Après quelques heures d’avancée sans entrave, les troupes de la Cedeao étaient aux portes de Banjul hier nuit. Elles ont suspendu leur progression pour permettre encore une fois à la diplomatie de triompher avant d’entamer au cas contraire l’assaut final pour déloger Jammeh. Alpha Condé et Ould Aziz sont attendus aujourd’hui dans la capitale gambienne pour une mission de dernière chance.

Même une montre cassée donne l’heure exacte deux fois par jour. Après des jours de négociations harassantes avec Jammeh sans succès, la Com­munauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est passée hier à l‘offensive avec 7 mille hommes. La Coalition multinationale et interarmées s’est engagée dans l’opération «Restauration de la démocratie», dans le cadre de la «Mission de la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest en Gambie». Selon le colonel Abdoul Ndiaye, Directeur de l‘information et des relations diplomatiques des Armées (Dirpa), l’opération commandée par le général de division François Ndiaye a été déclenchée par des frappes et un contrôle naval. Il aussi annoncé que d’importants moyens terrestres, aériens et navals ont été mis en œuvre.

Avancée suspendue jusqu’à 12h
Le sort en est donc jeté…  Grisé par le pouvoir, Yahya Jammeh est resté indifférent à toutes les médiations. Désormais, les armes le feront dégringoler de sa tour d’ivoire sans aucun égard à son statut de chef d’Etat. Au bout de quelques heures d’avancée sans entrave dans l’enclave gambienne, les militaires sénégalais, nigérians, togolais et aussi ghanéens étaient aux portes de Banjul. Mais la progression est suspendue jusqu’à aujourd’hui à 12h. «Les forces ont avancé sans problème. Il y a quelques tirs de sommation, mais pas de dégâts, ni matériel ni humain. Alors, l’ordre a été donné à ces troupes d’arrêter leur avancée parce que la Cedeao privilégie des initiatives de dialogue et de diplomatie», a dit Marcel Alain Da Souza, le président de la Commission de la Cedeao, lors d’un point presse en compagnie du chef d’état-major des forces en attente de la Cedeao, colonel Seydou Maïga Moro. Le temps de donner encore une chance à la diplomatie. Alpha Condé et Mohamed Ould Abdel Aziz, les chefs de l’Etat guinéen et mauritanien, sont attendus aujourd’hui à Banjul pour raisonner Jammeh avant que les armes ne résonnent dans la capitale gambienne et dans d’autres localités du pays déjà cernés par les troupes ouest-africaines, informe Marcel Alain Da Souza. «On a arrêté l’avancée des troupes parce qu’il y a une dernière tentative qui doit se faire demain (aujourd’hui). Le Professeur Alpha Condé de la Guinée a été sollicité en dernier ressort pour faire encore un geste. Le Président guinéen va se rendre ce vendredi en Mau­ri­tanie pour rencontrer son homologue Mohamed Ould Abdel Aziz, puis en Gambie pour discuter avec Yahya Jammeh dans le cadre d’une mission de la Cedeao et des Nations unies. Le délai qui leur est donné, c’est midi. Si à midi il (Jammeh) n’accepte pas de quitter la Gambie sous la bannière du Pr Condé, alors les troupes vont passer à l’intervention militaire proprement dite. L’objectif visé est de le déloger et éventuellement l’amener pour qu’on puisse officiellement installer le nouveau Président dans toutes ses attributions, conformément à la Constitution gambienne.» Jammeh acceptera-t-il cette main tendue avant l’expiration de l’ultimatum ? Donner une réponse à cette question ressemblerait à discuter du sexe des anges…

Condé et Aziz à Banjul
La Cedeao, qui a pris l’initiative d’une résolution du Conseil de sécurité autorisant le recours à la force pour déloger Jammeh, ouvre un nouveau chapitre dans son histoire. Désarmé et con­fronté à un régime de terreur, Adama Barrow en est réduit à solliciter l’aide de la police sous-régionale pour asseoir son pouvoir. Désormais, la Cedeao s’est transformée en une association à but… démocratique. Bien sûr, les Gambiens auraient aimé renverser seuls un pouvoir despotique. Mais la responsabilité d’une telle opération incombe à Jammeh qui pensait détenir un droit de propriété sur la Gambie. Sans ses philippiques assimilant la médiation de la Cedeao à une ingérence et son entêtement suicidaire, il aurait pu partir en «héros» après avoir régné en despote.
Le Sénégal n’aurait dû jamais accepter la propagation du virus de la dictature dans son anatomie pendant deux décennies. Jammeh lui offre une occasion rêvée de corriger cette anomalie qui persiste depuis plus de 22 ans. Dépité par la trahison de Dawuda Jawara, Abdou Diouf avait laissé l’ex-capitaine ramasser le pouvoir sans lancer Fodé Kaba 3. L’erreur est en train d’être réparée avec l’opération «Restauration de la démocratie» en Gambie. Cette élection de Barrow rebat les cartes politique et diplomatique entre les deux pays liés par une histoire qui transcende la frontière. Les deux pays ont une occasion rêvée de réparer un lien brisé par Jammeh, abandonné par tous les apparatchiks de son régime. Même le chef d’état-major des Armées gambiennes, qui avait renouvelé son allégeance au dictateur, chantait dans la rue avec les partisans de Barrow. C’est une façon intelligente de changer d’uniforme. Il aurait dû l’enseigner à son ex-commandant à Jammeh dans les corbeilles de l’histoire !

bsakho@lequotidien.sn