Le mercredi 4 juin 1958, depuis le balcon du Gouvernement général d’Alger, le général de Gaulle a prononcé le discours dont une phrase en a fait l’un de ses discours les plus célèbres, si ce n’est le plus célèbre : «Je vous ai compris.» Pour le paraphraser dans un autre contexte, je conjugue le même verbe «comprendre» au même mode, l’indicatif, mais à un autre temps, le présent et à une autre forme, la forme négative, pour dire quoi ? Pour dire, en désespoir de cause, le cœur meurtri et la mort dans l’âme, que je ne vous comprends pas. Oui ! Je ne vous comprends pas. La répétition étant pédagogique, je dis bien que je ne vous comprends pas. Je m’empresse de dire : Vous, qui ? Mon incompréhension sous forme de cri du cœur, d’alerte et d’appel à l’introspection s’adresse aux Sénégalaises et aux Sénégalais qui se reconnaissent à travers les causes de mes interpellations ou mieux, avec les réponses que j’apporte à mon interrogation : pourquoi je ne vous comprends pas ?
Je ne vous comprends pas à cause des comportements que vous adoptez. Je ne vous comprends pas à cause des attitudes que vous avez. Je ne vous comprends pas à cause de la voie que vous suivez. Comportements, attitudes et voie, par rapport à quoi ? Par rapport au respect strict des mesures édictées par nos autorités sanitaires, par conséquent, par rapport aux responsabilités individuelles et personnelles d’abord et collectives, ensuite à assumer quant au rôle que chacun, chacune, chaque Sénégalaise, chaque Sénégalais doit jouer pour le suivi des recommandations faites, l’application des directives clairement définies et le respect des consignes expliquées et explicitées, pour empêcher la propagation du virus du Covid-19.
Si un enseignant qui a consacré toute sa carrière professionnelle, pour ne pas dire toute sa vie, à expliquer et à expliciter pour faire comprendre : pour avoir été professeur craie et chiffon en main pendant une vingtaine d’années ; pour avoir ensuite, en tant qu’inspecteur de l’Enseignement moyen et secondaire général, exercé les missions de formation, de contrôle, d’évaluation et de suivi des professeurs de ses disciplines ; pour enfin, avoir apporté pendant dix ans au niveau institutionnel sa modeste contribution à la réflexion et à la gestion des enseignements-apprentissages et de la vie scolaire, si un tel enseignant qui a usé et abusé des questions «Est-ce que vous avez compris ? Qu’est-ce que vous n’avez pas compris ?», dit qu’il ne comprend pas, c’est que ce qui se passe est incompréhensible à cause de la gravité de la situation. En réalité, je ne vous comprends pas, mais mon incompréhension est bien compréhensible. Elle se comprend par vos attitudes inadmissibles, elle se comprend par vos comportements intolérables, elle se comprend aussi par vos agissements inacceptables, car l’heure est grave, très grave et gravissime :
Grave d’abord parce que la propagation du virus et le nombre de sujets contaminés se font à une vitesse vertigineuse et à une croissance exponentielle alors qu’aucun vaccin n’existe pour le moment.
Très grave ensuite parce que certains Sénégalaises et Sénégalais, pour des raisons le plus souvent justifiées et non expliquées parce qu’inexplicables, refusent de respecter les directives édictées pour endiguer la propagation du virus. Des questions ! Plusieurs questions, tout un questionnement : les appels et les rappels à respecter les directives de nos autorités sanitaires ont-ils été entendus ? A quoi ont servi les éditions spéciales quotidiennes de tous les média audiovisuels ? Que dire des efforts faits par ces média en utilisant plusieurs canaux linguistiques pour transmettre les messages, et les unes quotidiennes de tous les journaux sur le même sujet ?
Les informations, toutes les informations sur le Covid-19, sont diffusées à longueur de journées par les radios, les télévisions et les journaux. Les contenus exprimés sous diverses formes ont un fond pour ne pas dire un dénominateur commun : en plus des informations à chaud, il s’agit d’un ensemble de messages qui, après diffusion, sont quotidiennement rappelés, répétés et rabâchés ; d’où mon incompréhension qui se comprend davantage par le questionnement suivant : Nos autorités, nos spécialistes et nos experts ; nos guides et nos artistes, dans les domaines scientifique, religieux et artistique, vont-ils continuer à prêcher dans le désert ? Que dire des informations préoccupantes, pour ne pas dire alarmantes, en provenance des principaux foyers du Covid-19 ? Ne doivent-elles pas constituer une alerte rouge pour une introspection ? Les efforts faits par l’Etat, les nombreux sacrifices consentis par les groupes de presse privée qui participent vaillamment à l’effort de guerre contre le coronavirus en jouant le rôle citoyen et patriotique de service d’Etat, doivent-ils rester vains ? Pour toutes ces questions, il y a une et une seule réponse en lettres majuscules : NON. Je dis bien Non pour, enfin, expliquer pourquoi la situation n’est pas seulement très grave : elle est aussi gravissime.
Gravissime enfin, car ce n’est pas souhaitable, mais les conséquences pourraient être dramatiques, si elles ne le sont pas déjà. Elles pourraient même être pires que les conséquences des deux guerres mondiales. En tirant les leçons des conséquences de ces deux conflits, si tant est que les leçons de l’Histoire servent ou plutôt doivent effectivement permettre de comprendre le passé pour éviter ou corriger les erreurs du présent, que pouvons retenir de notre étude comparative. L’Afrique a participé à ces deux conflits par l’envoi de ses fils dans les différents fronts et par une importante contribution à l’effort de guerre. Si on reconnaît que l’Humanité est en guerre, une guerre asymétrique me rétorquera-t-on, quand bien même c’est toujours une guerre qui est pire que la guerre conventionnelle, il suffit de comparer l’état d’esprit des Sénégalais pendant ces guerres et leur état d’esprit par rapport au Covid-19.
Si dans les quatre communes les citoyens français étaient conscients du déroulement de ces conflits comme les Français de la Métropole, dans le reste du pays, l’état d’esprit des populations n’était pas le même. C’est ainsi, en utilisant des noms d’emprunt à mes cousins Peulhs/Toucouleurs et Diolas, qu’un Samba Yoro Sow, un Bocar Kane, un Hamady Wane à Linguère, à Kolda et ou à Matam, un Malang Diatta, un Pierre Sagna, un Mamadou Diédhiou à Bignona, à Oussouye ou à Ziguinchor, poursuivaient normalement leurs activités quotidiennes : qui pour conduire son troupeau sans souci, qui d’autre pour s’occuper tranquillement de sa rizière, sans se préoccuper de la progression des troupes allemandes dans les différents fronts. Ce qui est totalement différent avec cette pandémie dont les conséquences commencent à se faire ressentir dans les localités les plus excentrées du pays.
Et pourtant, les populations sont quotidiennement, à longueur de journée, informées de l’évolution de la pandémie grâce à la campagne de médiatisation radiophonique et télévisuelle des média d’Etat et des groupes de presse privée qu’il faut saluer pour leur patriotisme qui par principe ne se proclame pas par le simple verbiage, mais se mesure par des actions concrètes, palpables et évaluables comme ils le font actuellement si bien, en chamboulant leurs programmes. Cette surmédiatisation est une bonne chose, un très bon support pédagogique, non pour apeurer, encore moins affoler, mais pour conscientiser sur les comportements à adopter et sensibiliser sur les voies à suivre en vue d’endiguer la propagation du Covid-19 et faciliter à nos services sanitaires la prise en charge des malades dont le prompt rétablissement est souhaité. Les prières ! Continuons à prier, à beaucoup prier, mais tout en priant, demandons-nous si chaque Sénégalais et chaque Sénégalaise se pose l’importante question à savoir s’il est en train de jouer et de bien jouer sa partition par des actions concrètes dans la lutte contre le coronavirus. Je reste toujours sur ma faim et ma soif quant à ma volonté de vouloir bien vous comprendre est loin d’être étanchée. Et pour causes :
Au moment où les mosquées de la Mecque et de Médine sont fermées, au moment où la pratique du cinquième pilier de l’islam pourrait être compromise, au moment où la Basilique Saint-Pierre du Vatican est fermée ; alors que le Pape François a prononcé son message de bénédiction urbi et orbi de Pâques à l’heure du Covid-19, alors que les conséquences, même si ce n’est pas souhaitable, pourraient être pires que celles des deux guerres mondiales, avec l’effondrement de l’économie mondiale et le blocage des systèmes éducatifs, peut-on ou doit-on continuer à ignorer les conséquences de la pandémie ?
Et pourtant, invraisemblablement, aussi étonnamment que curieusement et incroyablement, en ce moment, à l’instant même (hic et nunc) devrais-je dire, certains comportements dont les auteurs semblent ignorer, s’ils ne refusent pas purement et simplement de reconnaître la gravité de l’heure, inquiètent et obligent à se poser des questions, plusieurs questions.
Le constat est regrettable : les attroupements dans les terrains de sport, dans les plages, dans les grand-places, les regroupements autour de la théière, les marchés improvisés, la réglementation des transports contournée sinon royalement ignorée, et pire : le non-respect du couvre-feu par certains. Face à de tels comportements et au moment où il n’existe aucun vaccin, que faire, ou mieux que doit-on faire ? Comment éviter toutes ces dérives ?
Tout le monde est interpellé pour accomplir sa mission en participant à la fabrication du seul vaccin à notre portée, sous la forme d’une contribution quotidienne de chaque Sénégalaise et de chaque Sénégalais au renforcement de l’élan national civique et patriotique pour endiguer la propagation du Covid-19 et à l’engagement collectif en vue d’éradiquer son mode de contagion le plus dangereux : la contamination communautaire. Cet élan exige une prise de responsabilité au niveau individuel d’abord et collectif ensuite : en quoi faisant ? Que chaque Sénégalaise, chaque Sénégalais, se considère comme le maillon le plus important de la chaîne de solidarité nationale requise pour endiguer la propagation du Covid-19. Mieux, les 16 millions 209 mille 125 (projections de 2019) Sénégalaises et Sénégalais que nous sommes devons constituer une équipe de relais dont chaque membre doit démontrer ses talents d’endurance et de vélocité pour remettre rapidement le témoin à son coéquipier qui l’attend impatiemment pour le triomphe final.
Le départ de cette course tarde à être donné, pas à cause de l’absence d’un arbitre, mais des comportements évoqués plus haut. Le respect et la prise de conscience de l’application urgente de toutes les mesures édictées par nos autorités étatiques et sanitaires sont les seuls critères d’auto-évaluation. Cela requiert et exige un minimum de discipline. Comparaison n’est pas raison, mais Wuhan ne serait jamais dé-confinée en ce moment sans la discipline de ses habitants.
Prenons donc toutes et tous le départ ! Essayons même de nous rattraper pour que notre système éducatif puisse être rapidement débloqué, pour que nos élèves puissent être élevés, pour que nos étudiants puissent étudier, pour que nos enseignants puissent enseigner, pour que toutes les activités économiques puissent reprendre et pour que, sans emphase ni moralisation, ni catastrophisme, je puisse conjuguer le verbe comprendre au même mode, au même temps, mais à la forme affirmative et dire : je vous comprends parce que vous avez, enfin, compris, bien compris et très bien compris mon incompréhension !
Monsieur Dibor BAKHOUM
Inspecteur de l’Enseignement Moyen et Secondaire Général,
Historien de formation,
Téléphone : 775345906,
ngorngom@gmail.com