L’Afrique et le monde souffrent de leur système alimentaire. Autre chose est possible, et les graines oubliées d’Afrique peuvent participer à l’avènement de cet autre possible. Sos Sahel se propose d’arroser…Par Moussa Seck – 

Manger des yeux, manger des oreilles : manger avec la bouche, ici, est l’acte d’alimentation le plus trivial. Manger en marchant, manger en consommant de la photographie : la langue, ici, n’est pas le seul organe à se délecter. Manger en écoutant la science, manger en s’instruisant : ici, manger est aussi un acte d’esprit, et pas que de chair. Ici, l’Institut français de Dakar. Aujourd’hui, 27 juin 2023, pour parler, avec Sos Sahel qui convie, des graines africaines d’hier dans un contexte mondial où il devient urgent de repenser le système alimentaire.
Ici donc, du mil et du manioc. Ici, du fonio. On se balade alors dans le jardin de l’institut, pour pister des graines semées sur cette table, en poudre et présentées dans ce sachet, dans des calebasses pour exposition, dans de plus petites calebasses pour dégustation. Ici, Pierre Thiam. Chef Pierre Thiam : cuisinier sénégalais basé aux Etats-Unis. Il ne sera pas dégusté de Penda Mbaye, à l’occasion des Africa Days de Sos Sahel. Une anormalité, dirait un esprit formaté à ne consommer que du riz à midi. Et ça devrait être une banalité, que de manger autre chose que ce patrimoine sénégalais. Fonio, mil, sorgho, feuilles de baobab, moringa : «ces produits ont un rôle tellement important à jouer, parce qu’ils offrent des solutions à beaucoup de challenges auxquels nous faisons face, des challenges planétaires», prêche Pierre. Pour ce dernier, «le système alimentaire doit changer son design et faire en sorte que nous puissions intégrer ces produits-là, le faire de façon durable». Et cela suppose : «supporter les paysans, les zones rurales, qui cultivent» et qui «doivent être accompagnés par la recherche scientifique, nos gouvernants, les investisseurs, les producteurs de marchés comme les chefs cuisiniers, les entrepreneurs».

Graines d’espoir
Dans le jardin de l’If, Sos Sahel et ses invités aux Africa Days ont déjà entamé le travail de réaménagement des habitudes de consommation. Des coopératives ont répondu à l’appel, ainsi que des entités plus industrialisées. Aussi ne pense-t-on pas que local, lorsqu’on parle des graines oubliées d’Afrique et de ce qu’elles sont en capacité d’apporter. Sur les tables, on voit disposés des sachets de chips… à base de fonio. Œuvre du chef sénégalais des Etats-Unis. Pierre Thiam est aussi entrepreneur social et ses chips d’un genre nouveau se vendent dans les supermarchés de chez l’Oncle Sam. En plus des chips, d’autres produits dérivés. En plus de ceux-là, introduction du fonio dans d’autres industries telles que les brasseries. C’est dire… Tout cela se décline à partir d’une vision qui est de créer une demande pour les produits issus des graines, en n’oubliant aucunement la nécessité, quand on a créé la demande, de faire en sorte que la source soit là pour répondre à cette demande. Sans sa disponibilité, disruption du marché. Et M. Thiam de prévenir : «Ce qui risquerait de nous faire perdre ces produits-là, parce que dès que la demande est créée, le marché global va commencer à chercher une façon de trouver des solutions et ils vont commencer à faire ces produits chez eux.» Chez eux : hors Afrique. Et eux n’y iront pas de main morte. La production sera intense selon le chef,  qui souligne que ça «va être une compétition au détriment de nos producteurs locaux». «Donc, poursuit-il, il faut que nous sachions non seulement répondre à la demande, mais qu’on le fasse ici.» Il nous faudra «aussi investir dans la transformation de telle sorte que nous créions avec ces produits un modèle de développement pour l’Afrique». De la volonté politique à l’importance du branding, en passant par le marketing, la recherche scientifique pour valoriser les graines africaines, la création des chaînes de valeur, tout passe sous l’analyse de Pierre Thiam.
D’une part donc, le local et, d’autre part, le global. Ce, parce que l’Afrique fait partie d’un système alimentaire global malade, lui aussi, de ses habitudes de consommation, de son système de production. Sont diagnostiqués des problèmes globaux de santé liés à la bouffe. Sont constatés des problèmes d’ordre climatique liés au système d’agriculture actuel. A cela s’ajoute la démographie au niveau mondial. Et c’est là autant d’ingrédients qui participent à la cuisine d’on ne sait quelle catastrophe, qu’anticipe le faiseur de chips au fonio. «C’est un problème planétaire, existentiel : soit on diversifie notre régime alimentaire, soit notre planète va vers un crash.» Et les graines de l’espoir, croit Pierre Thiam, peuvent être semées à partir du Sahel, afin de répondre au Sos d’une plante en détresse.