Malgré la bonne intégration des migrants au Cap-Vert, José Viana, président de la Plateforme des communautés africaines (Pca) du Cap-Vert, dénonce le «mépris» de certains gouvernements par rapport à leurs ressortissants. Dans cette interview avec Le Quotidien, José Viana reconnaît l’engagement de certaines ambassades et de leurs autorités dans la régularisation de la situation de leurs ressortissants installés au Cap-Vert, notamment le Sénégal et la Guinée-Bissau.La Plateforme des communautés africaines est à la veille de la Journée municipale des migrants, qui est célébrée le 18 décembre de chaque année. Comment voyez-vous l’intégration des immigrés au Cap-Vert en général ?
Aujourd’hui, nous pouvons dire qu’en général, l’intégration des immigrés est bien meilleure qu’il y a quelques années, en grande partie grâce au processus de régularisation extraordinaire mené par le ministère de l’Intérieur du Cap-Vert, qui visait à octroyer des permis de séjour en dehors de la période normale. En ce sens, je crois que 85% de la population immigrée totale de 10 mille 878 personnes se trouvent en situation régulière dans l’archipel. Il y a donc eu une augmentation considérable du nombre d’immigrés couverts par cette grande mesure. Mais ce n’est pas tout. Le Cap-Vert a mis à la disposition des immigrés, une série de dispositions légales qui leur permettent d’accéder aux politiques sociales et migratoires afin d’améliorer leur inclusion et leur intégration dans divers domaines tels que la santé, le commerce, l’éducation et la formation, entre autres.
Les immigrés ne cessent de dire qu’ils ont des soucis lorsqu’ils demandent certains documents à leur pays d’origine. Comment remédier à cette situation ?
Tout d’abord, j’aimerais dire qu’il existe des indicateurs de gouvernance qui visent à soutenir une politique migratoire bien gérée, en aidant les pays à évaluer la qualité de leurs services et à identifier les priorités. C’est sur cette base que nous avons constaté une certaine négligence de la part des gouvernements d’origine. Nous avons tenu à reporter cette préoccupation aux pays de la Cedeao qui ont des citoyens au Cap-Vert. Cependant, seuls le Sénégal, la Guinée-Bissau, la Côte d’Ivoire, l’Angola et Sao Tomé et Príncipe ont une représentation diplomatique dans le pays. Quant aux autres pays, certains sont basés au Sénégal et, dans le cas de la Gambie, son ambassade se trouve en Guinée-Bissau. Par conséquent, les immigrants de ces pays n’ont pas accès à un certain nombre de décisions et de politiques en faveur de leur séjour au pays, en particulier en ce qui concerne la documentation.
Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ?
Dans le processus d’obtention d’un permis de séjour, les immigrés ont souvent des documents périmés, notamment leur passeport, et doivent donc retourner dans leur pays d’origine pour les renouveler. Mais, beacoup d’entre eux n’ont pas d’argent pour le faire. Mais ce n’est pas tout. On leur demande également un extrait de casier judiciaire de leur pays d’origine. Et c’est là le grand problème pour les communautés qui, dans certains cas, dépensent beaucoup d’argent pour obtenir ces documents dans ces pays.
Mais pourquoi ?
Parce que, dans la plupart des cas, les institutions publiques sont tellement éloignées des régions où vivent leurs proches qu’il leur faut deux ou trois jours pour s’y rendre. En ce sens, l’argent que les immigrés leur envoie, croyant que cela pourra couvrir les frais de transport et de documentation, n’est pas suffisant. Par conséquent, disent-ils, le membre de la famille utilise souvent l’argent pour payer la nourriture et le logement. Un problème survient alors et l’immigrant soupçonne son parent d’avoir dépensé l’argent à d’autres fins. Il décide alors de ne plus envoyer d’argent et finit par renoncer aux documents.
Combien paient-ils pour obtenir leurs documents dans leur pays d’origine ?
Selon les témoignages des immigrés eux-mêmes, les ambassades demandent un prix très élevé pour la rédaction et l’envoi des documents, entre 300 et 400 euros. Cela a découragé les immigrés et, par conséquent, certains d’entre eux finissent toujours par abandonner le processus. Nous avons constaté cet obstacle dans le processus de régularisation extraordinaire.
Selon vous, que devraient faire les autorités des pays d’origine pour les aider ?
Nous pensons que les consulats ou les ambassades devraient être correctement préparés pour effectuer certaines missions au Cap-Vert, par exemple en autorisant une équipe à venir dans l’archipel tous les trois ou six mois, qui puisse réellement effectuer ces tâches d’identification et de renouvellement de leurs documents. De janvier à juin 2022, nous avons obtenu du gouvernement capverdien, cette période extraordinaire pour régulariser le plus grand nombre possible de migrants. A l’époque, les autorités n’exigeaient qu’un casier judiciaire, un casier judiciaire délivré par les autorités capverdiennes, une preuve de subsistance, et que le document était à jour. Beaucoup d’entre eux avaient des documents périmés, d’autres les ont perdus au fil du temps. Cependant, nous n’avons pas eu un succès total, précisément en raison des contraintes que j’ai soulignées ici. Comme vous pouvez le constater, de nombreuses flexibilités ont été mises à la disposition des migrants. Malheureusement, ils doivent maintenant passer par les voies normales et payer un certain montant pour obtenir un permis de séjour ou la nationalité. Il faut néanmoins faire une remarque : à l’époque, nous avions demandé aux ambassades et à la Direction des affaires étrangères du Cap-Vert de nous aider à contacter les ambassades résidant à Dakar pour faciliter le processus. Dans certains cas, cela ne s’est pas concrétisé car certaines d’entre elles n’ont même pas répondu à nos demandes. Leurs ressortissants ont donc manqué cette occasion importante de régulariser leur situation gratuitement.
Quelles sont les raisons présentées par certaines ambassades pour justifier leur non-participation dans la procédure ?
Je m’explique : lors du processus de régulation extraordinaire mentionné ci-dessus, le ministère de l’Intérieur a demandé aux immigrants d’obtenir une déclaration auprès des services consulaires prouvant qu’ils étaient réellement citoyens de leur pays et qu’ils étaient venus au Cap-Vert à une certaine heure, un certain jour et une certaine année. Ces documents leur permettaient d’être admis et donc de demander un permis de séjour. Cependant, il nous semble que certaines ambassades n’ont probablement pas encore pris conscience de son importance et ont refusé de délivrer cette déclaration. Certains migrants ont renoncé à l’obtenir et les autres ont ensuite été enregistrés comme membres de la Plateforme des communautés africaines et ont reçu un document prouvant leurs revenus et le paiement d’une cotisation.
Pourriez-vous citer les pays qui ont refusé de collaborer à cet égard ?
En ce qui concerne le Sénégal, nous n’avons rencontré aucune contrainte au cours de ce processus. Le gouvernement de ce pays a facilité les choses et a aidé ses citoyens, comme d’autres l’ont fait, à authentifier leurs documents. Comme vous le savez, sans le cachet du service consulaire, le document n’a aucune valeur. Il convient également de noter que, en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères, la représentante de la Commission de régularisation extraordinaire s’est beaucoup investie et nous a aidés en termes de facilitation et de renouvellement des documents. Cependant, cela n’a pas été possible avec certaines ambassades résidentes, notamment la Guinée-Bissau, qui compte la plus grande communauté africaine. Je tiens à souligner que cette ambassade nous a créé beaucoup de contraintes sous prétexte qu’elle n’avait pas les compétences pour le faire. Il convient ici de faire une remarque : le gouvernement capverdien a même utilisé son ambassade à Dakar pour contacter les ambassades les plus proches et accélérer le processus, sinon nous ne serions pas au bon niveau d’intégration d’aujourd’hui.
Cela dit, quel devrait être le véritable rôle des ambassades ?
Les ambassades ont pour mission de représenter leur pays, de renforcer la coopération entre les pays dans différents domaines et de promouvoir un bon environnement commercial. Mais je pense qu’elles devraient aussi s’occuper davantage du bien-être des gens, savoir s’ils ont un emploi ou non, s’ils ont des besoins en matière de logement. Dans ce sens, ils ne font pas grand-chose. Les immigrés le ressentent dans leur peau et ont déjà exposé ce problème à la plateforme à plusieurs reprises, en comparant l’attitude du Cap-Vert à l’égard de sa diaspora. Dès lors, je pense que les ambassadeurs devraient organiser des réunions fréquentes avec leurs communautés, pour parler des possibilités et des défis qu’ils doivent relever. Certains d’entre eux, comme le Cap-Vert et le Sénégal, le font déjà et éliminent progressivement les obstacles. Cependant, nous sommes conscients que les ambassades ne disposent souvent pas des conditions nécessaires pour répondre à certaines demandes. C’est dans cette optique que la plateforme a demandé à ce que les ambassades disposent d’un bureau de production de documents pour leurs immigrés. Elles ont manifesté leur volonté de le faire, mais affirment que les structures de leurs services suivent certaines procédures imposées dans le pays d’origine, ce qui ne leur permet pas de répondre à la demande.
Etes-vous attristé par cette situation ?
Tout à fait ! J’aimerais que d’autres gouvernements africains suivent l’exemple du Cap-Vert, qui a fait des progrès en matière de politique migratoire dans la région. Par exemple, le Cap-Vert contrôle et suit les citoyens qui se trouvent hors de son sol et élabore des politiques avec les pays d’accueil afin de favoriser l’intégration et l’inclusion sociale dans ces pays. C’est pourquoi nous avons également besoin que les gouvernements africains collaborent avec nous de cette manière. C’est très important car si nous ne parvenons pas à réguler au moins les communautés les plus importantes, nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs en termes de régularisation.
Voulez-vous dire que les efforts déployés par la plateforme et les autorités capverdiennes ont été négligés en raison de ce manque de collaboration que vous venez de mentionner ?
Je me réfère ici au manque de collaboration utile que les pays d’origine devraient apporter pour stimuler tout ce que nous créons afin d’améliorer l’intégration de leurs citoyens au Cap-Vert. En plus, les résultats sont plus bénéfiques aux pays d’origine qu’au Cap-Vert, parce que lorsque les immigrants appliquent leur force de travail, leurs compétences et leur intelligence dans certains secteurs, ils sont toujours soucieux d’envoyer une partie des revenus aux familles vivant dans le pays d’origine, apportant ainsi leur contribution à l’amélioration des conditions de vie des êtres qui leur sont proches.
Un autre aspect qui préoccupe les communautés concerne les questions de mobilité entre les pays de la Cedeao. Y’a-t-il une grande coopération dans ce domaine ?
Nous ne savons jamais quand les gens quitteront le pays ou quand ils reviendront. Mais ce qu’il faut, c’est faciliter une migration et une mobilité ordonnées et flexibles. Comment ? Par exemple, en termes d’information. Souvent, les ambassades ne disposent même pas d’informations sur le nombre d’immigrants qui vivent au Cap-Vert ou qui l’ont quitté. Il est donc nécessaire que les pays d’origine se renseignent et soient curieux de savoir comment fonctionne ce processus, et ne restent pas inactifs, ce qui pourrait conduire les gens à spéculer, ce qui est pour nous injuste. Si les autorités faisaient leur travail d’information des citoyens sur les procédures, nous n’aurions guère de cas d’immigrants rapatriés parce qu’ils ne remplissent pas les conditions requises. Cet effort est donc nécessaire car nous pensons que la mobilité est un processus de réciprocité et de coopération qui apporte de la richesse non seulement à l’immigrant, mais aussi au pays d’origine. Je cite ici l’exemple d’un immigrant commerçant qui doit partir pour acheter des produits à l’extérieur et revenir. Je suis désolé de dire qu’il n’y a pas beaucoup de coopération dans ce type de mobilité, plus de la part des pays d’origine que de la part du Cap-Vert qui, je le salue ici, a une politique migratoire satisfaisante et progressive.
En d’autres termes, la communication est fondamentale dans ce processus…
C’est fondamental, sans aucun doute ! Ce n’est pas la responsabilité des pays d’accueil de transmettre ces informations aux immigrants. Je vous pose la question : combien de fois les ministres de l’Intérieur des pays de la Cedeao ont-ils rendu visite aux autorités capverdiennes pour s’enquérir du bien-être et du niveau d’intégration de leurs citoyens ? Très rarement. Il en va de même dans le domaine de la santé. Nous avons vu des immigrants avec de graves problèmes de santé et nous avons utilisé la prérogative du retour volontaire parce qu’ils n’avaient pas les conditions sanitaires ou financières pour rester dans le pays. C’est pourquoi nous devons évaluer efficacement les défis et maximiser les avantages que cette mobilité apporte.
Dans le cas des Sénégalais en particulier, comment s’est déroulée la coopération ?
Les Sénégalais et les Bissau-Guinéens ont une meilleure prérogative en ce qui concerne l’entrée dans le pays, car il existe d’excellents accords diplomatiques qui leur ont permis de le faire.
Quels sont les défis à relever par rapport à l’inclusion des migrants sur le marché du travail et à l’accès à la formation ?
Le Cap-Vert a fait un effort considérable en matière d’éducation et de formation des immigrés, conformément à la maxime du ministère de l’Education selon laquelle «personne ne doit être exclu de l’éducation». Cette facilité est perceptible même par rapport aux enfants, en intégrant également ceux qui ne sont pas nés dans le pays. En ce qui concerne la formation, beaucoup de migrants ont des compétences, mais la plupart du temps ils n’ont pas les certificats qui leur permettraient d’accéder au marché du travail et à certains niveaux de formation, en concurrence avec les Capverdiens. A cet égard, les autorités capverdiennes ont fait preuve d’une grande souplesse en investissant dans leur certification. Actuellement, plusieurs cours ont lieu à Praia dans différents domaines, y compris pour les immigrants qui n’ont pas un certain niveau d’éducation mais qui ont de l’expérience dans leur domaine de travail.
En ce sens, quel rôle la Cedeao pourrait-elle jouer ?
Il y a quelque temps, j’ai assisté à un forum lors de la Journée de la Cedeao et je me suis rendu compte qu’il y avait un certain nombre de programmes, d’actions destinés aux citoyens qui sont à la limite de la vulnérabilité. Cependant, dans ces présentations, je n’ai pas vu de migrants qui auraient pu bénéficier, par exemple, de l’amélioration de leur logement ou de la construction de salles de bain. Dans ce sens, la Pca va s’asseoir à la table des négociations avec la représentation de la Cedeao pour que nous puissions discuter de cette question et faire en sorte que les immigrés bénéficient également d’initiatives de ce type. Et les immigrés reconnaissent que cette organisation peut les aider à surmonter leurs difficultés financières et à remettre leur vie et leurs affaires sur les rails après la pandémie du Covid-19.
Dans ce contexte, quelles sont les prochaines étapes pour que les immigrants puissent bénéficier du soutien de la Cedeao ?
J’ai discuté de cette question avec la représentante du département juridique de la Cedeao, qui nous a promis qu’elle s’efforcerait d’envoyer un représentant du département social de la Cedeao à Praia pour expliquer comment les immigrants résidents pourraient accéder à certaines aides que la communauté pourrait mettre à leur disposition. La plateforme veut vraiment discuter des propositions au niveau consultatif de la communauté des Etats membres. Nous avons même envisagé d’organiser une réunion par vidéoconférence pour connaître ces avantages, mais nous n’avons pas pu le faire car, nous a-t-on dit, la personne responsable était en voyage.
Le Cap-Vert a approuvé et mis à jour sa loi sur la nationalité en juillet de cette année. En bref, quels avantages la loi apportera-t-elle aux immigrants ?
D’une part, par exemple, un immigrant qui souhaite investir dans le pays pourra obtenir un permis de séjour après y avoir vécu en permanence pendant cinq ans, puis demander la nationalité au début de la sixième année. Il pourra même voyager plusieurs fois, mais il devra revenir dans les trois mois. Il a plus de facilités parce qu’il a une entreprise. D’autre part, cette nouvelle loi facilite grandement la vie des enfants nés au Cap-Vert car, au bout de cinq ans, ils ont droit à la nationalité, que leurs parents aient ou non un permis de séjour. Il leur suffit d’en faire la demande ! Pour les personnes d’origine capverdienne, le processus est encore plus simple et plus automatique, puisqu’il suffit de présenter une déclaration à cet effet. Cependant, notre préoccupation est de préserver l’intégration des enfants qui sont nés en dehors du Cap-Vert et qui vivent aujourd’hui avec leurs parents. Ils n’auront pas le droit à la nationalité même s’ils y vivent pendant cinq années consécutives. Ils ne pourront le faire qu’à l’âge de 18 ans. Nous comptons donc sur la volonté du gouvernement capverdien pour résoudre ce problème.
Bien entendu, les migrants ont également leur part de responsabilité. Quelles sont vos recommandations aux immigrés ?
A nos immigrants, nous devons rappeler que tout migrant africain qui souhaite venir au Cap-Vert sera le bienvenu, mais qu’il doit au préalable demander à la personne résidente, c’est-à-dire à la personne qui l’accueille, un mandat de responsabilité. Ce document doit être obtenu en temps utile auprès de la Direction des étrangers et des frontières (Def) afin que les autorités sachent que la personne se trouve dans le pays pour quelques jours. Il faut également fournir une preuve de réservation d’hôtel et une preuve de subsistance. Il ne faut pas oublier que le Cap-Vert dispose d’un cadre juridique différent de celui des autres pays de la Cedeao et que le pays a également ses propres problèmes et défis à la frontière, raison pour laquelle il investit massivement dans sa sécurité intérieure.
Enfin, quel serait donc votre appel aux pays d’origine ?
Nous sommes impatients et espérons que tous les pays d’origine de nos immigrants créeront réellement les conditions, mécanismes et instruments nécessaires pour faciliter l’immigration, la mobilité des personnes de manière ordonnée, régulière et responsable, y compris par la mise en œuvre de politiques migratoires planifiées dans leurs pays. Sinon, je suis désolé de le dire, tous les efforts que la Pca et les autorités capverdiennes ont déployés dans ce sens seront réduits à néant. Je demande également aux autorités d’origine d’être vigilantes, notamment d’interdire la vente de billets aux citoyens qui ne remplissent pas les conditions d’entrée au Cap-Vert, sous peine d’être renvoyés.
Par Arlinda NEVES (correspondante particulière)