Installée à New York depuis plus de dix ans, la photographe franco-sénégalaise, Delphine Diallo, vit ses expériences artistiques pleinement, en se concentrant, entre autres, à la valorisation des femmes et des mouvances culturelles liées à celles-ci sur le continent africain durant l’Histoire. En voulant parler du passé, et en voulant valoriser l’importance des femmes dans l’histoire des sociétés africaines, Diallo a décidé, il y a un peu plus d’un an, d’utiliser l’Intelligence artificielle pour l’accompagner dans les créations photographiques de son dernier projet, «Kush», exposé en ce moment au musée Picto de New York. Reportage.
Les clichés sont d’une précision rare, unique, presque troublante de réalisme. Détails de pigmentation, paysages qui rappellent l’Ethiopie, l’Egypte, mais aussi touches futuristes avec des costumes et tenues dorés qui rappellent certains classiques de science-fiction. Actuellement présentée au musée Picto de Brooklyn, l’exposition Kush, de l’artiste franco-sénégalaise, Delphine Diallo, est une rencontre entre le passé et le futur, avec, toujours, les femmes au centre de l’œuvre. «L’histoire oublie un peu trop souvent la place des femmes dans les sociétés, dans les sociétés africaines très patriarcales, alors que celles-ci ont eu, et ont encore de très nombreux exemples de groupes dont les femmes étaient/sont les leaders, les piliers de ces structures», précise Diallo. «Avec l’exposition Kush, j’ai voulu parler de celles dont on ne parle que trop peu dans les livres d’histoire. Une sorte d’hommage aux femmes noires de cette région qui couvrait une partie de l’Egypte et de l’Ethiopie actuelles, et qui étaient très importantes dans l’organisation de leur société.»
L’idée originale de l’exposition est venue après un voyage en Egypte de la photographe, et des observations sur le terrain, mais aussi de longues heures passées à lire les œuvres de Cheikh Anta Diop et ses écrits sur les liens entre l’Egypte, l’Ouest de l’Afrique et l’importance de la femme dans les sociétés du continent. A cela, Diallo a voulu apporter une touche futuriste, avec l’utilisation de l’Intelligence artificielle, pour créer des clichés qui mélangent le passé et des projections d’avenir. «La mention d’Intelligence artificielle fait peur à beaucoup de monde, mais pour Kush et mes créations pour cette exposition, j’ai senti que mes idées et la technologie allaient de pair», souligne-t-elle. «J’ai donc pris le taureau par les cornes, et je me suis lancée. Ça m’a ouvert des perspectives, et j’ai pu sortir plusieurs centaines de clichés, pour, au final, en garder une trentaine. C’est un monde infini, qui permet de produire des créations qui plongent au plus profond de l’imaginaire et des observations de chacun. J’ai pris une claque énorme, et je pense qu’on n’est qu’au début de l’utilisation de l’Ia dans l’art.»
Autre détail qui a son importance, les yeux ont été le point de départ de la création de ces images de femmes. Et leurs expressions, la profondeur de leurs regards ont été cruciales dans le développement de chacun des portraits. «Les yeux sont pour moi d’une importance centrale. C’est une partie du corps qui est d’une beauté inouïe et qui permet aussi de faire passer des sentiments, des émotions. Si le regard, les expressions des yeux ne me plaisaient pas, je ne conserverais pas le cliché», précise Diallo.
Déconstruire les clichés et célébrer les femmes noires
Au-delà de l’exposition Kush, Diallo a toujours voulu célébrer les femmes noires, montrer la beauté et les histoires de celles dont la société occidentale et la société patriarcale ont toujours voulu minimiser, voire nier l’existence. «La manière dont j’exprime mon art est guidée par les femmes, par le respect, l’amour. Le but est de rendre plus connues, plus visibles les histoires de celles-ci, qu’elles viennent de Dakar, du Caire, d’Addis Abeba ou bien de Nairobi», sourit Diallo. «L’histoire a beaucoup trop minimisé l’apport des femmes dans la société, et les exemples venus d’Afrique sont caractéristiques de cela, car de grandes ethnies ont été dirigées, portées par des groupes de femmes. Il est temps de mettre les femmes noires dans la conversation, et de leur rendre hommage à leur juste valeur. Il ne faut jamais effacer l’impact historique de celles-ci, jamais !»
Diallo, qui a grandi dans une famille franco-sénégalaise, a toujours été au milieu de l’art, entre la musique, le design et la photo. C’est une rencontre avec le célèbre photographe américain, James Beard, qui a changé sa vie. L’artiste a pris une nouvelle dimension. «J’ai pu prendre conscience de plusieurs choses : que la femme devait être déconstruite de l’hypersexualisation qui l’entoure, mais aussi qu’il fallait casser ces codes, ces clichés racistes et sexistes qui entourent la femme, noire essentiellement», précise-t-elle. Il y a une quinzaine d’années, Diallo s’installe aux Etats-Unis et prend cette mission à cœur de parler des femmes, de prendre les femmes comme centre de réflexion, de création artistique. «J’ai pris beaucoup de portraits de femmes que j’ai hébergées chez moi à Brooklyn, pour montrer les beautés, mais aussi les émotions que chacune peut éprouver», explique-t-elle. «J’essaye un peu de casser les codes des portraits classiques, en ajoutant des touches personnelles, des objets par exemple, des tenues, mais aussi en puisant une certaine inspiration dans l’expression de la spiritualité et dans mes expériences (voyages ou lectures) personnelles».
Aux Etats-Unis, Diallo précise profiter d’une «grande liberté, mais aussi d’une curiosité des amateurs d’arts et des novices, mais aussi de voir mon travail être valorisé comme nulle part ailleurs, ce qui est toujours très motivant et pousse encore et encore à créer de l’art, malgré l’hypercompétitivité du marché américain», tout en étant fière de pouvoir exposer à Paris, où elle se rend souvent, à Londres, mais aussi à Tokyo. Malgré ses succès artistiques, Delphine Diallo ne perd pas son objectif principal, mettre la lumière sur les femmes, et veut continuer d’explorer ses champs des possibles avec l’apport de l’Intelligence artificielle comme l’un de ses supports de prédilection. «L’Ia est une source infinie, et on n’est encore qu’aux prémices de son utilisation, surtout dans le monde de l’art. C’est clair qu’il faut encore maîtriser beaucoup d’aspects, mais j’y vois un outil de création assez exceptionnel, qui peut permettre d’aller encore plus loin que ce que l’imagination de chacun peut créer ou visualiser. Je vais continuer à m’en servir, même si je continue aussi de développer des projets plus photographiques, classiques également», sourit l’artiste.