Hissein Habré est décédé hier à l’âge de 79 ans. Celui qui a dirigé le Tchad de 1982 à 1990 d’une main de fer a été longtemps traqué par ses victimes qui n’ont jamais cessé de réclamer justice. Retour sur le feuilleton judiciaire de Habré ayant conduit à sa condamnation à perpétuité en mai 2016.Par Dieynaba KANE

– Hissein Habré a dirigé le Tchad de 1982 à 1990. Renversé par Idriss Deby Itno, il a trouvé refuge au Sénégal où il passe des jours heureux et calmes pendant plusieurs années. Entre Ouakam et Almadies, le Tchadien noue de fortes relations et alliances avec des grandes familles maraboutiques, politiques et judiciaires. Réfugié politique, il vit sous le parapluie protecteur de Abdou Diouf.
Après la chute de son «tuteur», les ennuis commencent avec les pressions des organisations des droits de l’Homme, notamment la Raddho, l’Ondh, la Fidh, Amnesty. C’est de là que démarre la traque de l’ex-homme fort de N’Djamena. Il est accusé d’être responsable durant son règne de milliers d’assassinats politiques et d’arrestations arbitraires et d’un usage systématique de la torture. Sous sa présidence, près de 40 mille personnes ont été assassinées et plus de 200 mille ont été victimes de torture et autres violences. Le premier acte de cette traque contre l’ex-Président déchu a été posé par son successeur qui a mis en place une commission nationale d’enquête. Celle-ci, après 17 mois de travail, «sur les crimes et détournements commis par l’ex-Président, ses co-auteurs et/ou complices», publie son rapport en mai 1992. Selon la Fidh, «la Commission a recensé 54 mille détenus (morts et vivants) pendant la même période».
Bien installé à Dakar, il faudra attendre au début des années 2000 pour voir Hissein Habré être inquiété par la justice sénégalaise. Le 26 janvier 2000, sept victimes tchadiennes ont déposé une plainte contre Habré à Dakar. Et le 3 février de la même année, il est inculpé pour complicité de tortures, actes de barbarie et crimes contre l’humanité. Mais il faut compter sur la détermination de ses avocats qui déposent une requête en annulation devant la Cour d’appel de Dakar pour que l’affaire soit abandonnée. En juillet 2000, la Cour d’appel de Dakar déclare que les Tribunaux sénégalais sont incompétents, car les crimes auraient été commis en dehors du territoire national. L’extradition de Hissein Habré vers un pays pouvant le juger est évoquée, mais cette procédure ne va pas aboutir. Malgré l’insistance des instances internationales pour juger Habré ou l’extrader, c’est en 2012, avec l’arrivée de Macky Sall au pouvoir, que les victimes vont nourrir à nouveau l’espoir de voir leur bourreau en prison. Les négociations entre l’Ua et le Sénégal vont aboutir à la création des Chambres africaines extraordinaires (Cae) dans les juridictions sénégalaises.
Cette juridiction spéciale à caractère international, chargée de juger l’ex -homme fort de N’Djamena, a été inaugurée le 8 février 2013. Ensuite s’ensuivront l’arrestation de Hissein Habré à son domicile à Ouakam et son placement en garde à vue. Deux jours après, il est inculpé pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et tortures, et placé en détention provisoire. Des missions rogatoires seront menées au Tchad, les parties civiles et les témoins auditionnés. Le procès de Hissein Habré s’ouvre le 20 juillet 2015 devant les Chambres africaines extraordinaires à Dakar.
Après 56 jours et l’audition de 93 témoins, le procès est clôturé le 11 février 2016. Le verdict est rendu le 30 mai 2016. Une victoire pour les victimes qui, après 25 ans de lutte pour un procès, voit leur bourreau condamné à perpétuité. Après 8 ans de détention à la prison du Cap Manuel de Dakar, Hissein Habré a perdu sa dernière bataille, cette fois-ci contre le Covid-19.
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