Al Amine Kébé, économiste, assure que l’implantation des multinationales de grande distribution constitue un échec de nos politiques économiques. Il suggère un changement de modèle en insistant sur la promotion de la production locale.

L’économiste Al Amine Kébé, chargé des Partenaires stratégiques avec les institutions financières internationales pour un meilleur accès à la couverture universelle en santé à l’Oms, fait partie de ceux qui luttent contre l’implantation des enseignes de grande distribution au Sénégal. Il ne mâche pas ses mots pour dénoncer leur insertion fracassante dans le tissu économique national. Il dit : «Dans le modèle économique le plus basique, on vous dit que l’importation est un frein à l’économie, mais nous notre problème il est là. Pourquoi on ne va pas faire la promotion de nos mamans qui font la culture dans les périmètres maraîchers au lieu d’aller importer tous ces produits ?» Il dénonce un système d’importation érigé en règle : «En plus, ce ne sont pas de bons produits. Nous sommes exotiques, nous préférons acheter du beurre Président plutôt que d’exploiter le lait qui est produit par nos éleveurs. Non, le modèle occidental n’est pas un modèle qui fonctionne, ni un modèle qui fait la promotion de nos fondamentaux sociaux. C’est un modèle importé qui n’a jamais réussi nulle part», explique M. Kébé, rappelant «qu’un pays qui n’a pas 20% de sa production nationale en épargne ne peut pas prétendre décoller».
Dans le même sillage, il indexe le taux d’endettement qui plombe l’économie nationale. «L’endettement du Sénégal était multiplié par 3,5 sur ces 7 dernières années, c’est inacceptable. Et quel est le résultat de l’endettement ? Est-ce qu’on a augmenté le taux de scolarisation ? Est-ce qu’on a augmenté le taux de couverture sanitaire, etc. ?», s’interroge-t-il. Il regrette la reproduction de modèles qui «ont échoué» au Sénégal. «On ne peut pas dire que nous avons réussi si nous avons 40% de nos populations de moins de 20 ans qui n’ont pas de métier, ni de formation professionnelle solide. Nous avons 20% de nos enfants de moins de 6 ans qui ne sont pas à l’école et nous continuons de voir des enfants qui meurent de rougeole. Une maladie que l’Europe a éliminée depuis 250 ans», appuie Al Amine Kébé. Il estime «qu’il suffirait d’avoir une inscription dans le budget de l’Etat de 100 millions par année pour que la rougeole ne tue plus un enfant dans ce pays. On dépense plus de 100 milliards sur des futilités et on laisse nos enfants mourir de rougeole. Ce n’est pas un modèle qui marche», dénonce-t-il. Avant de renchérir : «Si vous êtes capables de donner 5 milliards à 10 personnes pour qu’elles aillent se soigner en France et que vous avez vos blocs opératoires qui souffrent de matériaux de base dans les départements du Sénégal, il faut accepter que vous avez échoué. Et ça c’est le cas du Sénégal.»
Il recommande ainsi le retour à l’école des anciens pour s’assurer que l’alimentation, l’eau potable, l’accès au toit, l’utilisation de l’énergie «qui ont des déficits dans notre pays» deviennent non plus une demande, mais une satisfaction totale pour assurer le bonheur de la communauté. «Ça a marché au Baol avec Cheikh Ahmadou Bamba, à Diacksao avec El Hadji Malick, au Fouta avec Cheikh Oumar Foutiyou. On ne peut pas dire aujourd’hui qu’on a tant de mosquées ou tant de daaras alors que nos enfants traînent dans les rues. C’est inacceptable. Il faut revenir au modèle des anciens», conclut Al Amine Kébé qui a fait cette sortie hier, lors d’une rencontre dénommée «Gingembre de Dakar».