uand la poussière du temps aura recouvert nos noms et effacé nos visages, quand nos voix se seront tues et que les échos de nos pas se seront perdus dans le silence des siècles, l’Histoire, telle une mémoire obstinée, continuera de murmurer. Elle soufflera à l’oreille de celles et ceux qui viendront après nous que Kery James, fidèle à son métier d’homme et d’artiste, n’a jamais renoncé à la vérité. Dans un monde souvent dominé par le vacarme du mensonge, le cynisme de la propagande et le confort de l’indifférence, il a choisi la parole juste, celle qui dérange, celle qui éclaire.
Kery James fait son métier d’homme, dans toute sa noblesse et sa fragilité, au sens que Camus donnait à ce mot : «Etre un homme, ce n’est pas seulement exister ou subir le monde tel qu’il est, mais s’y opposer lorsqu’il devient injuste.» Refuser la fatalité, choisir la lumière même au cœur de la nuit, ne pas détourner le regard quand l’horreur se déroule sous nos yeux, telle est la ligne de conduite de Kery James. Il s’est dressé contre l’injustice, la barbarie et l’effacement d’un peuple. Il n’est pas de ceux qui se taisent lorsque le silence devient complicité. Son œuvre restera comme un phare, un point fixe dans la tempête, rappelant que la parole sincère et courageuse demeure parfois le dernier rempart contre le fascisme et la déshumanisation.

Le rap comme arme de vérité
Les morceaux de Kery James ne sont pas de simples chansons. Ce sont des fragments de vérité jetés dans le tumulte du monde, chacun résonnant comme un cri, un appel ou une blessure ouverte. Dans Ban­lieusards (2008), il rappelait que les habitants des quartiers populaires ne sont pas condamnés à la fatalité : «On n’est pas condamnés à l’échec.» Dans Lettre à la République (2012), il dénonçait les hypocrisies et violences de l’Etat français.
Ces textes portent en eux la tension entre désespoir et espérance, colère et foi en l’humain, à l’heure de la montée des discours fascistes dans l’espace public. Pour Kery James, le rap n’est jamais un divertissement, mais un acte politique et humaniste.
Son art, profondément ancré dans les réalités sociales, explore la marginalité, les inégalités et les violences systémiques, tout en maintenant une foi inébranlable en la capacité de l’homme à changer le monde. Le rap de Kery James devient ainsi un miroir tendu à la société, révélant ses fractures et ses hypocrisies, mais aussi un moteur de révolte constructive et de solidarité.

Shaban : un cri contre l’oubli
Avec Shaban (2025), Kery James atteint une intensité nouvelle. Il évoque Shaban Al Dalu, un jeune garçon palestinien tué sous les bombes de l’Armée israélienne, et rend hommage à toutes les victimes anonymes de Gaza. Ses mots deviennent un acte de résistance face à l’entreprise de déshumanisation que Sepideh Farsi a documentée dans son film Put Your Soul on Your Hand and Walk, en hommage à Fatma Hassona.
Dans un contexte où certains hommes politiques, journalistes ou éditorialistes préfèrent la complaisance, Kery James pointe les carnages et la barbarie du colonisateur. Il rappelle, à travers Shaban, que la vie d’un Palestinien tué froidement est souvent considérée comme un non-événement pour ceux qui justifient l’injustifiable. Depuis octobre 2023, après les attaques du Hamas et les représailles qui ont suivi, des milliers d’enfants ont été tués, des hôpitaux bombardés et des écoles détruites. Et pourtant, dans nombre de capitales, la voix officielle reste celle de la complaisance. Là où les gouvernements se taisent, là où les médias détournent le regard, ce sont les artistes qui reprennent le flambeau de l’humanité.
Nommer Shaban Al Dalu, c’est refuser qu’il ne soit réduit à un chiffre. C’est lui rendre son humanité, sa dignité, sa présence dans l’Histoire et dans nos mémoires.

L’art comme résistance
Qui peut prétendre faire du rap sans prendre position, sans interroger le monde, sans crier contre l’injustice ? Chez Kery James, le rap est une mission. Sa lucidité, que René Char décrivait comme «la blessure la plus rapprochée du soleil», transforme la musique en arme pacifique. A travers ses textes, il rend visible l’invisible, redonne un nom, un visage et une dignité à celles et ceux que l’Histoire officielle voudrait effacer.
Kery James montre que l’art, lorsqu’il s’adosse à l’humanité, peut devenir un rempart contre l’indifférence, un levier pour la mémoire et la justice. Son œuvre révèle que la puissance du mot et du rythme peut ébranler les consciences et rappeler à chacun sa responsabilité face à la violence et à l’injustice.

Refuser l’oubli, transmettre la mémoire
A Shaban Al Dalu, à Fatma Hassona, et à toutes les victimes anonymes mortes sous les bombes, Kery James adresse son hommage. Et nous, à sa suite, refusons l’oubli. Le fil de l’Histoire passera le témoin aux poètes, artistes et consciences éveillées, en un mot aux tisseurs d’avenir.
Son engagement nous rappelle que le rap peut être un acte politique, que le micro peut devenir un mégaphone pour les sans-voix, et que l’art, lorsqu’il s’ancre dans l’humanité, peut-être plus fort que les bombes.
Birane DIOP