«Jeune, nous avons des larmes sans chagrin aucun ; vieux, on a des chagrins sans larmes versées», nous apprend avec justesse Joseph Roux.
Gouttes au goût salé, nos larmes n’expriment -ce n’est pas exhaustif- que les coursières infaillibles de nos peines cachées, de nos tristesses enfouies, de nos espoirs déchus ou perdus, de nos souffrances subreptices, de nos malices espiègles, de nos hypocrisies et autres duplicités monomaniaques. Mais il n’y a pas de honte à les laisser couler : elles racontent bien des choses, elles dévoilent absolument des secrets et libèrent exclusivement des poids longtemps enfouis dans nos poitrines meurtries ou désespérées.
Pleurer est un acte réflexe, qui soulage très souvent des tensions psychiques fortes telles que l’anxiété, l’angoisse, la peur, la tristesse, ou un tout autre trop-plein de tension positive comme négative (pleurer de joie, de dépit, de soulagement, de frustration, de honte….). Les larmes ont donc aussi un rôle protecteur psychique. Elles sont un des moyens de communication non verbale dont dispose l’Homme (notamment quand il est bébé, enfant, adolescent, adulte ou vieillard) lorsque -pour communiquer ou interagir- il n’est pas en état de parler convenablement. Pleurer possède aussi une fonction culturelle où l’émotion est forcément prédominante : si retenir ses larmes devant un gros et grand malheur qui frappe cruellement un prochain (dans nos pays où la peine est vécue de façon communautaire) fait passer pour un monstre froid, les verser sur le mortier de la case des hommes (circoncision) fait passer pour un lâche, et pour la vie tout entière.
Pourtant, heureux sont ceux qui sont capables de pleurer quand ils le veulent, car il n’y a pas de larmes impures, innocentes : en chacune des gouttes de nos larmes, brille un fragment d’éternité ; toute larme a sa source dans un autre monde qu’il faut savoir décrypter. Il est même remarquable que l’humain, seul parmi les êtres vivants qui dispose d’une réelle capacité linguistique, possède avec les larmes ou le pleurer un mode de communication très performant et entièrement dédié à une gamme étendue d’expressions émotionnelles. Par conséquent, bon nombre de communicants ont intérêt à savoir disposer du pleurer à bon escient. En effet, la régulation sociale humaine est largement assurée par l’affectif et l’émotif qui prédominent, dans ce domaine, sur la pensée collective.
Diouf avait pleuré à l’aéroport face au désastre (les mutilations et autres sévices) des événements sénégalo-mauritaniens ; Niasse avait versé des larmes une fois élu à la présidence de l’Assemblée nationale. Le redoutable et espiègle Idrissa Seck avait écrasé une toute petite larme à la Tfm. Est-ce une nouvelle forme, une nouvelle méthode de communication dédiée aux masses ? Allez savoir !
Je sais seulement que les larmes apparaissent comme l’indice de réactions émotives qui parcourent l’être au moment de sa «faiblesse». Plus exactement, ils en sont l’accompagnement visible, accrocheur et audible et, à ce titre, concourent à une forme de communication saillante et vivace entre un exposant calculateur et futé et son audimat ciblé et qui paraît de plus en plus attentif, de plus en plus averti, de plus en plus exigeant, de plus en plus aguerri. Oui, pleurer fait éviter à l’émetteur (l’homme politique qui veut convaincre) la spirale infernale des angoisses et de la dépression face aux réticences légitimes ou exagérées du récepteur (ici le Peuple -principalement la jeunesse- qui attend des solutions jooni-jooni° à ses problèmes cruciaux de devenir, de survie tout court). Sacré cercle vicieux, pénible casse-tête, me dira-t-on !
A Mbacké, des torrents de larmes ont coulé : Al Malik, président de l’An de la République de Ndumbélaan est certes un piètre politicien et un homme obscur, mais très affûté aux techniques de l’adversité partisane (il donnerait volontiers sa vie et celles de tous ceux qui le côtoient pour plaire au vizir-gourou). Mais communiquer n’est pas une somme d’acrobaties cognitives pour se convaincre soi-même ou son entourage immédiat, mais un exercice lucide à l’argumentaire probe et décent dédié à accrocher par la vérité, le maximum de récepteurs possible. Dire la vérité ? C’est là le plus difficile pour le gourou narcissique et paranoïaque de Ndumbélaan, pour ses partisans incultes et ses adeptes blasphémateurs !
Hé Milk ! On pleurerait donc parce que l’on éprouve une émotion sincère ? Pas si simple. Les larmes trahissent le plus souvent un état de désespoir, de tristesse ou de douleur, mais elles peuvent aussi apparaître en d’autres circonstances émotionnelles : honte, énervement, duperie, dépit…
La honte face à ces milliers de jeunes à qui on avait promis le Nirvana, qui se retrouvent aujourd’hui obligés de braver l’océan dans des embarcations mortifères pour rallier Barca ou barsaq°. La duperie de constater que le sensationnel bouquin «Solutions» s’est révélé être une simple, une saugrenue et indigeste littérature caricaturale qui n’apporte aucune solution au chômage des jeunes, à leur manque de formation, à leur éducation biaisée, à leur instruction édulcorée, à leurs attentes trahies, à leurs besoins oubliés depuis belle lurette. L’énervement intérieur qui tonne, gronde et menace d’ouvrir entrailles et poitrines devant les milliers d’yeux sur lesquels on lit un espoir porté sur un porozet° qui n’a jamais existé, qui ne se réalisera nullement. Le dépit de savoir que l’on peut tromper une partie du Peuple pendant un moment, mais qu’il y aurait forcément un réveil qui risque de faire des étincelles dans un avenir tout proche. Pathétique non ? Jar naa jooy ba def géej ci say ron tànk°.
Oui, mon cher Malik, pleurer n’est normalement qu’un acte réflexe banal, mais certains comédiens (dara safula ci), certains traîtres (ay naxaate rekk), certains malintentionnés (soppi leen ay yatu xeexukaay), certains hypocrites (sa doom ak ku xeetoog yaw nekku ci) peuvent produire des larmes en évoquant intérieurement des circonstances provoquant la tristesse ou s’appuyant sur une batterie d’astuces proches du leurre ou du bluff. C’est pourquoi on parle de larmes de crocodile.
La psychologie des larmes, surtout des larmes de crocodiles, indique que leur auteur est dans l’affront délibérément fait au prochain qui croit en lui, qui place ses espoirs dans son verbe et dans son geste : la mascarade est une traitrise, une comédie fade et écœurante, une insulte faite à l’intelligence de ceux à qui on s’adresse. Feindre la tristesse ou la compassion (pour son gourou surtout) pour manipuler, fidéliser, embrigader, endurcir, radicaliser, embobiner, abrutir, instrumentaliser et assujettir la jeunesse (l’espoir de demain) de son pays, du ndam°, c’est tuer en ce Peuple toute lumière, toute lucidité dans l’échelle de mesure consacrée au génie de l’Homme. Nax ku la bëgg yomb na lool ; dëkk ceey indi mbaňeel ëllëg sibir°.
Dis El Malik, tu n’as pas mal lorsque tu vois un jeune de ton pays se mettre une corde au cou et brouter ravi de l’herbe, acceptant ainsi avec bonheur le sobriquet réducteur (le nom d’un de nos ruminants domestiques) que ceux à qui il reste encore un peu de jugeote lui collent à la peau ? J’aurais aimé que tu entendes Henri Frédéric Amiel qui disait à juste titre : «Il est dangereux de se laisser simplement aller à la volupté des larmes ; elle ôte le courage et même parfois la volonté de guérir.»
Je parle du courage de dire la vérité aux jeunes qui vous adulent, ton vizir-gourou et toi, qui vous idéalisent, qui vous vénèrent, qui croient en votre magie, en votre génie (sic..) ; le courage d’avouer vos échecs, vos tâtonnements improductifs, les contrevérités, les menteries, les inepties et balourdises vendues comme baume au cœur, et autres contes de fées pour lesquels ils se sont suicidés jusqu’ici. Ayez aussi la volonté de guérir de la haine qui étouffe vos cœurs, de la vengeance qui vous taraude l’esprit. Il y a lieu de panser les plaies anciennes et nouvelles, mais surtout il faut guérir pour devenir plus grand encore. On ne se venge pas du cours de l’histoire. Les grands hommes prennent simplement leur revanche sur le destin.
Amadou FALL
Inspecteur de l’enseignement à la retraite à Guinguinéo
zemaria64@yahoo.fr