Ils étaient des milliers de citoyens guinéens venus répondre à l’appel des Forces vives de l’opposition pour dire non à une candidature de Moussa Daddis Camara à l’élection présidentielle. Entrés dans le state de Conakry sans armes, des centaines d’entre eux n’en sortiront pas vivants ce 28 septembre 2009. D’autres, des femmes subiront viols et violences. Huit ans après ces tragiques évènements, Asmaou Diallo, qui a perdu un fils dans ce stade, porte sur ses épaules, le combat des victimes. Un combat qu’elle mène contre l’impunité mais surtout un combat pour les jeunes générations et les femmes.

Huit ans après ces terribles évènements qui se sont produits au Stade de Co­nakry, comment se portent les victimes ?
Depuis 8 ans, les victimes ne se portent pas bien. Je peux le dire comme ça parce que ce sont des victimes qui sont aujourd’hui malades, ce sont des victimes qui sont traumatisées, ce sont des victimes qui ont tout perdu. Quand je prends le cas des femmes qui ont été victimes de viols et de violence, ce sont des femmes qui sont aujourd’hui répudiées par leurs époux. Et ces femmes ont des responsabilités parce qu’elles ont des enfants à élever. Je peux le dire, elles se portent très mal. Comment réussir à faire vivre ses enfants ? Comment réussir à les aider pour que ces enfants ne soient pas dans la rue ? Les hommes, beaucoup ne sont plus comme avant. Des jeunes qui sont handicapés, ça nous pose beaucoup de problèmes parce qu’on n’arrive pas à mettre tout ce qu’il faut pour les aider. Notre organisation n’a pas les moyens. Ce que nous pouvons faire, c’est de demander aux bonnes volontés de nous assister, d’aider ces victimes. Et aussi, nous demandons souvent à l’Etat guinéen de penser à ces victimes pour une reconnaissance nationale. Ces victimes ont été le porte-flambeau de cette démocratie en Guinée. Il y a eu beaucoup de sacrifices et c’est grâce à ces victimes que l’on peut dire qu’aujourd’hui en Guinée, il n’y a pas un militaire au pouvoir mais un civil. Le rôle du gouvernement, normalement, c’est de mettre ces victimes dans des conditions importantes, parce qu’elles le méritent. Je ne cesse de le dire, l’Etat doit les reconnaitre et le Peuple guinéen doit les accompagner. Ces victimes n’ont pas fait exprès d’aller se faire agresser, violer ou tuer. Elles sont allées pour parler au nom de tous les Guinéens. Si aujourd’hui il y a un civil a la tête du pays, c’est parce que ces gens-là se sont sacrifiés.

Vous pensez que le gouvernement ne fait pas assez pour vous soutenir ?
Le gouvernement ne fait pas assez. Depuis 2009 jusqu’à aujourd’hui, on n’a pas eu ce qu’on attendait du gouvernement. On aurait voulu qu’on parle de nous à tout moment, qu’on nous prouve qu’on est ensemble, qu’on est des fils du pays. On ne doit pas être marginalisé. Au niveau judicaire, nous sommes en train de travailler avec l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’Homme (Ogdh) et la Fédé­ration internationale des droits de l’Homme (Fidh). Ces deux entités nous accompagnent sur un financement de l’Union européenne. Cela nous a amenés à envoyer près de 400 et quelques victimes devant les juges depuis 2010. Et suite à ces enquêtes, il y eut 14 inculpations. Ces 14 inculpations font que l’on a clôturé l’instruction et les enquêtes. Et nous pensons qu’on va arriver à ouvrir le procès. A ce niveau, le ministère de la Justice a fait ce qu’il devait faire. Si, on peut dire que le gouvernement s’est investi. Malgré beaucoup de difficultés, on est arrivé là.

Et là, qu’est-ce que vous attendez de la justice guinéenne ?
Nous attendons qu’elle arrive à continuer et tenir les promesses du ministre de la Justice. Pour qu’on ait un procès en 2018. Bientôt les élections législatives et présidentielle en 2020. Alors, si on n’arrive pas à ouvrir le procès maintenant, quand cela pourrait être possible, on ne sait pas. C’est un plaidoyer que nous continuons à faire. Nous tenons vraiment à obtenir justice pour la bonne cause de la Nation. Je ne dirais pas pour les victimes seulement mais la Nation tout entière. Pour que les victimes puissent avoir des réparations, qu’elles puissent se remettre, qu’elles soient reconnues au niveau national.

L’extradition de Toumba Diakité en Guinée après son arrestation au Sénégal, est-ce que ça a fait avancer les choses ?
Je dirais que oui. Parce qu’on a obtenu la clôture de l’instruction et on espère qu’il y aura un procès.

Et le général Sekouba Konaté ?
Il y a une commission rogatoire qui est derrière lui. Donc on attend. Si toutefois la France montre la bonne voie.

Et vous pensez que les vrais responsables ont été incriminés ?
En tout cas, beaucoup ont été incriminés. Maintenant c’est la justice qui va déterminer les choses.

Est-ce qu’aujourd’hui, vous êtes en mesure de dire exactement comment les choses se sont passées ce jour-là et qui était le responsable ?
Ce que je peux dire, c’est que moi, en personne, je n’étais pas au stade. C’est mon fils qui y était et il en est mort. Il avait 33 ans et il était fonctionnaire. Il a été tué et on a récupéré son corps. Par contre, il y a des gens, des familles qui n’ont pas retrouvé les corps de leurs parents. Il y a encore ce problème qui est là. Seule la justice pourrait nous aider à éclaircir cette situation. Et je peux dire que lorsque les Forces vives ont demandé à ce que la population se rende au state pour manifester et dire non à la candidature de Moussa Dadis Camara, c’est là que tout a été chamboulé. Dès que la population est arrivée au stade, ce sont les militaires qui se sont levés pour tirer sur les gens, les violer. Ça, ce sont les militaires qui sont responsables de ça. Ce n’est pas un civil. Les civils, ils sont venus au stade sans même un petit caillou à plus forte raison une arme. Les militaires sont venus les trouver, ils les ont tués, les ont tabassés et les ont violés. Pour nous, ce sont les militaires qui sont responsables. Et suite à ce procès qui doit se tenir, nous saurons qui a donné l’ordre. Qui a commandité ? C’est ce que nous voulons savoir.

Et vous les associations de victimes, vous avez toujours dénoncé la lenteur du processus. Vous voulez maintenant que les choses soient plus rapides ?
Oui. Nous voulons que les choses soient plus rapides parce que 8 ans, ce n’est pas 8 jours. Et il ne faudrait pas que ça dépasse ce temps. Sinon, on ne sait pas qui sera présent à ce procès. Les victimes sont des personnes malades, vulnérables. Des personnes qui ont besoin d’assistance psychologique et médicale. Alors, si tout cela, on ne l’obtient pas facilement, vous voyez ce que ça peut faire. Pour le cas psychologique et les soins médicaux, ce sont la Fidh et l’Ogdh qui nous accompagnent. L’Etat ne le fait pas. Et ça nous met dans des situations vraiment très compliquées. Parce qu’on a besoin que ces personnes soient en bonne santé, qu’elles puissent venir assister à ce procès.

Quelles sont les séquelles que vous avez constatées sur les victimes ?
Beaucoup de séquelles. (Elle répète). Les femmes ont été violées, elles ont été frappées. D’autres ont eu les jambes cassées et ont besoin de prothèses. D’autres ont été amputées. Les hommes ont été frappés et maintenant ils ne peuvent rien faire. Je ne peux pas tout dire parce qu’il faut être sur le terrain pour comprendre ce qui s’est passé ce jour-là. Et les médecins qui nous suivent savent dans quel état sont ces victimes.

Et vous n’avez pas eu un suivi psychologique adéquat de la part de l’Etat ?
De la part de l’Etat, non. Les organisations ont aidé petit à petit parce qu’on n’a pas pu prendre en charge toutes les victimes, toutes les femmes qui ont été violées. C’est une petite entité pour le moment. Il y a d’autres femmes qui n’ont pas été violées mais qui ont été violentées et traumatisées. On a envie de plus les aider, d’élargir la prise en charge psychologique.

Et comment la société guinéenne en général s’est relevée de ces évènements ?
On attend la justice. Personne ne s’est relevé encore. C’est la justice qui va aider la population guinéenne. Parce que si on a la justice dans ce dossier, on saura que la Guinée commence à s’en sortir. Mais si cela ne se fait pas, cela veut dire qu’on est toujours dans l’impunité.

On parle également de personnes disparues. Est-ce que vous avez fait le recensement ?
Oui. Au niveau de mon organisation, on a compté 83 victimes disparues, mais il y a une autre entité pour les victimes disparues.

Donc le bilan dépasse les 157 morts ?
Bien sûr. Le bilan est beaucoup plus lourd. Les 157, c’était un constat immédiat au stade. Après ça, il y a eu beaucoup de décès qui ont suivi.

Vous, comment avez-vous fait pour vous relever de ce traumatisme, continuer à avancer et surtout prendre la défense des victimes.
Parce que je suis souvent avec les victimes. Ça me permet d’avancer. Quand je les vois, ça me donne le courage de continuer pour qu’elles puissent quitter cette physionomie de détresse. Je refuse de me victimiser parce que si je le fais, je ne pourrais pas aider. J’ai en moi, cette force ou cette faiblesse, je ne sais pas. Mais je tiens à réussir ce combat pour que les jeunes qui vont venir après, puissent être protégés. Je le fais pour la Nation guinéenne et pour le Peuple guinéen. Mon fils, je ne vais jamais le récupérer mais d’autres enfants sont là et je ne voudrais pas qu’ils subissent le même sort. Voilà pourquoi nous nous battons pour que l’impunité diminue dans notre pays. S’il n’y avait pas eu d’impunité, on aurait évité ces massacres. On aurait évité beaucoup de cas de violation des droits de l’Homme dans mon pays.

Et le procès, vous l’attendez pour quand ?
On nous a promis en début 2018. L’instruction a été clôturée en 2017 et nous estimons qu’à partir du début de l’année 2018, ça va se faire. Je ne peux pas m’engager à donner un temps parce qu’il faut d’abord que l’Etat prenne ses responsabilités face à ça.

Quelles actions envisagez-vous pour la tenue effective de ce procès ?
C’est de rencontrer les personnalités qui peuvent vraiment nous aider pour demander leur appui, faire des conférences. Et nous demandons toujours à l’international de nous appuyer.

Avez-vous pu rencontrer le Président Condé ?
Non pas encore.

Vous travaillez avec d’autres associations de victimes ?
Nous travaillons beaucoup avec d’autres associations surtout les survivantes victimes de violences. On vient même de créer un mouvement avec la Fondation Mukwegue. Le Dr Mukwegue est lui-même venu en Guinée pour voir l’état de ces femmes. On a mis en place un mouvement qui englobe beaucoup de pays pour lutter contre l’impunité dans les pays africains.

Justement, des crimes de ce genre touchent beaucoup les femmes. Est-ce que ce n’est pas aux femmes de se mobiliser ?
C’est la raison pour laquelle nous avons lancé ce mouvement. Pour pouvoir éradiquer l’impunité et sauver les femmes. Je lance un appel à toute l’Afrique, pas seulement à la Guinée, d’aider les femmes et les enfants. Le monde entier doit nous accompagner pour qu’on cesse les violences dans nos pays. En Guinée, c’est toujours l’impunité qui règne et je demande à mon gouvernement d’essayer de calmer le jeu et d’être dans une situation de paix. On veut avoir la paix dans notre pays, on veut vraiment que nos enfants puissent grandir dans la paix, dans l’harmonie et dans l’union. C’est un appel que je lance au Peuple de Guinée, au Peuple du Sénégal et à l’Afrique tout entière. Il faudrait qu’on arrive à soutenir nos enfants et nos femmes. Les femmes doivent se donner la main. Ensemble, on peut réussir à être protégées. Si les hommes ne nous protègent pas, il faut qu’on arrive à se protéger nous-mê­­mes.