Dans cette seconde et dernière partie de l’entretien qu’il a accordé au journal Le Quotidien, l’ancien patron du Groupe Avenir communication revient sur l’expérience tirée de son escapade en politique, ses relations avec Macky Sall et Amadou Ba, l’actuelle gouvernance, ainsi que ses nouvelles occupations et les ambitions qu’il nourrit pour son pays.Vous êtes allé aux élections sur la liste «Jamm ak Njerign» dirigée par Amadou Ba. Néanmoins, étant 15ème sur la liste, vous n’aviez pas beaucoup de chances d’être élu, au vu de la dispersion des candidatures dans l’opposition. N’avez-vous pas eu le sentiment que les gens ont utilisé votre renommée et votre réputation, et fait de vous juste un faire-valoir ?

Par rapport aux investitures pour ces élections législatives, j’avais pour ligne de conduite de ne rien demander, rien exiger. J’ai laissé la latitude aux responsables de la coalition, notamment Amadou Ba et ses collaborateurs, de procéder aux investitures. J’avais indiqué clairement que j’étais candidat et m’engageais à être candidat, quelle que soit la position. J’ai découvert ma position d’investiture au même titre que tous les Sénégalais. Peut-être que j’aurais pu avoir une meilleure prétention que celle-là, mais c’était pour moi une première expérience. D’autant plus que j’aurais pu penser que cette investiture à cette 15ème place que vous soulignez, aurait pu être une motivation pour les électeurs, qui souhaitaient me voir siéger, pour me donner assez de voix pour être élu. Cela n’a pas été le cas, et c’est une expérience que je note.

L’autre leçon à tirer de cet engagement politique, est ce que je pourrais appeler la vénalité des acteurs politiques. J’ai pu comprendre qu’il faudrait peut-être que l’on songe à faire la politique autrement. Ne pas faire la politique pour la simple recherche de sinécure ou de recherche d’opportunités, de possibilités d’enrichissement ou de promotion personnelle. Dans des situations comme celles-là, d’aucuns sont plus préoccupés par leur situation politique, par leur carrière, leur devenir ou par leur confort personnel, plutôt que par l’intérêt général. Certains sont incapables de s’élever sur une dynamique commune. De ce point de vue-là, l’égoïsme des gens a beaucoup pesé, et c’est une des leçons que je retiens de la politique. Nous devrions travailler à faire en sorte que la politique ne soit pas un métier, que nous fassions de sorte que les gens puissent se valoriser autrement et ne pas faire de la politique leur métier, et que quand on entre en politique, on porte des causes justes et avec la conviction et la volonté de servir l’intérêt général. Ce mauvais esprit m’avait d’ailleurs poussé, vous pouvez l’avoir remarqué, à battre campagne en solo, de mon côté, en gardant mon identité propre, sans trop participer à des groupes au sein desquels la loyauté et la bonne camaraderie n’étaient que de façade.
Il faut aussi dire que les acteurs politiques, notamment de l’opposition, dans laquelle nous étions, n’ont pas su transcender leurs clivages, leurs antagonismes ou leurs petites mesquineries personnelles, pour les mettre en-dessous de l’intérêt général, ce qui, peut-être, n’avait pas permis de constituer une liste commune de l’opposition pour ces Législatives. Je crois que si l’opposition était partie unie, en unissant ses forces, en faisant preuve de générosité, on aurait pu obtenir mieux que les résultats de novembre 2024.

Vous vous êtes toujours vanté urbi et orbi, de vos relations d’amitié avec l’ancien Président Macky Sall qui, lui, a dirigé la liste «Takku Wallu». Beaucoup de gens n’ont pas compris votre choix de ne pas aller sur la liste qu’il dirigeait.
J’étais plus en phase avec Amadou Ba, et je trouvais sa liste plus crédible que la liste dirigée par Macky Sall, et la candidature de Amadou Ba plus crédible que celle de Macky Sall. La preuve, j’avais clairement dit que Macky Sall ne siégerait pas à l’Assemblée nationale, que ce serait une candidature qui n’aurait pas de sens et serait perdue d’avance. Je l’avais même dissuadé, en vain, de poser cette candidature. Moi, j’ai assumé mes propos de ce point de vue-là. Je lui ai dit qu’être candidat, ce serait diviser les voix de l’opposition. Je l’avais dit publiquement, et c’est ce qui est justement arrivé. Je pense que s’il n’y avait pas la candidature de Macky Sall, pour diviser les voix de l’opposition, certainement que celle-ci aurait pu avoir un meilleur score à ces élections législatives. A l’analyse, cette candidature était faite contre Amadou Ba.
Et puis, quand on parle de relations avec Macky Sall et Amadou Ba pour fonder mon choix, je crois qu’on ne doit pas déterminer l’engagement politique par des affinités personnelles. C’est important certes, mais cela ne détermine pas tout. Et même pour les affinités personnelles, je rappelle tout de même que j’ai connu Amadou Ba, et je l’ai pratiqué bien avant de connaître et de pratiquer Macky Sall. Nos relations n’ont jamais changé. Et cela est ressorti dans les livres que j’ai écrits sur Amadou Ba et sur Macky Sall. Donc, sur ce point-là, je suis à l’aise. D’autant plus que je garde des relations très franches et très amicales avec les deux. Ce qui me met à l’aise dans ces bons rapports avec les deux, c’est que j’ai le loisir de dire à l’un comme à l’autre, le fond de ma pensée, et de la manière la plus objective.
J’ai pour principe de m’interdire de dire devant Macky Sall ce que je ne souhaiterais pas que Amadou Ba apprenne. J’ai aussi la même posture de m’interdire de dire devant Amadou Ba ce que je craindrais que Macky Sall apprenne. Tous les deux le savent. Nous avons des rapports très francs, et même je n’hésite pas quand… même si je ne dis pas des vertes et des pas mûres à l’un comme à l’autre, mais je leur parle en toute franchise. Ils peuvent ne pas être d’accord avec ce que je leur dis. Mais Dieu a fait que je n’ai jamais fait, à l’un comme à l’autre, une recommandation qu’il ait eu à regretter par la suite. Au contraire, c’est parfois en ne suivant pas mes conseils que l’on s’est mordu les doigts.

On voit aujourd’hui, plusieurs acteurs politiques et même des hommes d’affaires, poursuivis ou rattrapés par des dossiers estampillés «Reddition des comptes». Que pensez-vous de ces poursuites, comme celles de Farba Ngom et d’autres, et de la manière dont elles sont menées ?
Je crois que la reddition des comptes est une chose nécessaire dans la démocratie et dans la gouvernance publique. Je l’encourage vivement et je pense que chaque fois que l’on a eu à gérer des deniers publics, que l’on puisse répondre de sa gestion. Il faut aussi que l’on puisse en tirer des leçons, pour qu’à l’avenir, s’il y a des failles ou des dérives, on puisse les corriger et faire des recommandations fortes. C’est le rôle des corps de contrôle et des juridictions qui s’occupent de ces questions-là. Le nouveau régime en place a tenté cela, c’est tout à fait logique et attendu. Ils ne pouvaient pas faire autrement. Mais nous sommes dans un Etat de Droit, et il faudrait respecter la légalité procédurale, et cela n’est pas toujours le cas. Je le regrette et le fustige. Si on prend le cas de Farba Ngom que vous avez cité, je reste sur ma faim de voir que l’on a pu lever l’immunité parlementaire d’un député sans que l’on n’ait donné le fond du dossier à la Représentation parlementaire, pour que les gens puissent analyser le bien-fondé de la procédure.
Ousmane Sonko avait fait l’objet de la levée de son immunité parlementaire, dans une législature antérieure. Je ne pense pas que les gens l’aient fait dans des conditions pareilles. Au contraire, il y avait un dossier, et les gens avaient eu des discussions de fond, il y avait des éléments d’enquêtes qui avaient été portés à l’attention des députés, qui votaient en connaissance de cause. Mais là, les députés ont voté à l’aveugle, et je ne crois pas que ce soit la bonne procédure. On aurait pu éviter la justice des vainqueurs. Du temps de Macky Sall, je l’avais dénoncé, concernant les poursuites contre Karim Wade devant la Crei, qui ne me semblaient pas pertinentes. Et j’avais trouvé que la Crei était une juridiction inique qui n’avait pas de raison d’être dans notre arsenal de Droit positif. Donc, j’étais sur des positions de principe, et ces mêmes positions de principe m’autorisent aujourd’hui à pouvoir dire qu’en toute chose il faut respecter la procédure et la légalité. C’est la responsabilité des hommes politiques, mais aussi des magistrats et des acteurs judiciaires.

Quid des indemnisations payées à des anciens détenus pour les évènements de 2021 et 2024 ?
C’est une aberration ! C’est une récompense versée à des voyous qui étaient envoyés casser des biens publics et privés, des vandales qui avaient pillé et tué, et avaient répondu à des appels publics à l’insurrection. Cela heurte la morale et le Droit. C’est comme une prime ou leur part d’un butin. Ces gens se présentent comme des héros et leurs victimes passent pour être les bourreaux. J’imagine le malaise qui doit traverser les Forces de défense et de sécurité et les magistrats qui avaient tenu pour préserver la République et l’Etat de Droit. J’ai entendu des gens essayer de se justifier affirmant que Macky Sall avait procédé de même pour indemniser des victimes des tragiques heurts de 2011. Je regrette, mais l’analyse et le bien-fondé ne sauraient être comparables. En 2012, il n’était pas question de soustraire à l’action de la Justice un homme que ses turpitudes et faiblesses avaient amené à commettre des actes punissables par la loi. Il reste que mes amis de l’Apr sont mal placés pour faire la leçon à qui que ce soit sur le sujet. Ce sont eux qui avaient porté cette loi d’amnistie et l’avaient votée, en dépit de la fine bouche de Pastef. Rappelez-vous que lors du vote de cette inique loi d’amnistie, le principe de l’indemnisation avait été clairement posé et retenu. Je vous renvoie à la déclaration devant les députés, de Me Aïssata Tall Sall, ministre de la Justice. Aujourd’hui, le régime Pastef fait ce que mes amis de l’Apr auraient sans doute fait sans état d’âme, s’ils étaient restés an pouvoir !

J’imagine qu’étant devenu maintenant écrivain, vous ferez un jour un livre sur vos escapades dans le Landerneau politique…
Vous faites bien de le dire. Je ne sais pas si c’est à titre de mon expérience personnelle ou pas, mais je suis en train de finaliser un livre sur le Président Abdoulaye Wade. L’année 2024 coïncide avec les 50 ans du Pds. Ce parti a été fondé le 31 juillet 1974, son premier congrès d’investiture s’est tenu en 1975 à Kaolack. Ces 50 ans du Pds sont un parcours assez éloquent qui mérite une analyse ou une rétrospective. En mars prochain, ce sera les 25 ans de l’accession de Wade au pouvoir. Ce sera une date-repère pour une analyse sur le parcours et la gouvernance du Président Abdoulaye Wade. C’est pour cela que j’ai entamé ce travail éditorial, qui est presque bouclé. Il me reste deux ou trois interviews de personnalités pour pouvoir publier à l’horizon du mois de mars, afin de caler avec l’anniversaire de l’accession de Abdoulaye Wade au pouvoir. C’est sur ce travail que je suis.
J’avais dit que je prenais du recul pour faire des livres. J’ai sorti un premier roman, sur l’émigration irrégulière, là je vais sortir un autre livre sur un sujet politique, ou comme vous dites, sur le Landerneau politique, et peut-être, plus tard, sur d’autres questions.

Qu’est-ce qui vous fait courir maintenant, Madiambal ? Vous avez connu plusieurs étapes dans votre vie, fonctionnaire de l’Etat, employé d’Ong, patron de presse, ayant pris du recul dans ce domaine, et maintenant vous vous lancez dans l’écriture. Y’a-t-il encore autre chose qui vous passionne ?
Bon,… je suis un actif, peut-être un hyperactif.

Un oisif heureux ? (rires)
En tout cas, je suis quelqu’un qui travaille beaucoup, et je ne m’impose pas de limites. Je suis exigeant vis-à-vis de moi-même et de mes collaborateurs. Quand je fais quelque chose, je veux le faire bien. J’ai encore la force de travailler, de réfléchir et de participer à des choses utiles pour moi-même, pour ma famille et pour mon pays. Je vais les poursuivre, tant que j’aurais l’énergie nécessaire, la force et la clairvoyance nécessaires. J’entreprendrais des choses, qui peuvent réussir ou ne pas réussir. Mais c’est le propre de l’homme d’entreprendre, et je crois que j’ai l’esprit entrepreneurial, et je crois que c’est cet esprit qui m’a permis d’en arriver où j’en suis. C’est un parcours plein d’embûches, mais aussi plein de leçons, que je partage avec mes collaborateurs, et avec mes proches. Je suis sur des choses sur lesquelles je travaille, comme homme d’affaires, comme investisseur. Je suis aussi sur des travaux de recherche, sur lesquels je travaille actuellement avec des structures qui sont aux Etats-Unis. Cela m’occupe et me permet de participer à la vie publique de mon pays.
SUITE ET FIN