Au cœur des quartiers de Dakar où les problèmes conjoncturels et structurels d’une société en mutation se juxtaposent, il y a des femmes dévouées qui travaillent bénévolement avec les districts sanitaires, sillonnent les ménages, parlent avec femmes et enfants : les Bajenu gox. Cette expression wolof, signifiant littéralement «marraine de quartier ou village», transcende les simples mots pour incarner un symbole puissant du leadership féminin, ancré dans la riche culture sénégalaise. Dans l’ombre, elles sont souvent des figures respectées de leur quartier, de leur village, endossent un rôle vital dans la promotion de la santé maternelle, infantile et des adolescents (es). Pour cette journée du 8 mars, qui célèbre la femme, Le Quotidien est allé à la rencontre de ces «confidentes» pour mettre en lumière leur travail. Ce sont de petites mains qui accomplissent de grandes choses. Par Ousmane SOW –
Le repérage se fait sans difficulté après un appel téléphonique. Même les mômes peuvent vous conduire jusqu’au domicile de Mme Ndèye Fatou Diallo. Il suffit juste de demander : «Où se trouve Yaay Fatou Diallo, présidente nationale des Bajenu gox du Sénégal ?» La réputation de cette sexagénaire dépasse le quartier Grand-Dakar/Zone B. Cette célébrité se justifie par son ancienneté dans la zone, mais aussi par les actions communautaires qu’elle mène depuis plus d’une décennie dans son quartier notamment, dans les domaines de la santé, de la sécurité et de l’environnement. Des activités qui valent aujourd’hui à Yaay Fatou Diallo, le titre de Bajenu gox (marraine de quartier). Une initiative bien sénégalaise lancée par le Président Abdoulaye Wade en 2010, dans les 14 régions du Sénégal, et concrétisée par le Président Macky Sall. Depuis, le projet déroule des missions de sensibilisation pour accompagner et guider les femmes, en particulier les mères et les enfants, sur le chemin de la santé afin de dynamiser et pérenniser l’initiative gouvernementale. A la tête de ce projet en tant que présidente nationale, Ndèye Fatou Diallo est constamment sur le terrain. Elle visite les quartiers, écoute les préoccupations des femmes et apporte son soutien là où il est nécessaire. Une confidente. «Je ne dispose pas de ressources, mais je m’engage dans tous les combats visant à améliorer le développement de mon quartier, en particulier dans les domaines de la santé, de la sécurité et de l’environnement. Nous partageons notre expérience avec toutes les femmes, qu’elles soient adolescentes, jeunes ou mariées. Nous sommes formées pour sensibiliser sur la santé reproductive des mères et des enfants, l’importance du suivi de la grossesse ainsi que du suivi vaccinal des enfants», explique avec fierté Mme Ndèye Fatou Diallo.
Prestance impressionnante, malgré le poids de l’âge, elle dégage une aura qui attire immédiatement l’attention. Sur son visage sont tatouées des années d’expérience et de dévouement envers sa communauté. Dans ses yeux se lisent la détermination et la résilience. «Je suis infirmière brevetée. J’ai travaillé plus de 30 ans à l’hôpital Gaspard Camara et j’étais responsable d’un service de vaccination. Toutes les Bajenu gox ont de l’expérience, celles qui ont fait bien sûr une formation en 2009, 2012 et 2013… Les Bajenu gox sont bien structurées et organisées. Dans chaque région, département, commune et district, il y a une présidente des Bajenu gox», a fait savoir la présidente des Bajenu gox du Sénégal. Elle est aussi membre du Haut-conseil des collectivités territoriales (Hcct). Mme Ndèye Fatou Diallo et Cie disent travailler bénévolement avec les postes de santé pour servir la population. Le programme Bajenu gox, créé et organisé par un arrêté du ministère de la Santé et de la prévention, est passé d’abord par la Direction de la santé de la mère et de l’enfant (Dsme), dirigée par Dr Amadou Doucouré, puis par les districts sanitaires, avant d’être déployé au niveau des quartiers.
120 Bajenu gox cooptées pour le District-Ouest
Rencontrée à Yoff, Mme Ndir Coumba Dieng est la présidente des Bajenu gox au niveau du District-Ouest, polarisé par le Centre de santé Philippe Maguilène Senghor. Un district qui englobe Yoff, Ngor, Ouakam, une partie de Mermoz-Sacré Cœur, la Cité Diamalaye, Nord-Foire, Ouest-Foire et la Cité Djily Mbaye. «Nous saluons le Président Abdoulaye Wade qui a eu l’idée de créer ce projet. Et lorsque Macky Sall est arrivé au pouvoir en 2012, il n’a pas changé les Bajenu gox. Nous lui en sommes également très reconnaissantes», se réjouit-elle.
Faisant partie de la première cohorte des Bajenu gox formées en 2010, Mme Ndir Coumba Dieng, une femme au cœur généreux et à l’esprit combatif, incarne la quintessence de l’engagement communautaire au sein de la commune de Yoff. En tant que Bajenu gox et présidente du Gie Wa Keur Mame Diarra Bousso, elle joue un rôle crucial dans la promotion de la santé maternelle et infantile. «Nous sommes 120 Bajenu gox au niveau du District-Ouest, et notre mission est d’être au service de notre communauté», confie la présidente des Bajenu gox du District-Ouest, soulignant les défis liés à l’augmentation du nombre de personnes prétendant être des Bajenu gox sans formation après la décision du Président Macky Sall de les motiver. En plus de son rôle de présidente des Bajenu gox du District-Ouest, Coumba Dieng est également conseillère municipale à la mairie de Yoff. «Je suis conseillère municipale à la mairie de Yoff, ayant été désignée comme responsable des Bajenu gox sur les listes électorales grâce à Abdoulaye Diouf Sarr, ancien maire de Yoff. Je représente toutes les Bajenu gox et toutes les femmes de la commune de Yoff», dit-elle fièrement.
«Nous avons perdu des collègues lors du Covid-19»
Forte de son engagement, Coumba Dieng ne ménage pas ses efforts pour défendre les intérêts des Bajenu gox et des femmes en général. Mais son chemin vers ce rôle de leadership n’a pas été un simple choix personnel. Elle dit : «C’est par nomination que j’ai été désignée. J’ai été choisie dans notre groupement de tontine de quartier appelé «Groupe dimanche». Nous avons été sélectionnée pour notre disponibilité, notre expérience et notre engagement envers notre communauté. Il y a aussi le fait d’être une mère de famille sociale et serviable. J’ai également demandé l’autorisation à mon mari, car il est mon responsable.» Interrogée sur les difficultés d’être Bajenu gox en tant que mère de famille, elle admet franchement : «Oh, ce n’est pas facile ! Les gens pensent que vous avez beaucoup d’argent car l’Etat vous finance. Ils croient que vous pouvez résoudre tous leurs problèmes, alors que nous-mêmes en avons. Il arrive que la nuit, à des heures tardives, on vous appelle au téléphone ou que quelqu’un frappe à votre porte pour demander de l’aide.»
Malgré ces défis, Coumba Dieng reste résolument engagée dans son rôle de leader communautaire, rappelant avec émotion la période de la pandémie du Covid-19. «Nous avons travaillé sans relâche pour sensibiliser la population et mettre en place des mesures de prévention. Malheureusement, nous avons perdu des collègues Bajenu gox. Les Bajenu gox sont constamment exposées. Que ce soit pour le choléra, Ebola, la diarrhée, nous sommes toujours directement impliquées», dit-elle. Elle se souvient du premier cas de Covid-19 enregistré au Sénégal, notamment dans le District-Ouest, aux Almadies, mais aussi du premier cas communautaire annoncé dans son quartier, à l’hôpital Philippe Maguilène Senghor. Cependant, l’engagement de Coumba Dieng et de ses collègues Bajenu gox n’est pas passé inaperçu.
Faiblesse du cachet
En 2023, le Président Macky Sall a annoncé l’octroi d’une allocation mensuelle pour les Bajenu gox, en reconnaissance de leur travail essentiel au sein de la communauté. «Macky Sall a soutenu le projet. Après notre rencontre avec lui en 2017, il a ordonné au ministère de la Santé de recenser toutes les Bajenu gox et de leur accorder une allocation mensuelle, ce qui a été fait en 2023», dit-elle. Coumba Dieng remercie Macky Sall pour son soutien continu au projet, mais souligne une préoccupation actuelle : le non-paiement d’une partie de l’allocation mensuelle promise depuis juillet 2023. «On a reçu les 25 000 Fcfa du bailleur, mais depuis juillet, nous n’avons pas reçu les 25 mille francs Cfa du chef de l’Etat. Nous demandons désormais que l’argent nous soit remis parce que nous avons besoin de cette somme pour subvenir à nos besoins et continuer à servir notre communauté», dit-elle. C’est une question de justice…