Josette Marceline Lopez Ndiaye, Observateur national des lieux de privation de liberté, «choquée» par l’information qui lui a été attribuée et selon laquelle, il y aurait 20 morts dans les lieux de privation de liberté en 10 ans au Sénégal, a tenu à rétablir la vérité des faits. Dans cet entretien, la magistrate à la retraite dresse la situation des prisons sénégalaises.

Présentez-nous l’Observateur national des lieux de privation de liberté ainsi que votre parcours ?
Je suis magistrate de formation. Avant cela, j’étais avocate. A ma retraite, le président de la République m’a nommée Obser­vateur national des lieux de privation de liberté le 1er février 2017. C’est une institution qui relève de mécanismes de prévention nationale contre la torture instaurés par l’Op 4, un traité qui vient de la Convention des Nations-Unies contre la torture, les traitements cruels, inhumains, dégradants. Mais avant tout, il faut savoir que le Sénégal a été l’un des premiers pays africains francophones à avoir ratifié la Convention des Nations-Unies contre la torture. En tant qu’Etat partie de la convention, il lui est fait obligation de créer une structure de prévention contre la torture basée sur l’Op 4. Au départ, l’Etat du Sénégal n’avait signé que la Convention contre la torture qui n’était pas un instrument proactif. C’était juste un instrument pour constater les cas de torture et les sanctionner. On s’est rendu compte que ce n’était pas assez efficace et on a créé l’Op 4. C’est pourquoi l’Onlpl se rend dans les lieux de privation de liberté pour prévenir la torture.

On vous attribue des propos selon lesquels vous auriez déclaré, le 19 juin dernier, qu’il y a 20 morts en 10 ans au Sénégal dans les lieux de privation de liberté. Pouvez-vous repréciser votre pensée ?
Cette information m’a beaucoup bouleversée et j’ai même tenu un point de presse en ce sens. J’ai dit que le Sénégal a fait beaucoup d’efforts dans la lutte contre la torture. Notre pays est très démocratique et tient compte de son image. En fonction de cela, il fait tout son possible pour enrayer, éradiquer ce phénomène de torture. J’ai salué les efforts du gouvernement en disant que beaucoup de choses ont été faites notamment l’augmentation de la prime journalière des prisonniers, qu’ils mangeaient bien et que nos prisons bien que d’un autre âge, sont en train d’être réhabilitées. Le ministre de la Justice a assuré qu’il n’est plus question de laisser ces prisons dans cet état-là. Le gouvernement est en train de faire tout son possible pour améliorer les conditions des personnes privées de liberté. Des prisons sont construites, d’autres sont en phase de réhabilitation. Après, je vois un article contraire à ce que j’avais dit, cela m’a bouleversée. C’était comme si je jetais l’opprobre sur le Sénégal alors que c’est tout à fait le contraire. Je note que le Sénégal est un pays qui fait beaucoup de progrès. Je suis en relation avec le ministère de la Justice et je me rends compte des efforts fournis.

Mais le journaliste a dû voir quelque part ces chiffres. Finalement d’où proviennent-ils ?
Le journaliste qui a écrit l’article s’est basé sur les Tdr (Termes de référence). C’était juste pour montrer le contexte d’où est partie notre action. C’était une époque au cours de laquelle beaucoup de personnes mouraient en prison. Cette période est dépassée. C’était il y a 10 ans et je n’étais même pas encore là. Parler de cela, c’est revenir en arrière. Mais ce qui est plus dérangeant, c’est qu’on m’a prêtée ces propos. Bref, je n’ai jamais tenu de tels propos. C’est du sabotage parce que cela y va de ma crédibilité. Notre institution collabore avec l’Etat. Nous lui donnons des conseils et nous sommes dans le dialogue permanent pour améliorer les conditions des personnes privées de liberté. Nous ne sommes pas là pour critiquer l’Etat ou l’enfoncer, nous l’aidons à trouver des solutions.

Quelle lecture faites-vous de la mort d’un présumé voleur dans les locaux de la police de Thiaroye la semaine dernière ?
Je lu cet article dans la presse. Je ne peux pas donner mon opinion tant que je n’ai pas fait d’enquête. Je compte me rendre lundi (aujourd’hui) sur les lieux pour y voir plus clair. Il y a deux thèses contradictoires mais nous, nous allons jouer notre rôle.

Est-ce que ce cas ne remet pas en cause vos efforts dans la lutte contre la torture ?
Pas du tout. Et dans ce cas précis, est-ce qu’il y a torture ? Pour l’instant, on n’en sait rien. Mais ce n’est pas un cas qui va remettre en cause toutes nos actions.

Quelle est la situation des lieux de privation de liberté ?
Nos prisons datent de l’ère coloniale et il n’y a pas eu de modification. Il y a beaucoup de détenus, ce qui fait qu’ils ne sont pas dans un endroit confortable. Il n’y a pas assez de matelas, de choses qui pourraient rendre leur vie un peu plus humaine. Les totures, il y en a, d’ailleurs on en parle aujourd’hui. Peut-être que ce n’est pas vrai mais il faut savoir qu’il n’y a pas de risque zéro. Nous continuons à combattre ce phénomène. Les mauvaises conditions sont dues à l’étroitesse des lieux. Pour la nourriture des détenus, il y a beaucoup d’améliorations. Ils mangent 3 fois par jour. Il y a des Sénégalais qui n’arrivent plus à assurer les 3 repas du jour. Maintenant, les détenus souhaitent mieux que ça. C’est leur droit.

L’Etat déroule une politique de construction ou de réhabilitation de prisons. Est-ce qu’une telle approche est la meilleure solution pour offrir aux personnes privées de liberté de meil­leures conditions de vie ?
Disons que cela fait partie des conditions mais ce n’est pas l’idéal. On ne rêve pas d’avoir trop de prisons dans le pays, on souhaiterait avoir moins de délinquants. Dans ce cadre, nous avons organisé des séances thématiques avec des magistrats à Kaolack, Saint-Louis et Ziguinchor pour parler des peines alternatives à l’incarcération. Ce sont des peines mineures qui se substituent aux mandats de dépôt systématiques. Il y a l’ajournement. En effet, dans le cas d’un abus de confiance, le juge peut vous donner un délai pour rembourser ce que vous avez pris à travers un délai. Maintenant si ce délai n’est pas respecté, on décerne au fautif un mandat de dépôt. Il y a aussi les travaux au bénéfice de la société qui est une peine alternative. On a également le sursis et le contrôle judiciaire. Il faut aussi régler un certain nombre de choses. Au Sénégal, l’état civil n’est pas au point. Beaucoup de Sénégalais n’ont pas d’actes d’état civil, ni d’adresse… Si on veut appliquer les peines alternatives, il y a des aspects qui empêchent le juge de les prononcer. Le juge ne va pas prendre le risque d’appliquer ces peines alors que la personne incriminée n’est pas bien localisée. L’Onlpl est en train de voir avec l’Etat du Sénégal pour une solution à ces problèmes.

Dans vos visites dans les prisons, est-ce qu’il y a une collaboration avec les agents chargés de la surveillance ?
Nous sommes une institution indépendante appuyée par le ministère de l’Intérieur, le ministère des Forces armées qui envoient des circulaires pour demander aux agents de prison de nous faciliter la tâche. Nous travaillons en toute collaboration avec ces agents-là qui nous aident dans nos missions. Le directeur de l’Administration pénitentiaire met à notre disposition tous les registres. On discute de l’atmosphère de travail et de la manière dont vivent les détenus. Tout se passe bien. Après, nous visitons tous les coins et recoins de la prison pour finir avec des contacts en aparté avec les prisonniers sans la présence des autorités pénitentiaires. C’est là où on apprend beaucoup de choses sur le vrai visage de la prison. Ces derniers posent des problèmes de maltraitance, de l’absence de cour de promenade, des problèmes de nourriture, d’étroitesse des lieux et surtout nous interpellent sur les longues détentions. Après, on revient chez le directeur de l’Administration pénitentiaire pour faire un débriefing dans la confidentialité. On lui rapporte les manquements constatés tout en faisant des recommandations. Il faut savoir que peu de détenus nous rapportent des cas de torture. Ils insistent surtout sur leurs conditions de vie. Il y a eu très peu de cas de torture depuis que nous sommes là.

Les Ong de défense des droits de l’Homme mènent ce travail d’enquête dans les prisons et dressent des rapports. Qu’est-ce qui différencie l’Onlpl de ces structures ?
C’est vrai que les Ong font la même chose que nous. Elles sont plus libres, entrent dans les prisons, observent et diffusent leurs rapports de façon très large dans les médias. Nous par contre, sommes dans le dialogue avec l’Etat. C’est vrai que je suis nommée par le président de la République pour une durée de 5 ans non révocable mais je suis indépendante. Personne ne peut me faire quitter cette place. Je ne reçois de directives de qui que ce soit. A aucun moment, l’Etat ne me donne des instructions. Nous faisons des propositions de modification de loi. Ça, les Ong ne le font pas. Nos rapports sont envoyés au ministère concerné qui, à son tour, les donne au président de la République. Pour le rapport de 2018, on est en train de finir avec les dernières corrections. Nous faisons des conseils à l’Etat mais nous ne pouvons pas le contraindre à appliquer nos recommandations.

Quel est le montant de votre budget ?
Ce n’est pas très important. L’Etat nous donne juste un budget de fonctionnement mais la plupart de nos fonds viennent des bailleurs comme l’Union européenne. Grâce au travail que nous faisons et les rapports que nos sortons, les autres bailleurs vont se rendre compte du travail sérieux. Par conséquent, ils nous accordent des fonds importants qui permettent de faire des actions de grande envergure.

La plus célèbre des prisons sénégalaises, c’est celle de Rebeuss avec sa surpopulation. Quelles sont les recommandations de l’Onlpl pour cette prison ?
C’est vrai que la prison de Rebeuss est surpeuplée mais il y a eu beaucoup d’aménagements modernes : des parloirs, un greffe informatisé… On a visité la prison de Koutal qui est en train d’être réhabilitée avec 500 places. Dans le cadre du désengorgement, je pense que certains détenus de Rebeuss iront à Koutal. Dans ce dernier endroit, il y a un grand hangar avec des machines de menuiserie pour la réinsertion des détenus. Sous peu, ce sera livré. Il y a aussi la prison de Sébikhotane. Le ministre de la Justice nous a dit que sous peu, les chantiers vont démarrer avec 1500 places. Il faut dire que concernant le respect des droits de l’Homme dans les prisons, le Sénégal, par rapport aux autres pays africains, n’a pas beaucoup à se plaindre.