Loin de l’image de l’homme fort qui aurait permis au Mali de recouvrer son intégrité territoriale en reprenant Kidal, Assimi Goita est dépeint par Ismaël Sacko, président du Parti social démocratique africain (Psda), comme un «despote» qui utilise la guerre pour peaufiner son image en vue de se présenter à la Présidentielle malienne. L’allié et ancien conseiller du Président Ibrahim Boubacar Keïta, membre de la plateforme du 20 février pour sauver le Mali, et membre du cabinet Bah Ndaw, ancien président de la Transition du Mali, mène une croisade contre la junte au pouvoir à Bamako. De passage à Dakar, Ismaël Sacko est largement revenu sur les conditions de son exil, la reprise de Kidal qu’il considère comme une «arnaque» et surtout, a dressé le bilan de 3 ans au pouvoir des militaires.Il n’a fallu que 3 ans à la junte militaire pour reprendre Kidal là où la Communauté internationale, dirigée par la France, a mis 10 ans sans produire des résultats. Saluez-vous cette prouesse ?
La France n’avait pas la mission de prendre Kidal. Ce n’était ni sa mission ni celle de la Minusma. Est-ce que Kidal n’est pas une région malienne ? Qui nomme son Gouverneur ? Il n’est pas nommé par les groupes terroristes, mais bien par l’Etat du Mali. Partant de là, peut-on dire que cette région n’appartient pas au Mali ? Kidal est restée toujours dans le giron malien. Est-ce qu’en 2023, la Csp, la Cma ont demandé la partition du Mali ? Ont-ils exigé d’appliquer la charia ? Non ! Pourquoi cette guerre ? Pourquoi tuer des gens ? Pour donner l’impression qu’on a repris Kidal ? Kidal n’a jamais été perdue. C’est de la poudre aux yeux. C’est une farce. L’Armée est rentrée dans Kidal car elle voulait montrer à l’opinion qu’il y a un accord signé en 2015 qui parle de la gestion des régions du nord, qui confère une pleine participation des populations locales dont les groupes armés.
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Il donne un certain nombre de prérogatives aux groupes armés de Kidal. Pour des militaires qui connaissent les conséquences de la guerre, ils ne devaient pas engager l’Etat dans un conflit armé. Ils l’ont fait parce qu’ils veulent rester au pouvoir. Ils n’ont pas battu les groupes terroristes. C’est de l’arnaque. Ils ont signé un accord avec Iyad al Ghali, un chef terroriste. C’est lui qui a facilité l’entrée de Wagner à Kidal. Ce n’est pas l’Armée malienne qui contrôle le camp militaire laissé par la Minusma. C’est bien Wagner. Il n’y a pas un seul militaire malien dans le camp de Kidal. C’est Wagner qui a tué des militaires maliens et qui a éventré des femmes maliennes pour avoir un salaire plus important, car c’est un deal. Et c’est ça la junte ? C’est ça être patriote ? C’est ça la souveraineté ? C’est ça l’intégrité nationale ? C’est de l’assassinat. Des crimes organisés. Des crimes contre l’humanité. Assimi et ses camarades doivent répondre de leurs actes devant la Cpi. Est-ce le moment de tisser des liens avec Wagner alors que le Sahel est en détresse ? De petits voyous qui gèrent un Etat, c’est ça l’intelligence africaine ? C’est ça que les gens applaudissent ? Sur la base de l’or exploité, vendu à Dubaï et en Turquie, des vidéastes sont payés à coups de millions pour diffuser leur propagande. Ce n’est pas l’héritage de Soundiata Keïta. Ce n’est pas ça la fierté africaine. L’entrée à Kidal a été l’affront et l’humiliation d’une junte contre sa population. Ça ne doit pas être impuni.
C’est un tableau bien sombre que vous dressez de la junte. Selon vous, ce «deal» est-il fait pour peaufiner l’image de Assimi en vue de se présenter à une élection présidentielle ou c’est à d’autres fins ?
L’appétit vient en mangeant. Assimi, c’était le gars qui était au Nord et qui a été arrêté et prisonnier de Iyad Ag Ghali. Il a fallu une médiation de l’imam Dicko pour qu’il soit libéré. Assimi que l’on appelle l’homme fort n’a jamais gagné ni combat ni guerre. Il cherche à se faire élire au Mali. S’il est réellement populaire, pourquoi a-t-il reporté l’élection présidentielle de février 2024 ? Il sait que les Maliens ne veulent pas de lui. Il profite du package et du soutien des Brics. La Russie de Poutine n’est pas l’Urss. Elle n’a pas ramené la paix en Libye ni en Centrafrique ; ce n’est pas au Mali qu’elle va réussir.
Du côté de l’opposition, êtes-vous dans une logique de présenter une candidature unique pour la Présidentielle, ou vous voulez y aller en ordre dispersé ?
Nous voulons que les élections se tiennent le plus rapidement possible. Car la junte a fait faire un retour en arrière de 40 ans. Si cette situation perdure, elle va continuer à bâillonner la presse, à mater les voix dissidentes et surtout, elle va continuer à détourner l’argent des Maliens. On a des opposants morts en prison. Des opposants emprisonnés juste parce qu’ils ont donné leur point de vue. Si Assimi devait respecter sa propre charte au lieu de nous envoyer une constitution tripatouillée, il ne devrait jamais être candidat. Il se croit au-dessus des lois. Les hommes politiques ont des ambitions. Il y aura des pôles qui vont s’organiser. Chaque pôle aura son candidat. Il y aura un deal pour un second tour. J’ai espoir que Assimi et ses camarades ne seront pas candidats.
A un moment donné, les hommes politiques ont failli. Il faut l’avouer. Faisons un diagnostic clair. Assumons nos torts, notre part de responsabilité. C’est ce qui explique les coups d’Etat. Mais cela ne les justifie pas. Les militaires ont une mission régalienne.
Mais quand ils cassent la Constitution par deux fois et qu’ils ne respectent pas leur parole, c’est une haute trahison. Ils vont prendre des lois pour s’amnistier. Ils ont fait pire que les hommes politiques. Assimi est un despote. Il est pire qu’un dictateur. Il n’a rien amélioré. Il y a 12 heures de coupures d’électricité par jour à Bamako.
Comment une économie peut-elle fonctionner avec ça ? On ne peut rester comme ça. C’est bien de critiquer les pays de l’Otan, mais quand le Vérificateur sort et pointe du doigt un détournement de 700 milliards en 2022, ce n’est pas la France. Quand on charge les avions d’or pour aller le vendre à Dubaï, ce n’est pas encore la faute de la France ?
Oui, la Minusma et Barkhane n’ont pas eu les résultats escomptés. Mais Serval a servi les Maliens. Il faut le reconnaître. Il faut savoir dire non à ses alliés. Il faut savoir aller dans un débat pour changer les paradigmes. Macron avait annoncé le retrait des forces françaises en 2019 à Pau. La junte communique pour dire qu’elle a chassé la France. Elle oublie que Macron l’avait déjà annoncé. Ne déformons pas l’histoire.
Avec tout ce que vous venez dire, j’imagine que vous devez être surpris de la façon dont Assimi Goita est perçu par la jeunesse africaine
Je ne suis pas surpris car nous avons une jeunesse qui vit sur les réseaux sociaux. Quand les infos sont déversées sur les réseaux, elle n’a pas le temps de les distiller. En plus, dans nos Etats, plus de 60% de la population n’ont pas fait des études poussées. C’est une jeunesse perdue, en quête de réponse. Qui veut voir un homme fort. C’est comme ça que Assimi est présenté. Comment peut-il être un homme fort et sous-traiter une partie de sa sécurité à Wagner ? Où est la souveraineté ? Qu’est-ce qui a changé ? Il y a moins d’une semaine, des localités au Centre ont signé avec les groupes terroristes pour avoir la paix. C’est ça la réalité.
Pourquoi avez vous décidé de quitter le Mali et d’aller en exil ?
Je suis sorti du Mali pour continuer mon combat politique, comme Mandela, Ouattara et d’autres l’ont fait. Et je ne suis pas le seul. Coulibaly, Dr Thiemoko Bakoyoko et d’autres sont en exil. Nous avons décidé de maintenir le cap, même si des jeunes sont payés pour nous lyncher sur les réseaux. D’autres ont préféré se taire. J’étais à Bamako quand j’ai demandé à la Cedeao de sanctionner la junte pour non-respect de ses engagements. J’étais au pays quand j’ai dit que je n’irai pas aux assises organisées pour soutenir une junte illégale. J’étais au Mali quand je disais que nous n’allons pas reconnaître Assimi s’il ne respecte pas ses engagements. Ses soutiens ont commencé à me menacer en disant que Sako doit être arrêté et tué. A partir de ce moment, tu te poses des questions. Ils ont essayé de m’arrêter pour m’humilier. Je décide de sortir, non pas pour fuir, mais pour continuer mon combat. Si on m’enferme, je ne pourrais plus continuer mon combat.