La jeunesse a été la belle la plus courtisée dans toute cette période de tension vécue ces dernières semaines. Tout ce cycle fait de marches, d’interdictions administratives, de débordements, de manifestations contenues et de déclarations chocs qu’on voudrait voir comme indicateur d’une vitalité démocratique ou le déclin d’une démocratie, plutôt qu’un cirque tout orchestré d’ego surdimensionnés et irresponsables, a sans cesse convoqué la frange la plus jeune de la population. En fonction des bords politiques, la jeunesse a été appelée à déloger le pouvoir, à servir de remparts contre une barbarie, à se frotter aux Forces de l’ordre, à se dresser face à un avenir incertain ou à casser du journaliste. Les envolées lyriques pour que la jeunesse prenne ses responsabilités sur le devenir du Sénégal ont été nombreuses, mais on peine difficilement à ne pas déceler derrière ces appels, une volonté de se constituer une armée de bras et jambes malléables au gré des intérêts.
Dans un pays où l’âge moyen de la population est de 19 ans, on ne peut penser la politique ou la faire sans impliquer les jeunes. Face à cette exigence de devoir œuvrer de façon consciencieuse et bénéfique pour la jeunesse, on constate malheureusement, une infantilisation des masses juvéniles dans un populisme primaire avec comme velléité de convoquer les instincts destructeurs les plus vils.
Le politicien sénégalais se trouve bon quand il amadoue ces hordes de jeunes de délires populistes pour opérer un «grand basculement» qui carburerait à la défiance outre-mesure. Le politicien sénégalais se pense bon quand ses discours politiques sont bus comme des prêches par de jeunes militants ayant troqué la discipline des écoles de partis au zèle partisan des fans clubs. Ce n’est pas surprenant de voir les codes du langage religieux gagner toute la scène politique. Les militants attendent désormais de leur leader politique des «ndiguël» ! Le politicien sénégalais se veut d’une sage écoute quand les échanges avec la jeunesse sont au format d’agoras triées sur le volet, souvent avec des jeunes déconnectés du pouls du pays mais se voulant voix de tous. Le politicien sénégalais se pense en fusion avec la jeunesse de son pays quand il se fait promoteur d’une «immaturité» à coup de saillies et de déclarations comiques qui tournent en boucle sur les réseaux sociaux. La force des partis politiques se mesure dorénavant en termes de publications aimées et partagées, plutôt qu’en nombre d’adhérents effectifs à la formation politique ou de militants connaissant les textes de leur parti. Le Président Wade se plaisait à chauffer à blanc une «jeunesse malsaine» pour défier les autorités politiques en 1988, mais nul n’aurait imaginé la force nocive malgré elle d’une jeunesse qui se clame «immature», livrée aux mains des entrepreneurs politiques de notre époque. On rivalise d’invectives et d’insanités par réseaux sociaux interposés, chaque groupe politique ayant ses champions de l’insolence et de l’outrage.
La jeunesse sénégalaise a fini échéances politiques après échéances à se confirmer comme un marchepied pour toutes les ambitions. Elle est la rampe royale pour accéder aux hautes sphères, mais la première trahie à l’heure des bons comptes. Tout le monde parle en son nom et lui voue le meilleur des amours, mais elle est bien perdante au change. Les jeunes qui sont appelés à voter à l’âge de 18 ans ne peuvent être investis comme députés qu’à 24 ans révolus. Ils sont rares les jeunes investis dans des listes nationales de coalitions pour les élections législatives du 31 juillet prochain à l’exception de Aar Sénégal. Un bel exercice de représentativité est à faire avec les listes des coalitions Benno bokk yaakaar (Bby) et Yewwi askan wi (Yaw) pour y voir les places taillées aux jeunes ! Au risque de froisser des idoles, la jeunesse est une monnaie de change qui fait l’acteur politique au Sénégal. Sa sympathie, son approbation et son soutien donnent une capacité de nuisance. Ils sont gages d’une existence politique certifiée sous nos cieux. La force de la jeunesse est un jouet d’adultes, utilisée sans cesse, dans le jeu de la peur qui a gagné toute notre vie politique. Il ne faut pas s’étonner de l’apathie politique faite de dégoût et de distanciation qui gagne une partie de la jeunesse. A force de se faire piétiner sans retenue par ses idoles, le marchepied qu’est la jeunesse sénégalaise s’est tapissé de toute sa dorure. Il commence à retenir les leçons après tout. Nos politiciens ne se sont pas gênés durant ce mois de juin à démontrer à tous que leur progéniture est destinée aux cours de Jupiter, tandis que la jeunesse des masses est bonne comme légionnaire soumis à toute corvée.
Par Serigne Saliou DIAGNE
saliou.diagne@lequotidien.sn