Une des failles de la communication religieuse au Sénégal, reste la prépondérance du pathos sur le logos. La religion, étant du domaine de la foi, est déjà en soi une sphère qui revendique légitimement son autonomie vis-à-vis de l’autorité de la raison. En mettant en avant les émotions, la communication religieuse, notamment celle des prêcheurs, galvanise les fidèles, prend possession de leur libre jugement et cultive en eux le surnaturel, le mysticisme. S’il est vrai que le surnaturel est le fondement même de la religion, la communication outrancièrement axée sur le surnaturel finit par déposséder l’homme et à le réduire en simple caisse de résonnance incapable de comprendre la dimension éthique de la religion. Or, la religion promet certes le salut céleste, mais elle ne doit pas exclure celui terrestre. Pour le salut terrestre, l’homme ne peut pas confier toute sa destinée au fatalisme. Une religion trop fataliste tue l’homme, car elle lui enlève la volonté, la créativité et l’optimisme. En sublimant les émotions par une communication exclusivement axée sur le surnaturel, on fouette le fanatisme, cette «épilepsie céleste» selon le mot de Voltaire dont l’un des résultats est l’intolérance.
La communication, même religieuse, doit véhiculer un savoir, une information et féconder des conduites vertueuses. Jamais une communication religieuse ne devrait faire la promotion de l’intolérance, de la haine et de leur corollaire, la violence. Or, quand une communication est agressive, quand elle cherche à humilier, à exciter les passions, elle sème les germes d’un conflit latent ou patent.
Le but de la communication n’est pas de dénaturer l’homme, de briser les relations sociales, elle doit contribuer à assainir les mœurs et à rendre l’homme plus sociable. Communiquer pour exhorter les fidèles, propager la religion ou l’affermir, c’est naturel. Cependant, quand la communication religieuse oublie ou néglige sa vocation formatrice et sa dimension spirituelle pour se transformer en propagande agressive, elle se dénature en levier de la violence.
Cultiver le fanatisme comme unique pilier de la religion, c’est courir le risque de perdre la qualité des croyants. Un croyant de qualité vaut plus et mieux que dix disciples qui n’ont que leur ignorance et leur passion à faire valoir. Or, c’est justement là où le bât blesse dans la communication religieuse dans le Sénégal du XXIe siècle : elle crée beaucoup de disciples et peu de vrais croyants. On n’a pas besoin de statistiques pour étayer une telle hypothèse : malgré la religiosité ambiante, notre pays est inondé de comportements contraires au bon sens et aux préceptes fondamentaux de la religion. La problématique de la vérité est congédiée ici par la nature de la relation entre le locuteur et le récepteur. On se rappellera, sur ce point, le fondement psychologique de la reconnaissance de la vérité chez la plupart des hommes selon l’Imam Ali. La plupart des hommes, explique-t-il, reconnaissent la vérité par la figure ou le statut de celui qui parle, au lieu de juger les hommes d’après ce qu’ils disent ou non la vérité. L’autorité du guide religieux suffit à fonder et à justifier le sens ou la véracité de son propos. Cette opportunité est évidement exploitée à outrance par certains guides religieux pour faire de leur propre personnage une forme de communication. La mise en scène est d’ailleurs parfois manifeste que les esprits vicieux y voient une forme de théâtralisation susceptible de virer au comique ou au ridicule.
La communication religieuse a pour principale visée le raffermissement des liens qui unissent d’une part la communauté à l’autorité et, d’autre part, les membres de la communauté entre eux. Faut-il rappeler que le mot religion signifie étymologiquement cette double relation : relation transcendante (le croyant au dogme) et relation horizontale (entre croyants) ? Chaque communication de l’autorité religieuse est un évènement et est vécue par les membres de la communauté comme un nouveau bail ou comme un nouveau contrat d’obédience. Cette communication transcendante va par la suite être amplifiée et disséminée dans les médias communautaires et ceux classiques.
Les prêcheurs ne s’en rendent pas compte, mais leur communication apparaît de plus en plus comme un coup d’épée dans l’eau. A force d’insister sur le sensationnel, on a fini soit par lasser les récepteurs du discours, soit par les inciter à faire de l’accessoire l’essentiel. Et avec l’explosion des Tics et des réseaux sociaux, la communication religieuse est devenue un enjeu à la fois religieux et politique. Dans une société ouverte, la parole est libre, l’expression des convictions religieuses et politiques ne devrait souffrir d’aucune limitation, mais c’est justement ce qui pose des problèmes. Quand n’importe qui peut prendre la parole et parler de choses aussi sensibles que celles religieuses, il y a des risques de perversion de l’essence même de la religion. La rhétorique tapageuse, les diatribes déguisées, la propagande à disproportionnée dans la communication religieuse a ceci de fâcheux qu’elle crée un foisonnement d’agents religieux avec leur cohorte de fous. Or, la religion ne saurait être une affaire de fou, on n’obtient pas le salut terrestre dans la folie. Sous ce rapport, miser sur les passions dans la communication, c’est aller à contre-courant de la modernité. Dès l’instant que le prêcheur, le guide religieux recourt aux techniques de diffusion permises par les progrès scientifiques, il reconnaît implicitement la nécessité de la raison dans les relations sociales.
Le paradoxe de la communication religieuse au Sénégal, c’est qu’elle ne s’inspire pas suffisamment des fondements de la religion musulmane en matière de communication. S’il est intimé au Prophète l’ordre de prêcher dans la sagesse, le respect et la bienséance, comment comprendre que des gens qui parlent au nom de cette même religion, puissent prendre autant de liberté dans leur communication ? L’amabilité, l’éloquence et la pertinence du discours doivent être les éléments essentiels d’une bonne communication en islam. Cette religion, qui se veut une religion de paix et de connaissance, ne doit pas être laissée à la spontanéité de personnes qui n’ont ni le talent ni la formation pour communiquer es qualité. Ce n’est pas exagéré d’implorer que dans l’avenir, les confréries religieuses du pays s’attachent de spécialistes dans le domaine de la communication. Le recours à des spécialistes serait d’autant plus légitime que ces confréries sont de plus en plus ouvertes sur le monde et ont des disciples dans les quatre coins du globe. S’attacher les services de spécialistes ne veut pas forcément dire leur confier la communication et rendre caduque la forme actuelle, il s’agit plutôt de l’encadrer pour la rendre plus opérationnelle. Il faut éviter de confiner le discours religieux dans la promiscuité de l’autochtonie, si on veut exposer au monde les beautés et vertus de nos confréries. Leur savoir-faire en matière de communication religieuse peut être affiné pour davantage former les citoyens ou les fidèles et prévenir les conflits.
Pape Sadio THIAM
Communicant
Enseignant chercheur
Papesadio.thiam@gmail.com