L’apport des Sénégalais de l’étranger n’est pas négligeable dans l’économie du pays. Mamadou Dème, sociologue-expert sur les questions de migration et développement, et membre du Hcct, avance que les Sénégalais de France ont plus de 3 milliards d’euros qui dorment dans sept institutions financières françaises, fruit de cotisations d’associations villageoises depuis plusieurs décennies. Il l’a dit lors des Assises des diasporas sénégalaises.

Vous venez de faire un plaidoyer à l’endroit des émigrés. Qu’est-ce qui explique cette démarche ?
Les Sénégalais vivant en France sont des forces vives de la Nation. Nous sommes la seule force vive de la Nation qui travaille pour le pays, le sert et participe considérablement à son développement sans aucune contrepartie. Toutes les autres forces vives de la Nation, en participant à l’essor du pays, ont des salaires, sauf nous, alors que l’apport de la diaspora dans le développement économique du Sénégal est considérable. Nous avons un rôle vis-à-vis de nos villages et la participation dans nos villages permet des consciences pour participer à la richesse du pays. Donc ces gens qui peuvent aider à la cohésion sociale du pays, à la tranquillité publique méritent des considérations, des prises en compte.

Qu’attendez-vous concrètement des autorités ?
Je crois que l’Etat, les collectivités locales doivent discuter avec les diasporas. L’Etat a beaucoup à y gagner. Les collectivités territoriales ont aussi beaucoup à y gagner en discutant avec les diasporas. Les émigrés ont des moyens considérables dans les banques françaises et ces moyens peuvent financer les collectivités territoriales. Ces moyens peuvent lutter contre la pauvreté et la précarité dans le pays. On ne peut pas empêcher beaucoup de ces gens à partir à l’aventure. Pour cela, il faudra que nos politiques et les collectivités locales acceptent, dans une démarche de co-construction, de discuter avec les réseaux de la diaspora.

Pouvez-vous être plus explicite sur les besoins réels des diasporas ?
Sur le seul cas de la France, nous avons 8 487 caisses villageoises qui mobilisent des cotisations des migrants qui financent la prévention sociale en France et le développement des villages au pays. Dans sept banques françaises, il y a 3 milliards 842 euros qui appartiennent à ces caisses villageoises qui sont pour des Sénégalais. Cet argent, ce sont les banques françaises qui l’utilisent sauf lorsque les villages en question ont besoin d’un financement quelconque pour participer aux financements des coopérations décentralisées ou à un projet de village. En dehors de ça, l’argent reste dans les banques françaises. Il est utilisé à d’autres fins. Mais si l’Etat et les collectivités locales avaient une capacité à mener des réflexions, de s’asseoir autour d’une table pour discuter avec les réseaux de la diaspora qui sont capables de mobiliser de telles sommes, cela pourrait permettre à l’Etat du Sénégal non seulement de trouver un cadre de financement important pour un certain nombre de projets, mais cela aiderait aussi à financer les collectivités territoriales parce que aujourd’hui, que ça plaise ou pas, les compétences transférées aux communes et aux départements qui ne sont pas pris en charge par ces communautés, ce sont les régions de la diaspora qui les prennent en charge, qui les réalisent. Donc ceux qui ont la capacité de faire ce travail ont déjà montré la voie de la co-construction.

Les collectivités pourraient-elles obtenir gain de cause en formulant une telle demande à la France pour le rapatriement de ces sommes ?
Les collectivités ne font pas la demande à la France parce que la France est un Etat, mais les collectivités territoriales et toutes leurs diasporas, c’est-à-dire si les Exécutifs locaux, le maire et le Conseil départemental, acceptent d’aller vers la diaspora et de discuter avec celle-ci sur comment arriver à organiser les moyens de développement, mais ils ne le font pas. Ce qui est dommage.

Quelle est la nature de vos relations avec ceux qui s’occupent des questions des diasporas ?
Je suis au sein de ces réseaux de la diaspora. Je suis au carrefour de ces réseaux des diasporas. Je suis quelqu’un vers lequel beaucoup de gens se retournent pour des informations et des besoins d’accompagnement. Depuis que je suis allé en France, jeune à l’âge de 22 ans jusqu’à maintenant, je ne connais que ces réseaux de la diaspora. En réalité, ce sont ces émigrés qui m’ont aidé à financer mes études en France de la première année à l’université jusqu’à ma thèse de doctorat. Donc je suis au sein de ces réseaux. Il y a une expertise réelle académique, de parcours de vie en France que l’Etat n’a pas su gérer et que les collectivités locales n’ont pas su utiliser. Qu’est-ce que nous demandons ? Nous ne demandons pas des rémunérations, des salaires, car nous avons largement de quoi vivre là-bas, mais nous voulons travailler pour notre pays et la seule chose que nous demandons c’est la prise en compte.

Vous vous attaquiez tout à l’heure au directeur des Sénégalais de l’extérieur et à la directrice du Faise. Qu’est-ce que vous les reprochez concrètement ?
Que ce soit le directeur des Sénégalais de l’extérieur et Mme Mbacké ou d’autres, ils ont la charge de mener des politiques nationales en direction des diasporas. Nous avons des reproches importants à leur faire du fait qu’ils ne nous rencontrent pas. Ils ne viennent pas vers nous. Ils ne se concertent pas avec nous. Il y a des cadres d’organisation des diasporas. Jamais depuis l’alternance jusqu’à maintenant une réunion sur les diasporas n’a été tenue par le Faise ni par le consulat. Une réunion d’information n’a jamais été tenue ni par Mme Mbacké ni par Sory Kaba, alors qu’ils sont là pour nous. Mais si Sory Kaba ne vient pas au consulat pour rencontrer les réseaux de la diaspora et dire voilà ce que le gouvernement fait, voilà ce qu’il veut faire, ce qu’il est capable de faire, ce qu’il n’est pas capable de faire et ce qu’ils attendent de nous ou voir comment nous allons travailler ensemble. Si on confie à Mme Mbacké un dossier aussi important que le Faise, elle doit venir en France, aux Etats-Unis et partout où il y a des Sénégalais pour dire voilà les opportunités du Faise et qu’est-ce qu’on peut faire ensemble. Nous, nous avons une expérience. Je crois que la gestion des diasporas et celle des moyens en direction des diasporas ne doivent pas être utilisées à des fins politico-politiciennes. Ce sont des outils qui peuvent sensibiliser la diaspora, encourager les diasporas afin qu’elles trouvent d’autres outils qui complètent ceux-là pour financer le développement du pays.
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