Il y avait deuil ce dimanche, pour certains. Pour d’autres, il y avait baptême. Le baptême, sur la route de Ouakam…Par Moussa Seck –

La chanson n’est sans doute plus d’actualité. Au siège de l’Apr, on se la repique pourtant. A fond, haut-parleurs, et une voix dit que Macky mérite le mandat. Chanson sur chanson, à l’honneur de celui qui est depuis longtemps hors course et qui appelle les autres Usain Bolt à dialoguer avant de rejoindre les starting-blocs. «Macky Sall dans nos veines» : slogan imprimé près de la photo d’un «prési», qui sourit. Nostalgique peut-être, le Mouvement national des femmes de l’Apr, qui prend la parole. Dimanche 25 février : le temps de la politique ne sait ce que week-end veut dire. Les grands quelques-uns avaient convoqué à quinze heures. Le temps de la politique ignorant ce que ponctualité veut dire, il faudra attendre. Attendre et meubler. De grandes gueules prennent le relais des haut-parleurs et on «ngoyaan», crie «baayu Amadou Sall lañuy tópp», réchauffe les oreilles avec du tam-tam, puise des notes sur un clavier.

Des jambes sur lesquelles le temps a fait de l’effet, du boubou et voile blancs, des perruques, de longs faux-cils, des lunettes de pop-star, ainsi que des faces un peu trop poudrées dansent. On s’enjaille sur du «avancez», et apprécie du pied des airs de «suus». Une mélodieuse voix s’empare du micro, chante Macky, dit d’autres noms (on lui souffle aussi certains), du billet de banque circule. La main de la voix recevra du cinq et du dix. Un étage plus haut, une salle de réunion s’ouvre et se ferme. Les grands quelques-uns y sont, peut-être. Le discours officiel qui émanera des grands quelques-uns dénoncera «des personnes, des organisations, des lobbys qui n’ont qu’un seul objectif» qui serait de «travailler à  saper les fondements de notre République et de notre Etat de Droit». «Ces ennemis du Sénégal» seraient à l’œuvre «depuis un moment». Ces ennemis qui, selon le discours officiel des femmes, ont réuni ce dimanche, «travaillent sans relâche pour enterrer ce projet de pardon, de paix, de réconciliation de tous les enfants de notre pays comme l’a souhaité le Président lors de son face-à-face avec la presse». «Ennemis de la démocratie», «ennemis de la paix», «ennemis de l’Etat de Droit»… «ennemis» reviendra dans le discours de Abdou Mbow, seul homme à avoir pris la parole et le premier à s’exprimer dans cette assemblée de femmes, pour qualifier une «soi-disant société civile».
Seize heures : la convocation a dépassé d’une heure son heure de péremption. Ici, ça ne sent pas le temps passer. Ici, ça sent l’ambiance de baptême. Ailleurs dans Dakar, ça sentait des discours funèbres pour accompagner la démocratie sénégalaise dans sa mort. Elle devait renouveler sa robe ce 25 février. Ici, en attendant les grands quelques-uns, on se chamaille courtoisement entre «aawo» et «ñaareel». La voix, Bousso Seck, depuis un bon bout de temps, dit des noms (on lui en souffle encore et encore) et reçoit du billet de banque. Du cinq, du dix…

Un bloc pas totalement en bloc
La voix a fini. On ouvre une liste, pour qui veut chanter. Liste faite, une s’apprête à…mais tam-tam et clavier refusent de lâcher le rythme : eux aussi, veulent du cinq et du dix. Bisbilles, querelles verbales. Une, très énervée : «Apr si bóppam dañoo bon.» Lol.

A contrecœur, le batteur recommence à accompagner le claviériste. «Ombionce» à la sauce Macky qui est chanté et chanté et chanté. Un étage plus haut, la salle de réunion est ouverte. Devant, des robes et perruques d’une autre classe apprécient le spectacle, dansent et sourient. Le discours officiel qui sera dit par une des grandes dames d’en haut fera savoir que «le Sénégal est un Etat souverain, et qu’il urge de faire attention à ceux qui n’ont d’œil que pour nos ressources -pétrole, gaz et minerais- au prix de plonger notre pays dans un chaos qui n’épargnera aucun Sénégalais». Cette section du discours est «à l’attention de la Communauté internationale». «Discernement», dit le discours officiel à ladite communauté.

En bas, la liste d’ambianceuses se poursuit…et celles qui finissent de ramasser du billet n’oublient pas maintenant de donner sa part au batteur. Il fait la monnaie.  Des billets de dix et cinq distribués plus tôt seront éclatés et deviennent des mille et deux mille qui transitent entre amies, pochettes et mains. Salle pleine, liesse, concert, snaps, vidéos, photos, drapeaux du Sénégal. Les grands quelques-uns, on attend ! A dix-sept heures et demie, les robes et perruques de haute qualité sont descendues depuis. Le point de presse ? Le concert est prioritaire. Les grands quelques-uns en redemandent encore plus. Nul ne sait combien de centaines de fois le nom de Macky sera répété.

Dans le discours officiel qui sera lu à dix-huit heures, on saluera sa «volonté manifeste…de pacifier l’espace politique en appelant au pardon, à la paix civile et la réconciliation nationale», ainsi que «sa posture républicaine».

Outre cela, les femmes du Président inviteront «solennellement toute la classe, la Société civile, les syndicalistes, les chefs religieux et coutumiers à répondre favorablement à l’appel au dialogue et à la concertation pour des consensus forts».

Fidélité sera renouvelée au Président avec toutes les formules possibles. On chante aussi «la mère du parti», Mme Marième Badiane. Il fallait d’ailleurs se lever, quand elle faisait son entrée. Une Dieynaba, une Thérèse, une Néné Tall, entre autres, auront leur minute de gloire. Sourires, danses, snaps, billets de banque : baptême !

Quarante-six minutes après dix-sept heures, les choses sérieuses doivent commencer. Seulement, les instincts claniques se réveillent. On hue, celle qui doit ouvrir le programme ouvert depuis quinze heures. On tentera de limiter les dégâts en disant que les images vont circuler et que l’image de «prési» en sera écorchée. Et ce sont celles-là, déchirées, que le discours officiel présentera comme un bouclier prêt à donner sa chair pour Macky Sall. «En cela, notre détermination à le défendre reste inébranlable, face à toutes les attaques, d’où qu’elles viennent», dira-t-on pour elles. Et, avec lui, ces femmes qui l’ont dans leurs veines, comptent relever «le défi d’un dialogue politique inclusif et d’une élection présidentielle bien organisée, inclusive, libre et transparente».