Jean-Luc Mélenchon, un Socrate moderne ?

Laïcité, ignorance et l’art de distinguer
L’arène politique comme agora philosophique
Dans une époque saturée de polémiques instantanées, rares sont les voix qui osent rappeler que la politique n’est pas seulement gestion des affaires publiques, mais aussi exercice de pensée. En refusant l’amalgame entre islam et terrorisme, Jean-Luc Mélenchon ne se contente pas d’une posture partisane : il convoque une méthode, celle de la distinction, qui fut au cœur de la démarche socratique.
L’ignorance ignorante : un mal intemporel
Socrate dénonçait l’illusion de savoir comme la pire des ignorances. Assimiler une religion à sa déformation violente relève de cette illusion : croire comprendre alors qu’on ne fait que projeter ses peurs. Mélenchon, en rappelant que «le vrai mal n’est pas l’islam, mais l’ignorance ignorante», réactualise cette critique.
Hannah Arendt, dans La vie de l’esprit, écrit : «Penser, c’est dialoguer avec soi-même. Celui qui refuse de penser se condamne à répéter les préjugés.»
Refuser l’amalgame, c’est précisément refuser de céder à la paresse intellectuelle qui transforme la peur en certitude. Mélenchon s’inscrit ainsi dans une tradition où la pensée critique est une condition de la démocratie.
Laïcité : liberté et non exclusion
La laïcité, principe fondateur de la République, est trop souvent instrumentalisée comme arme contre une communauté. Or, sa vocation est inverse : garantir la liberté de conscience et l’égalité des citoyens. En rappelant que «la laïcité n’est pas un athéisme d’Etat», Mélenchon réinscrit ce principe dans sa vérité originelle.
Paul Ricœur, dans Le Juste, souligne : «La Justice est ce qui permet à chacun d’être reconnu dans sa singularité, tout en participant à l’universalité des institutions.»
La laïcité, comprise comme neutralité de l’Etat, est une institution juste : elle organise la coexistence sans nier les différences. Mélenchon, en défendant cette lecture, rejoint une herméneutique du politique où l’équité prime sur l’exclusion.
Le courage de la nuance
Dans un monde où les slogans dominent, la nuance devient un acte de résistance. Socrate provoquait ses contemporains en refusant les certitudes faciles ; Mélenchon, lui, s’expose aux critiques d’angélisme ou de calcul politique. Mais la force de sa posture réside précisément dans ce refus de la simplification. La nuance n’est pas faiblesse : elle est courage intellectuel.
Arendt rappelait : «Le danger des idéologies est de supprimer la complexité du réel au profit d’une explication unique.»
En ce sens, la posture de Mélenchon n’est pas seulement politique : elle est une défense de la démocratie comme espace de pluralité et de dialogue.
Une éthique du débat
Ce qui se joue ici dépasse la politique. C’est une question de méthode : comment débattre sans caricaturer ? Comment distinguer sans amalgamer ? En plaçant la raison et le dialogue au centre, Mélenchon rappelle que la démocratie n’est pas seulement un régime institutionnel, mais une pratique de la parole juste. Comme Socrate, il invite à «connaître» avant de juger, à interroger avant de condamner.
Il est à noter que comparer Mélenchon à Socrate n’est pas dire qu’il en est l’héritier direct, mais reconnaître dans sa posture un écho antique : celui d’un homme qui, dans le tumulte de l’agora moderne, ose rappeler que la sagesse commence par la distinction. Avec Arendt, elle rappelle que penser est un devoir démocratique ; avec Ricœur, que le vivre-ensemble suppose des institutions justes. A l’heure des réseaux sociaux et des polémiques instantanées, cette leçon philosophique est peut-être la plus urgente.
Diama BADIANE
Philosophe et sociologue

