Nous avons traversé des périodes tragiques et violentes ces trois dernières années, des événements dont les causes sont complexes, des événements qui ont fini par paralyser le pays, l’économie, traumatiser de nombreuses personnes, conduire au chômage beaucoup de travailleurs qui peinent à se refaire tant professionnellement, socialement que psychologiquement. Nous avons été sur la corde raide, peut-être nous y sommes toujours. Mais plus que le tragique, c’est la comédie qui est devenue permanente et banale.
Quand ceux qui incarnent des institutions suprêmes semblent ne pas comprendre la sacralité des instituions incarnées, c’est qu’il y a foncièrement problème, le mal semble être profond. Une institution est sacrée et quand elle perd sa dimension mystique et sacrée, il n’y a plus rien à espérer. D’ailleurs, n’est-ce pas, c’était pour restaurer le blason des institutions, leur redonner leur sacralité, que tant de vies ont été sacrifiées, tant de jeunes ont perdu la vie ?
Force est de constater qu’aujourd’hui, nous ne sommes pas sortis de l’auberge ; les anciennes pratiques tant décriées, tant dénoncées lors des conférences, des rassemblements, sur les chaînes de télévision refont violemment surface. Pas besoin d’étaler les preuves, ça crève les yeux.
La légèreté et la vulgarité de l’expression de ceux qui sont censés incarner la droiture, la rupture sont frappantes, aux limites indigestes. S’agissant des lacunes langagières, pour des autorités qui sont les reflets de l’image de notre pays dans la sous-région et à l’international, j’en passe. Je suis désolé de le dire, «le Sénégal est un pays qui mange» avec une «opposition de tapettes». Il n’y a rien à voir, passons, ou plutôt, mangeons ! Nous sommes de «gros calibres» quand même. Une autorité ne s’exprime pas n’importe comment, n’importe où et n’importe quand. Quand elle s’exprime, elle doit habiter sa fonction, ses mots ne sont plus de simples mots, ce sont des actes. Elle ne doit pas régler des comptes à l’esplanade publique. Tout le monde est d’avis que ceux qui ont fauté dans leur gestion doivent rendre des comptes, c’est un impératif. Mais la place publique n’est pas un tribunal. Il faut arrêter avec ces méthodes outrancières, guerrières qui consistent à clouer au pilori, à vouer aux gémonies, à jeter à la vindicte populaire des citoyens qui, jusqu’à preuve du contraire, n’ont nullement été jugés et condamnés par un quelconque tribunal, n’ont rien à se reprocher. Chaque jour que Dieu fait, on nous dit qu’un tel a fui, qu’un tel autre s’est caché, qu’un tel autre voulait fuir. C’est de la gestion administrative et politique à la petite semelle. L’opinion forge la croyance, mais elle ne saurait se substituer à la Justice. La comédie perdure !
Pour la rupture donc, on attendra alors, le système a totalement phagocyté l’antisystème. De toute façon, il n’y a jamais eu d’antisystème, ce n’était qu’un leurre et du pâle populisme. Relisons le fameux 18 Brumaire, et le jeu est fait. La rupture, c’est dans la menace permanente, dans l’arrêt de l’usage des machines à café, des frigo-bars, des postes de télévision dans les bureaux, dans le fait de ridiculiser ses potentiels adversaires-opposants, dans la réduction du train de vie de l’Etat à l’instar des pays scandinaves comme la Suède et «l’Ecosse». Excusez du peu, l’Ecosse ne fait pas partie des pays scandinaves, et ça, un collégien moyen le sait ! Mais bon, ce n’est pas grave, le super héros peut se le permettre, le Saint «mu sellemi», comme disent certains, est l’incarnation de la perfection. L’élu, des cinquante-quatre pour cent de Sénégalais, est sans faille, il est parfait, est bien guéri de ses douleurs lombaires qui l’empêchaient de dormir, et qui, sous la bénédiction d’un fameux «ouztaz», a été massé, soigné par des mains expertes. Le saint peut se rendre dans des lieux, loin de la sainteté, quel oxymore ! On s’en fout de toutes les façons. Les douleurs récurrentes de notre messie ont guéri, c’est ce qui compte !
Le populisme montre de manière permanente ses limites, c’est souvent ses défenseurs qui ne s’en rendent pas compte. La science, la contradiction et le factuel sont les armes les plus redoutables contre le populisme. Donc alléluia !
Les soubresauts autour de la fameuse Dpg sont illustratifs. C’est hallucinant comme, on peut, dans ce pays, se permettre certains comportements indécents et qui frisent le ridicule. Dans notre cher Sénégal, le ridicule ne tue pas, et, on n’a souvent la mémoire courte ou plutôt on feint de l’avoir. Tout dépend des intérêts du moment. Ce qui était banni hier, peut être légitimé aujourd’hui. Ainsi va la vie, ainsi va la politique au Sénégal.
Une assemblée illégitime n’est pas digne de recevoir une Dpg, cette même assemblée illégitime est convoquée pour dissoudre deux institutions. Il y a vraiment problème de cohérence, de concordance de temps et de points de vue. Ou peut-être s’agit-il de simples manœuvres politiciennes, lesquelles étaient pourtant, autrefois, vouées aux gémonies. Quand la realpolitik nous rattrape, on ne fait plus d’appels à candidatures, le temps presse, vite on passe aux urgences. Les appels à candidatures, c’est pour les chefs de quartier et les météorologues. Bravo cher directeur. Un Dg peut en cacher un autre ! On n’a pas le temps, on gère les urgences, nous sommes un «pays en ruines» qui est surfinancé. Urgence, le problème de l’Onas en est une. Mais bon, on ne touche pas à un Cheikh. Circulons alors ! À ce rythme, les boulets risquent de s’amonceler, des exemples, il y’en a déjà à la pelle. Quand un Directeur général se pavane avec de grosses cylindrées en file indienne, quand un conseiller spécial se permet de porter atteinte à l’honorabilité d’un pays ami et frère, il y a lieu de s’interroger sur le profil et le choix de certains hommes à des stations aussi importantes et stratégiques. Le choix ne doit nullement être dicté par des relations affectives, personnelles, amicales, partisanes, il doit être exclusivement fondé sur les qualités professionnelles, humaines, morales, etc. Tout autre paradigme biaise ledit choix.
Les courriers estampillés confidentiels, deviennent publics, c’est choquant, mais ce n’est pas grave, c’est la répétition de l’histoire. Merci au Vieux barbu ! L’histoire est comique et pathétique, quand les anciennes pratiques pour discréditer des adversaires, sont recyclées, c’est que les gens ont appris à bonne ou à mauvaise école. Pas de problème. Si, il y a un problème, un vrai problème. Les institutions continuent dangereusement à être bafouées, désacralisées. Prenons garde ! Les institutions ne doivent pas se dévoiler, elles doivent garder leurs voiles. Mais les habitudes ont la tronche dure.
L’espoir que le nouveau régime avait suscité, était tellement grand, immense, mais force est de constater que certains actes posés risquent de conduire au désespoir. L’immensité du désespoir est à la mesure de l’immensité de l’espoir. Donc au travail, on n’a plus besoin de résultats que de pompeux et emphatiques discours. Parlez moins et travaillez beaucoup. La parole doit être à l’opposition et l’action ou les résultats au pouvoir. C’est le gage d’une bonne santé de notre démocratie. On ne veut pas d’un rendez-vous manqué.
La colère gronde, et pourtant certains disent qu’il faut accorder un état de grâce au nouveau régime, tandis que d’autres attestent que le moment est inopportun pour le juger. Mais, en politique et en matière de gestion, il n’y a pas d’état de grâce qui vaille. Notre super Premier ministre, notre génie, nous l’a appris. Il n’y a pas de temps de latence, ceux qui nous dirigent doivent être au taquet de manière permanente, sinon, nous ne cesserons de leur demander des comptes, des explications, d’exiger d’eux de la performance, de la sobriété, de la transparence et de la probité. Pourquoi ? parce que tout simplement, les temps ont beaucoup changé, la conscience citoyenne et civique semble atteindre un certain niveau, la jeunesse est devenue plus exigeante et veut des résultats hic et nunc. Cette jeunesse qui a joué un rôle prépondérant dans l’avènement de cette nouvelle alternance, exige du travail, de l’emploi. Il faut la rassurer, la faire rêver, au cas contraire, elle continuera à prendre le large, et la mer continuera à être un cimetière qui engloutit tant de vies, tant de rêves, tant d’espoirs. Hélas !
Nous avons besoin d’un espace politique assaini, d’un espace politique de confrontations d’idées, de contradictions -de la contradiction naissent les grandes idées-, de débats, et non d’un espace politique structuré par des insultes, des calomnies, des menaces, une pensée unidirectionnelle, pour faire face aux nombreux défis actuels qui nous interpellent tous à plus d’un titre. Nous ne sommes pas orwelliens.
L’adversaire le plus redoutable pour tout régime est le temps. Ce dernier finit par montrer les limites et compétences des hommes qui nous gouvernent. Et, c’est une aubaine si ces derniers le comprennent ainsi. Au cas contraire, les regrets seront amers et les pilules indigestes.
Ousmane SARR
Enseignant-chercheur
Ucad.