Une nouvelle cimenterie qui viendrait s’ajouter à celle de la Sococim, à la centrale à charbon et à la houle dévastatrice. Les populations de Bargny disent non. Directeur exécutif de l’Ong «Solidarité ci sutura», Cheikh Fadel Wade est en tête de ce bloc de refus.

La société Sencim veut implanter une usine de ciment dans le Port de Bargny-Sendou. Mais vous, organisations de défense de l’environnement et citoyens de Bar­gny, avez décidé de boycotter le Forum de validation de l’étude d’impact environnemental. Consi­dérez-vous que le quitus que revendique la Sencim soit légitime ?
On s’est regroupés pour fustiger une attitude qu’un cabinet a eue, avec la complicité du Préfet et du maire de Bargny, pour organiser une audience publique au niveau du port. L’audience publique fait partie des conditions sans lesquelles on ne peut pas valider une étude d’impact environnemental et social. Mais avant l’audience publique, il y a des préalables. On doit d’abord consulter toutes les parties prenantes, ensuite mettre le rapport provisoire à disposition à la mairie 15 jours avant, pour que les populations puissent le consulter. En outre, l’audience ne peut pas être sous forme d’invitation, mais sous forme de convocation. En plus, ça ne doit pas être dans un lieu privé, parce qu’une audience publique, on doit la faire dans un lieu public, pour que tout le monde puisse y accéder. Mais toutes ces mesures n’ont pas été respectées. Et donc, nous pensons que le quitus ne peut pas être délivré. Pour constater tout ça, nous avons commis un huissier de Justice qui est venu demander au Secrétaire général de la mairie de Bargny si le document est disponible. Ce qui n’était pas le cas. On a ajouté ce document à la convocation qui liste les 14 personnes qu’on a convoquées, et on a aussi constaté que l’audience s’était tenue au niveau du port. Avec tout ça, on a écrit une lettre au ministre de l’Environ­nement et de la transition écologique, en faisant des ampliations au Gouverneur, au Préfet et au maire de Bargny, pour demander l’annulation de l’audience publique et que le quitus ne soit pas délivré. Et vraiment, on a bon espoir qu’il ne sera pas donné, parce que tous les préalables, tout ce que dit la loi, le Code de l’environnement du Sénégal, n’ont pas été respectés. Le Code de l’environnement est très clair : l’audience publique est une condition d’obtention du quitus environnemental. Mais puisque l’audience n’a pas été très bien organisée, nous pensons qu’effectivement l’Etat va nous suivre dans notre requête et annuler tout bonnement cette audience publique.
Malgré l’absence notable des populations de Bargny, celles de Sendou ont donné leur accord. Qu’allez-vous faire pour défendre vos intérêts ?
Le port est situé entre la commune de Bargny et celle de Sendou. Donc, lors de l’audience, effectivement, les communautés et la commune de Sendou, à l’unanimité, ont dit être d’accord pour l’implantation. Mais comme je l’ai dit, nous, on parle en termes de légalité. A Sendou, ils disent que cette usine de ciment va créer des emplois, que c’est bon pour les populations de la localité. Mais on n’en est pas encore là, on est juste à l’étape de l’étude d’impact environnemental et social. Et pour qu’une étude soit bien faite, il faut des consultations pour toutes les parties prenantes et tenir une audience publique. Tout ça n’a pas été fait ou n’a pas été fait dans les règles de l’art. Donc les populations de Sendou, qu’elles soient d’accord ou pas, nous pensons que l’audience n’a pas été très bien organisée, et nous attendons qu’on l’annule.
Bargny est menacée par la houle. Il y a également la centrale à charbon et la Sococim. Comment vivent les populations aujourd’hui avec toutes ces menaces ?
Bargny est menacée par la houle, et l’Etat du Sénégal classe Bargny parmi les zones les plus vulnérables face aux changements climatiques. Quand il s’y ajoute maintenant une cimenterie qui est déjà là, une centrale à charbon, un port minéralier et vraquier… Actuellement, il y a plus de sept établissements classés dont des dépôts de gaz et de carburant, à l’intérieur du port… C’est véritablement un danger. Parfois, on doit apprendre des autres. Il y a de cela deux ou trois ans, il y a eu une explosion de nitrate dans le Port de Beyrouth. Des personnes qui étaient à plus de 500 mètres, voire un kilomètre, ont été touchées. L’accident de la Sonacos, avec l’ammoniaque, est toujours frais dans les mémoires. Quand les gens disent «stop, arrêtez !», c’est parce que nous savons qu’on ne peut pas faire cohabiter une zone industrielle et une zone d’habitation. Le port, avec tous les établissements classés qui sont dedans, est ceinturé par des quartiers. Il y a Diamalaye et Missira qui sont dans Bargny. Il y a une véritable psychose parmi la population. On a peur. Et tout le temps, on se bat, on essaie de sensibiliser. Bargny est sur une bombe écologique, avec tous ces établissements classés de catégorie 1.
Est-ce que l’Etat du Sénégal vous soutient dans ces nombreuses luttes que vous menez depuis plusieurs années ?
Nous n’avons pas de soutien de l’Etat du Sénégal depuis Abdoulaye Wade. Prenons l’exemple de l’érosion côtière, depuis que nous souffrons des houles, on n’a jamais obtenu un programme de relogement. Et nous savons tous qu’il y a des personnes qui doivent être relogées. Les gens qui étaient impactés par les inondations ont été relogés avec les plans Jaxaay et Tawfekh. Mais Bargny n’a jamais eu de plan de relogement. L’Etat n’a jamais rien fait pour nous. Le site de la centrale à charbon était destiné au relogement des victimes de l’avancée de la mer. Du temps de Abdoulaye Wade, on a érigé une centrale à charbon sur cet espace. Les différents Etats qui se sont succédé, ont continué sur cette lancée. Le Pôle urbain de Diamniadio, ce sont 1654 hectares. 80% du pôle sont dans le périmètre communal de Bargny. Pourtant, on nous parle du Pôle de Diamniadio. 460 hectares, c’est ce que la Sococim a pris comme réserve de carrière pour les siècles à venir. Et c’est l’Etat aussi qui a donné ces terres. Mais qu’est-ce qui se passe ? L’Etat ne nous a jamais soutenus. Il y a de nouvelles autorités qui sont là. Leur slogan, c’est Jub-Jubal-Jubanti. Nous attendons pour voir. Mais on a écrit au président de la République, on a écrit au Premier ministre, on a écrit aux différents ministères concernés. Nous attendons. Aucun des Etats qui se sont succédé, ne nous a jamais soutenus, aidés ou accompagnés.
Vous avez participé aux Conférences des parties (Cop), ces rencontres mondiales sur le climat. Vous avez aussi participé à la Conférence sur l’océan en France. Qu’est-ce que ces rencontres internationales apportent de concret à des communautés comme les vôtres ?
Nous participons à ces rencontres parce que ça nous concerne doublement. La semaine dernière, le ministère de l’Environnement, par le biais de Mme Madeleine Diouf Sarr, qui est chargée des Changements climatiques, était à Bargny avec les responsables du fonds «Pertes et dommages». Donc, ça commence à donner des fruits. Lors de la Cop28 à Dubaï, on s’est battus avec les autres communautés, les peuples autochtones et les militants. On a fait des manifestations, des sensibilisations, on a hurlé devant l’Assemblée des chefs d’Etat, devant l’Assemblée des bailleurs de fonds, pour leur dire que le fonds «Pertes et dommages» doit revenir aux communautés impactées. A Nice aussi, c’était pareil, et il y a eu un Traité sur la haute mer pour le respect des océans, la pollution plastique et tout ce qui touche à l’océan. La Société civile, surtout africaine, a joué un grand rôle. Maintenant, pour le fonds «Pertes et dommages», il y a des discussions, parce qu’on devait le loger au niveau de la Banque mondiale, et nous, c’est ce qu’on a refusé, parce que le Fonds vert pour le climat et celui d’adaptation étaient logés au niveau de la Banque mondiale, et c’étaient des prêts. Nous avons dit que le fonds «Pertes et dommages» ne doit pas être un fonds d’investissement, mais plutôt des subventions pour aider les communautés. Si c’est un fonds d’investissement qu’on va loger encore dans les banques, les communautés vulnérables n’en verront pas la couleur.

Propos receuillis par Mame Woury THIOUBOU – (mamewoury@lequotidien.sn)