Avec ses formes replètes et ses sonorités rondes, c’est l’une des guitares électriques les plus célèbres au monde. A l’occasion de ses 70 ans, la Gibson Les Paul est jusqu’au 31 décembre, au centre d’une exposition temporaire au MuPop, le Musée des musiques populaires de Montluçon. Pourquoi la Gibson Les Paul plus que la célébrissime Fender Stratocaster, par exemple ? «Ce qu’il y a de très touchant, c’est que cet instrument est intimement lié à un personnage. Les Paul était une star du jazz et il s’agit de son modèle signature. Surtout, c’est une histoire pleine de déconvenues et de succès. Cette guitare s’est complètement plantée à l’origine et elle a été ressortie du placard quelques années plus tard», explique Julien Bitoun, commissaire de l’exposition et auteur d’un livre à paraître en fin d’année. Les Paul, le son du rock a 70 ans s’adresse aux curieux comme aux passionnés. Au début de ce parcours qui tient en une grande pièce, une chronologie fait évoluer le modèle phare de la marque américaine, Gibson, dans l’histoire globale de la guitare électrique et celle des grands disques du rock. Puis, il y a des vitrines remplies de guitares et de nombreux points d’écoute au casque pour la musique. «J’ai tenté de concevoir une exposition la plus accessible et la plus pédagogique possible, de façon à ce que personne ne soit largué. Il a fallu trouver un juste milieu entre l’histoire des modèles et l’histoire des musiciens qui s’en sont servis», précise Julien Bitoun.

Une guitare née trop tôt
Créée en 1952 pour le musicien et génial inventeur Lester William Polsfuss (1915-2009), la Les Paul est ce qu’on appelle une solid body, c’est-à-dire une guitare au corps plein dont le son est capté par des micros électromagnétiques, ce qui permet d’éviter les larsens qui surviennent avec une caisse de résonance classique. Avec sa table en érable rapportée sur un corps en acajou et son manche collé, c’est un modèle «qui est dans le futur, mais qui garde un côté vieux monde». Alors que les Fender Telecaster et Stratocaster sont fabriquées à la chaîne avec des pièces standards, la Gibson garde une lutherie à l’ancienne. «Encore à l’heure actuelle, pas mal de choses sont faites à la main, parce que c’est plus pratique», observe Julien Bitoun. Cet instrument façonné pour le jazz semble pourtant né trop tôt. C’est avec le rock’n’roll que la Les Paul déploie toute sa puissance. Son âge d’or arrive dans les années 1970.  Eric Clapton, Jeff Beck, Jimi Hendrix, Marc Bolan de T-Rex, Mick Ronson, aux côtés de David Bowie… Tous les guitar heroes ont un jour posé leurs mains dessus. «Le patient zéro du son de Les Paul des années 1970, c’est Jimmy Page. Il y a d’ailleurs une différence colossale de son entre les deux premiers albums de Led Zeppelin. Le premier album, c’est la Telecaster, un son rêche et nerveux. Le deuxième, c’est le côté gras et épais de la Les Paul. Un titre com­me Heart­brea­ker, avec son solo d’une minute, est indissociable de cette guitare», constate Julien Bitoun. Le fil de l’exposition suit les évolutions de la vieille dame : la Goldtop et sa robe dorée, la Junior et sa grande simplicité, la Custom toute de noir vêtue et bien sûr, la Standard. A l’image de la collection permanente du MuPop, chacune des vitrines nous mène dans des univers différents.
Cette scénographie est d’ailleurs la grande force de ce parcours. Un juke-box et même une cabine permettant d’essayer une Epiphone, la petite sœur des modèles américains. La Les Paul est le dénominateur commun entre des musiciens aussi différents que Sister Rosetta Tharpe, Steve Jones, des Sex Pistols, des metalleux pratiquants ou Slash. Presque à lui seul, le guitariste de Guns N’Roses fera renaître le modèle au tournant des années 1990, incarnant le mode de vie rock’n’roll. Des collectionneurs comme des musiciens français ont prêté leurs instruments. Mais cette histoire américaine a eu un écho d’abord limité en France. Si la guitare arrive bien au Golf-Drouot, ce sont surtout des luthiers qui proposent leurs propres déclinaisons.
Il faut attendre les années 1970 pour qu’elle s’implante vraiment. De Trust et Télé­phone, à Noir Désir et FFF, la Les Paul tiendra une bonne place. Parrain de cette exposition, Yarol Poupaud a prêté une six cordes qu’il a souvent jouée. Ce modèle acheté en 1993 aura «bien cassé les cervicales» de son propriétaire, mais elle a participé à forger le son funk-rock de FFF. Si le guitariste est passé, pour ses tournées avec Johnny Hallyday, à un autre type de Gibson, la ES-335, il joue ces derniers temps sur une Les Paul Custom. Ainsi va la vie de la Les Paul, superbe «outil» au service des grands musiciens ou objet aux mains de collectionneurs, qui achètent des séries vintage à des prix démentiels. Une guitare copiée partout dans le monde et à laquelle cette exposition, vivante et passionnée, rend parfaitement grâce.
Rfi Musique