Depuis plusieurs années, des milliers de Rohingyas fuient pour échapper aux persécutions du régime birman. En Malaisie, plusieurs réfugiés de cette minorité musulmane ont formé le Rohingya football club pour défendre leur cause. Et pourquoi pas pour participer à une Coupe du monde ?

Un exemple classique de nettoyage ethnique. C’est ainsi que l’Onu qualifie ce qui se passe en Birmanie, où des centaines de milliers de Rohingyas (une minorité musulmane) sont obligés de fuir vers les pays voisins pour échapper aux persécutions du régime. Une cause qui a forcément rattrapé le monde du football. Lundi 4 septembre, le Premier ministre du Kirghizstan avait décidé d’annuler la rencontre face à la Birmanie «en raison d’une menace terroriste potentielle». Pas de bol, plusieurs utilisateurs sur les réseaux sociaux avaient appelé à profiter de ce match dans un pays à majorité musulmane pour organiser une manifestation pacifique contre les violences meurtrières faites aux Rohingyas. La plupart ont fui vers le Bangladesh, mais certains ont préféré gagner la Malaisie. Parmi ceux-là, une cinquantaine a formé le Rohingya football club, basé à Kuala Lumpur. Le rêve de Muhammed Noor, président du club, est aujourd’hui de monter une Equipe nationale en réunissant tous les Rohingyas à travers le monde pour jouer un match amical contre la Birmanie. Comme un signe de paix.

Rohingyas, entre talent et génocide
Aung San Suu Kyi, chef du gouvernement birman (et accessoirement prix Nobel de la paix), a beau dénoncer «un iceberg de désinformation» sur le drame des Rohingyas, Muhammed Faruk a une vision tout autre de la réalité. «Ce qu’ils sont en train de faire, c’est un génocide. A 100%. Ils veulent faire le ménage en Birmanie et effacer la trace des Rohingyas dans leur pays», s’énerve celui qui est à la fois secrétaire et joueur du Rohingya football club. Il n’a jamais eu l’occasion de jouer au football en Birmanie et ne s’y met qu’une fois arrivé en Malaisie, en 2014. «En vérité, je ne savais pas où j’allais. J’ai juste sauté dans un bateau pour sauver ma vie», raconte-t-il. Un an plus tard naît le Rohingya football club, censé apporter de la bonne humeur et de la motivation à ces réfugiés, notamment aux plus jeunes, pour éviter qu’ils ne se laissent tenter par le crime et autres activités illégales.
Mais pour Muhammed Faruk, le football est aussi un excellent moyen pour communiquer avec les autres parties du globe et servir de vitrine pour la cause rohingya. «Le monde pense que les Rohingyas ne sont que des migrants, qu’une minorité, qu’ils n’ont aucune capacité ou aucun talent. On veut montrer au monde qu’on a aussi des capacités et du talent, comme tout le monde. On n’est pas des animaux, on est des humains. On ne veut pas se battre avec les autres, on veut juste la paix», assure-t-il. La paix, les Rohingyas voudraient notamment la faire avec leur pays d’origine, la Birmanie. «On leur a envoyé un message pour qu’ils viennent jouer un match amical contre nous, en Malaisie. Mais ils ont refusé, quand ils ont entendu le nom de notre club», déplore le secrétaire du Rfc.

«L’espéranto avec des jambes»
Aujourd’hui, le club cherche des sponsors pour pouvoir grandir et attend beaucoup plus de soutien de la communauté internationale. James Rose a été un des premiers à leur venir en aide. Cet ancien conseiller qui travaillait pour le Programme alimentaire mondial a lancé The Kick project qui vient en aide aux réfugiés rohingyas à Kuala Lumpur. «Les Rohingyas sont dans l’actualité depuis quelques années comme l’un des Peuples les plus persécutés. Du point de vue de notre mission, le Rfc présentait l’opportunité de faire du bon travail pour les jeunes et leur communauté qui a tellement souffert et qui continue à être poussée à l’exil. Les plus jeunes n’ont pas l’habitude de s’amuser et de faire du sport en toute sécurité. C’est important que l’on aide ce groupe traumatisé à retrouver leur enfance perdue», explique James Rose.
Bref, utiliser le football pour venir en aide à cette communauté tombait sous le sens : «C’est un langage universel. Je l’appelle «l’espéranto avec des jambes». Mettez une balle de football au milieu d’un groupe d’enfants n’importe où dans le monde et ils sauront quoi faire. Ça va de soi.» James Rose entre donc très vite en contact avec les fondateurs du club. Il fournit alors l’équipement nécessaire pour jouer au football, prend en charge le transport pour les matchs et les entraînements et le paiement pour avoir un terrain. Une aide précieuse, mais le fondateur du Kick project ne veut pas s’arrêter en si bon chemin. «On développe aussi un programme dédié aux femmes pour les réfugiés rohingyas. L’exploi­tation sexuelle et les enlèvements sont un problème majeur pour les femmes rohingyas à Kuala Lumpur. Mais chez elles, le football n’est pas le sport principal et elles ont demandé un soutien pour un programme d’entraînement d’arts martiaux», concède-t-il.

Cinq cents euros sur la table
Le rêve du Rohingya football club serait désormais de participer à une Coupe du monde. Mais pas n’importe laquelle : celle organisée par la ConIfa (Confédération des associations de football indépendantes), une Ong à but non lucratif basée en Suède et qui sert de Fédération pour toutes les associations en dehors de la Fifa. «De plus en plus, nous sommes une organisation qui cherche à donner une voix aux Nations muettes et oubliées autour du monde et qui sont souvent mises à l’écart, voire exclues du sport international», avance Sascha Düerkop, cofondateur de la ConIfa et convaincu que le sport devrait être un droit universel accessible à tous.

Mokhtar Dahari, légende du foot malaisien
Du moins accessible à tous ceux qui peuvent mettre cinq cents euros sur la table. Ce qui n’est pas le cas du Rohingya football club. «On a seulement un partenariat avec la ConIfa. Ces dernières années, ils nous ont envoyé beaucoup de messages pour qu’on les rejoigne. Mais nous n’avons pas de sponsors et nous n’avions pas assez d’argent pour payer les cinq cents euros pour accéder à la Coupe du monde. Donc, si Dieu le veut, j’espère qu’on aura l’argent pour 2019, pour la Coupe du monde en Asie», prie Muhammed Faruk.

Mondial en vue
Les Rohingyas louperont donc la Coupe du monde 2018 organisée par la ConIfa à Londres, et n’imiteront pas la performance du Comté de Nice, champion en 2014. Mais le club garde le Mondial 2019 dans le viseur, car un tel événement mettrait encore plus en valeur leur cause. «Pour les minorités en particulier, l’impact d’avoir sa propre Equipe nationale est double. Premiè­rement, ça a un effet interne très fort et ça permet souvent de souder la communauté de manière locale, nationale ou plus encore, résume Sascha Düerkop. Deuxiè­mement, il y a un gros impact extérieur aussi, l’Equipe nationale donnant un visage à des minorités pour le reste du monde. Ça ne montre pas la minorité avec des préjugés, comme le ferait un documentaire. Ça la montre juste comme un groupe de onze joueurs qui sont passionnés et fiers. En bref, cela prouve clairement à tout le monde que la minorité n’est absolument pas différente de la majorité, quand cela concerne la vie quotidienne et le football.» Et les Rohingyas, eux, ne seraient pas contre avoir une vie quotidienne comme tout le monde.
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