des agents qui veulent une mobilité professionnelle tout en continuant à servir leur Etat à la hauteur de leurs potentialités et des nouvelles compétences acquises.
Pourtant tous les agents ne subissent pas cette iniquité. En effet, un instituteur adjoint qui réussit à l’écrit du Cap et à la pratique de classe, sans faire une autre formation professionnelle, est reclassé Instituteur avec en prime 40% de son ancienneté, comme ce fut mon cas.
En plus, un instituteur peut accéder au corps des professeurs soit par voie du concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure (Ens) soit par simple cooptation s’il était déjà chargé de cours au moyen-secondaire. Pendant sa formation à l’Ens, son ancienneté court et dans les deux cas, il bénéficie à terme de 40% de son ancienneté en intégrant le corps des professeurs avec ainsi toutes les chances de «plafonner» dans son nouveau corps avant la retraite.
Pourquoi applique-t-on alors aux autres agents du même Etat le système d’indemnité différentielle qui bloque leurs rémunérations pendant plusieurs années ? Tous ces agents ne servent-ils pas le même Etat ?
Si l’équité signifie qu’il faut traiter tous de manière juste, égalitaire et raisonnable aussi bien pour les avantages que pour les sanctions négatives, ce qui est accordé aux uns doit au moins l’être aux autres , surtout s’ils font d’autres années de formation professionnelle !
L’équité voudrait en l’espèce que soit répliqué ce qui se fait pour les enseignants à tous les autres agents qui servent la même administration. Celui qui change de fonction après une formation, doit donc bénéficier d’abord d’un report de 40% de son ancienneté et, ensuite et au besoin, d’une indemnité différentielle qui sera de ce fait résorbée plus rapidement.
Cela aura le mérite de permettre à l’agent qui s’est bonifié d’avoir un avantage sur les «directs», (justifié par le fait qu’il a servi l’Etat avant eux) et de lui éviter d’être dépassé au niveau de l’indice par ses «promotionnaires» du corps qu’il a quitté.
Dans mon cas, après reclassement, l’indice avait chuté de 2020 en 2000 à 1484 en février 2004. Si j’avais à conserver 40% des 16 ans 11 jours passés dans l’enseignement, j’aurais commencé dans le corps des Secrétaires d’Administration (SA) avec 6 ans 4 mois d’ancienneté comme SA 1/1 à l’indice 1881 (soit 397 points de plus que l’indice 1484 de rétrogradation).
De ce fait, au prochain avancement (SA 1/2, indice 2047), j’allais atteindre et même dépasser légèrement l’indice que j’avais en tant qu’instituteur et l’indemnité différentielle serait éteinte. C’est dire que la perte est aussi énorme que démotivante.
Si à l’entame j’ai évoqué la question du certificat de cartouche qui était en vigueur jusqu’au milieu des années 80 et qui avait porté préjudice à beaucoup d’étudiants à l’époque, c’est pour souligner que cet obstacle a aujourd’hui été levé, par une décision salutaire. Par conséquent, il est toujours possible et nécessaire de changer des dispositions qui vont à l’encontre des intérêts des populations, des agents de l’Etat en particulier. Dans la même veine, le recours exclusif à l’indemnité différentielle, qui a tant nui aux intérêts des travailleurs qui gravissent les hiérarchies, doit être reconsidéré.
Cette proposition peut être prise en compte dans la nécessaire et inévitable réforme du système de rémunération des agents de l’Etat qui est un point de revendication de certains secteurs, notamment les enseignants et les agents de la santé.
Cette réforme pourrait être salutaire pour tous les corps, surtout ceux qui n’ont ni force de pression, ni syndicat ni instance où ils peuvent poser leurs doléances ou revendications, alors qu’ils font partie des plus lésés.

Zaïnoul Abédine DIAGNE
Retraité du Bureau de Suivi
de l’Inspection générale des Finances
du Ministère des Finances et du Budget