Chaque année, le même scénario se reproduit : toute pluie, aussi faible soit-elle, transforme Dakar en une ville invivable. A quelques encablures du Palais présidentiel, le Boulevard de la République, une des principales artères du centre-ville, devient pratiquement impraticable : c’est le symbole de l’incapacité des politiques à régler les problèmes de la cité.
Depuis des années, Dakar et le Sénégal connaissent un problème d’assainissement. Ce problème se répète annuellement. A chaque hivernage, le même constat revient. Et comme l’on n’essaie pas de trouver des solutions pérennes, Dakar et le Sénégal vivent le même calvaire continuellement.
Il y a quelques jours, je m’amusais à comparer les données économiques du Sénégal et celles de certains pays asiatiques comme la Corée, Singapour ou Taiwan. Cette comparaison n’est pas très flatteuse pour notre pays. Prenons l’exemple du Pib/habitant – pour précision, cet indicateur est loin d’être parfait. En 1960, le Sénégal avait un Pib/habitant de 313Usd, la Corée 159. En 2018, celui du Sénégal était de 1521Usd tandis que celui de la Corée était 31 362. Au cours de la période 1960-2018, le Sénégal a multiplié son Pib par 5, la Corée par 200.[i]
Je vois souvent dans la rue des camions où sont inscrits : «Don de la République de Corée au Peuple du Séné­gal.» Si la Corée offre aujourd’hui de l’aide au Sénégal, c’est parce qu’elle a pris son destin en main et refusé la facilité de l’aide, de la demande d’annulation de la dette, dette ayant servi à construire des éléphants blancs.
Le Sénégal est toujours dans ce cercle : il croit que toutes ses initiatives doivent être financées par ses partenaires, comme la France. Quand il rencontre des difficultés budgétaires, il se tourne vers ce pays. Il n’a pas la confiance que la solution réside en lui-même.
Il y a quelques mois, un Dialogue national a été lancé au Sénégal. J’ai beau réfléchir mais je ne vois pas la nécessité d’un tel dialogue. Le Sénégal n’est pas en guerre, ses institutions fonctionnent normalement. Me suis-je demandé, quelle est la nécessité d’un tel dialogue ? Cela me donne l’impression que la classe politique occupe un espace trop grand au Sénégal, et que cet espace doit être réduit.
Elle dispose de privilèges à travers des institutions inutiles qui, les supprimer, n’entraverait en rien le fonctionnement de l’Etat. Quelle est l’utilité d’institutions comme le Hcct, le Cese ? A quoi servent-elles ?
Une bonne partie du budget de l’Etat va à des institutions et agences inutiles. Cet argent aurait pu, aurait dû être consacré à des secteurs plus utiles comme la santé et l’éducation. J’ai vu récemment des élèves qui passaient l’entrée en sixième faire leurs examens dans des classes inondées – j’en ai ressenti une grande honte, y voyant le symbole du retard de notre pays. Le Covid a montré les insuffisances de notre système de santé. Comment espérer développer un Etat dans ces conditions ?
La classe politique sénégalaise a échoué. Elle a été incapable de proposer une vision d’un Sénégal prospère, influent dans le monde et de donner aux Sénégalais la volonté de la réaliser. Si aujourd’hui, la majorité des jeunes sénégalais veulent quitter le pays, c’est parce que le Sénégal ne leur donne pas l’occasion de s’épanouir.
Je ne suis pas en train de dire que l’Etat peut tout faire. Il ne le peut pas parce que ses ressources sont limitées. Mais parce que ses ressources sont limitées, il doit revoir ses priorités : investir dans des secteurs qui contribueront demain au développement du Sénégal.
La première priorité est l’éducation. Il est cliché de dire qu’une Nation s’élève par l’éducation. L’éducation améliore l’égalité des chances. Les enfants dont les parents n’ont pas les moyens ne doivent pas avoir moins de chance de réussir. Des écoles en bon état, qui ne connaissent pas des grèves, sont un minimum nécessaire pour tout sénégalais. Le Sénégal perd de brillants élèves parce que leurs parents n’ont pas les moyens de leur acheter des fournitures, de leur donner à manger avant qu’ils n’aillent à l’école.
Ensuite la santé. Je l’écrivais plus haut, le Covid a montré que le système sanitaire sénégalais ne marche pas. Les hôpitaux disposent de peu de moyens. Récemment je lisais qu’à Koumpentoum –village natal de mon papa– une femme enceinte a perdu la vie parce qu’il n’y avait pas d’ambulance pour la transporter à l’hôpital. Ce genre de tragédie ne doit plus exister en 2020. Il est nécessaire pour l’Etat d’investir plus et mieux dans la santé – je ne vois pas l’utilité d’un centre de Pma au Sénégal. Une population bien formée et en bonne santé relèvera tous les défis auxquels elle fait face.
Je lis souvent dans les journaux que telle personnalité publique est accusée de détournement de deniers publics. Le plus tragique est que cette personnalité publique n’est pas poursuivie et semble même être encouragée à détourner plus de fonds parce qu’elle est nommée à un autre poste. Ces argents détournés, fruits de l’impôt des Sénégalais, découragent à investir dans son pays.
Quand j’entends parler d’un détournement de fonds, je pense automatiquement à l’impôt qu’on me prélève tous les mois et estime qu’il est de l’obligation de l’Etat de lutter plus fermement contre la corruption. Aussi pensé-je que l’Ige doit devenir un corps indépendant, détaché de la présidence de la République. Pour lutter plus efficacement contre la corruption, ces rapports devront être suivis d’effets : les personnes épinglées doivent répondre devant de la justice des accusations de détournement des deniers publics.
Il doit y avoir plus d’Etat et moins de classe politique. La classe politique sénégalaise est une nomenklatura qui s’auto-perpétue. Ce sont les mêmes hommes et femmes qui occupent les postes de ministre, de Pca, de députés, et ce depuis l’indépendance. Cette classe politique a échoué. Je n’ai pas les chiffres mais je suis sûr que les salaires des ministres, des députés ont augmenté plus fortement que celui du revenu national depuis 1960. C’est une classe politique qui sauvegarde ses privilèges : elle augmente ses salaires, case ses amis, crée des institutions inutiles. Elle n’hésite pas à transhumer, ce qui fait que les alternances ne sont que de nom. Les mêmes personnes qui étaient sanctionnées lors des élections se retrouvent encore aux commandes parce qu’elles ont rejoint le nouveau parti au pouvoir.
Cette classe politique doit avoir la modestie de reconnaître ses échecs. Les histoires de Dialogue national ne servent à rien : les institutions du Sénégal fonctionnent normalement. Un dialogue pour résoudre les problèmes d’éducation, de santé, d’économie est plus pertinent. La politique doit occuper moins de place au Sénégal. Doivent la remplacer l’éducation, l’économie, la santé. Ce sont ces secteurs d’activité qui développeront un Etat. Eliminons les institutions et agences inutiles et investissons l’argent épargné dans ces secteurs.
Moussa SYLLA
Fondateur blog moussasylla.com
[i] Données de la Banque Mondiale