Cette élection américaine pourrait être le point de départ d’une réinitialisation indispensable pour les Etats-Unis et le monde entier, mais il ne suffira pas juste de faire mieux que Trump.

Ces dernières semaines, la scène politique américaine -et par extension le reste du monde- a digéré la nouvelle du retrait de Joe Biden de la course à la Maison Blanche en faveur de sa vice-présidente, Kamala Harris, pour ce qui aurait été son deuxième mandat en tant que Président des Etats-Unis d’Amérique.
Bien qu’il s’agisse d’une situation inédite dans la politique américaine depuis près de 50 ans, elle n’était pas totalement inattendue. Et à en juger par les premières réactions, la plupart des électeurs s’en sont réjouis, car ils n’étaient pas convaincus de la capacité de M. Biden à battre Donald Trump aux urnes une 2e fois en novembre. L’âge et le déclin mental du candidat démocrate sortant étaient devenus les principaux sujets de discussion pendant la majeure partie des deux dernières années, et chaque gaffe, faux-pas ou moment d’hésitation a été scruté ad-nauseam sur toutes les plateformes médiatiques, qu’elles soient politiques ou non.
Alors que la plupart des électeurs américains semblent ravis, voire excités, que Joe Biden soit sorti de la course, un tout autre son de cloche se fait entendre au siège de la campagne de Donald Trump et au sein du parti républicain dans son ensemble.

L’équipe de Donald Trump se réjouissait de pouvoir affronter Joe Biden et de le harceler avec des attaques puériles mais efficaces telles que «Joe l’endormi», assurés que Joe Biden n’avait pas assez de répartie pour s’opposer verbalement à lui. Les récents bouleversements font désormais de leur homme le candidat âgé et fragile, souffrant de troubles de la mémoire et de condamnations pénales.

Alors que l’humeur est généralement à la hausse et que Kamala Harris surfe sur une énorme vague de positivité, nous sommes à l’approche de la période la plus difficile depuis le début des années 2000 pour un Président américain. Ceci étant le cas, des questions très légitimes se posent quant à la capacité de Mme Harris à naviguer avec les crises qui se profilent.

La question de savoir si l’actuelle vice-présidente possède les compétences politiques nécessaires pour guider le navire reste d’actualité dans l’esprit de nombreuses personnes parce que c’est bien une chose de se présenter comme le candidat anti-Donald Trump, mais c’en est une toute autre d’occuper la Maison Blanche et de gouverner avec un Congrès ouvertement hostile, qui cherchera à faire obstruction à son programme à chaque tournant. S’il n’y a aucun doute qu’elle a fait ses preuves en tant que procureure et Première magistrate en Californie, elle n’a pas vraiment démontré qu’elle était une force politique à redouter lors de sa précédente candidature ratée à la Présidence. En effet, Mme Harris a eu plusieurs avis contradictoires sur des sujets très importants pour le public américain. En ce qui concerne les soins de santé, elle a commencé par soutenir la mise en place d’un système de santé universel (dont disposent tous les pays développés de la planète, à l’exception des Etats-Unis), mais elle est revenue sur sa position en faveur de l’expansion du système de santé actuel, auquel la plupart des Américains ont accès par l’intermédiaire de leur employeur. Il convient de noter que, de toutes les nations riches de la planète, les Etats-Unis dépensent plus par habitant que n’importe quel autre pays, tout en affichant les pires résultats en matière de santé par rapport à leurs homologues, et ce pour presque tous les indicateurs. La présidente Harris aura-t-elle le courage de s’attaquer à un secteur qui s’est révélé politiquement toxique pour ses prédécesseurs ? Le jury n’a pas encore tranché sur ce point et sur de nombreuses autres questions qui ont été au premier plan de la société américaine, comme les lois portant sur les armes à feu et l’accès à une éducation et à des logements abordables.

Si les affaires intérieures s’annoncent comme un champ de mines pour Mme Harris, les affaires étrangères semblent être une tâche tout aussi ardue à gérer. Après le retrait des Etats-Unis d’Afghanistan en 2021, l’administration Biden a publié plusieurs communiqués de presse dans lesquels elle se vantait que c’était la première fois que le pays n’était pas en guerre depuis des décennies. Cependant, un examen plus approfondi révèle que le pays est, de manière indirecte, fortement impliqué dans deux des conflits armés les plus proéminents de la planète, en Ukraine et en Palestine. Au-delà des centaines de milliards de dollars qui ont été dépensés sous la forme d’une aide militaire directe, un enjeu bien plus important se joue sur ces deux théâtres, et c’est le rôle des Etats-Unis en tant que leader dans le monde. Si elle est élue, Kamala Harris aura un énorme travail à faire pour restaurer la confiance de la communauté mondiale dans le leadership américain, qui a été laissé en lambeaux après une décennie d’isolationnisme de Trump et la capitulation totale de Biden face à un dirigeant actuellement accusé de crime contre l’humanité en la personne de Benjamin Netanyahu en Israël.

Bien qu’il soit facile de voir à quel point ces défis sont intimidants, je pense qu’ils sont aussi des opportunités. Mme Harris peut non seulement être la première femme, noire ou asiatique, à présider les Etats-Unis, mais aussi le président le plus important depuis Roosevelt. Elle a la possibilité, par ses choix politiques, de réintroduire les Américains à leurs propres voisins après une période où la polarisation politique a pratiquement éliminé la confiance, le discours civil et les désaccords amicaux. Elle pourrait redéfinir la façon dont les nouvelles générations du monde entier perçoivent l’Amérique en mettant un frein au militarisme incessant qui a engendré le désespoir et la colère dans de nombreuses régions de notre planète. Pour ce faire, elle devra être prête à faire quelque chose qui n’est pas naturel pour les politiciens, à savoir dépenser du capital politique au lieu de l’épargner pour protéger d’éventuels plans de réélection.

En tant que Sénégalais, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ce que cela signifie pour ma terre natale, et bien que son élection ne puisse pas signifier grand-chose en termes de changement matériel, une question reste constante dans mon esprit. Et si Macky Sall, il y a un an ou deux ans, s’était retiré complètement de la controverse sur les élections de 2024 et avait jeté tout son capital politique derrière un autre candidat ? Aurions-nous eu une situation et un Président différents de ce qu’ils sont aujourd’hui ? Peut-être que cela n’aurait pas fait de différence en termes de vainqueur des élections, mais je suis fermement convaincu que cela aurait permis d’éviter les troubles massifs et les pertes tragiques en vie humaine dont nous avons été témoins ces deux dernières années. Kamala Harris est confrontée à des défis différents, mais on ne peut qu’espérer qu’elle soit prête à dépenser le capital politique qu’elle a accumulé depuis qu’elle a obtenu l’investiture du parti démocrate pour la plus haute fonction en Amérique.
Déma SANE