Réponse à un ami
Cher Pascal, cher Compatriote,
Ni politicien, ni politologue, je me soumets néanmoins audacieusement et amicalement à tes interrogations sur la crise qui vient de frapper à notre porte.
Je pense que tous les enfants du continent africain, hommes, femmes, jeunes, soucieux de notre développement réel, de la conquête de notre dignité parmi les nations de ce monde, dignité sérieusement malmenée par certains de nos dirigeants politiques depuis la proclamation de la «souveraineté» de nos pays, tous ces enfants, ont salué avec admiration et respect l’intervention de la Cedeao. Il est temps que les décideurs de nos pays, après tant de décennies de discours et de folklores, et aussi de pillages de nos ressources, aient le courage de décider au nom de leur Peuple, au lieu de se contenter de suivre des ordres venus de l’étranger.
L’intervention de la Cedeao n’est pas une simple lueur d’espoir ; c’est un faisceau de lumière qui nous a surpris par son intensité ; il a fallu aux décideurs de l’institution sous-régionale beaucoup de lucidité, de détermination et de courage politique ; ce qui manque aux décideurs et aux cadres africains, ce n’est ni la compétence, ni l’intelligence, tu le sais bien ; il nous manque le plus souvent, cher ami, ce qui peut être considéré comme fondamental à la tête de nos Etats et de nos administrations : l’amour du continent, le respect dû à nos populations, mais surtout du courage d’agir face à l’Occident, qui exploite tout ce qui bouge sur notre continent au bénéfice de ses populations. Souvent, la plupart de nos dirigeants n’en ont cure.
Ce qui s’est passé autour de la petite Gambie et autour d’un des grands tyrans du continent est révélateur des forces et des faiblesses du continent : le geste de la Cedeao révèle clairement qu’«on peut» et que si l’«Afrique peut», sa place ne peut être qu’à la table des plus grands de ce monde ; mais d’autres gestes malencontreux durant ces quelques semaines, montrent bien qu’il ne sera pas aisé de bâtir et de fortifier les fondements de ces forces, de l’unité d’action sur le continent.
Tu me parles de «signes de faiblesses» de la Cedeao et de ses tergiversations au nom d’un dialogue tatillon? Je ne pense pas. Il est tout à fait normal et fortement recommandé, à ce haut niveau, de préférer le dialogue à l’arme de guerre ; la précipitation sur les armes est toujours insensée ; on se souvient du cas de la Libye et des immenses dégâts qui continuent à troubler et à secouer le monde. Les conséquences de l’intervention militaire de l’Occident en Libye sont énormes et désastreuses ; la complicité des Nations unies a été recherchée et obtenue; et l’Afrique n’a pas osé bouger. C’est, à mon avis, la première grande erreur politique de notre siècle et de notre millénaire, commise par les plus hauts responsables de ce monde ; comme le soutient récemment, dans une interview, le président du Niger, l’Occident, certainement par mépris et par goût du gain immédiat, n’a même pas songé à consulter les pays de la sous-région; nous continuons, dans presque tous les continents, à subir les conséquences de cet aveuglement et c’est loin d’être fini. C’était bien le «grand Blanc» – pour nous souvenir de L. S. Senghor – qui avait décidé souverainement!
C’était heureux donc que la Cedeao privilégie le dialogue surtout quand il s’agit d’un pays africain, de surcroît d’un pays membre de l’institution. Ce geste noble et juste est loin d’être un signe de faiblesse. Il faut le saluer avec respect.
Si la Cedeao a du mal à asseoir son autorité, comme tu dis, c’est bien la faute de certains de ses propres membres qui croupissent sous les diktats de tel ou tel pays étranger, ces pays qui croient qu’ils n’ont pas intérêt à voir nos pays unis ou tout simplement à les voir mener des actions communes. Bien de nos dirigeants politiques croient beaucoup plus à l’Autre, au-delà des océans et des mers, qu’à soi. Pourtant, c’est bien nous, filles et fils du continent, qui sommes solidement implantés dans les réalités de l’Afrique. Ils pensent, avec fermeté, que pour s’imposer à son Peuple, se faire respecter par ses propres sœurs et frères, il suffit d’obtenir, au grand jour, la reconnaissance de l’ancien colonisateur. Quelle énorme illusion ! Il sera difficile de faire «émerger» nos pays avec un tel comportement. En outre, ce qui rend complexe la situation politique de notre continent et de nos organisations régionales et sous-régionales, c’est que, à la tête de certains de nos pays, il existe bel et bien des chefs d’Etat en mal de légitimité, des chefs d’Etat mal élus qui, en s’opposant aux actions communes, à tout élan vers la vraie unité de nos pays, croient, par ce geste, qu’ils considèrent naïvement héroïque, se faire accepter enfin de leur Peuple. Sur ces questions fondamentales, les politologues et les intellectuels africains, surtout de ton niveau, doivent mener des réflexions susceptibles d’asseoir les fondements de la démocratie et de l’unité de nos pays sur le continent.
A mon humble avis, tu as raison de souligner que «dans d’autres pays membres de la Cedeao, des chefs d’Etat ont osé engager une épreuve de force contre leur Constitution, mais la Cedeao n’a pas envoyé sa force d’intervention».
La remarque est certainement pertinente, mais tu dois reconnaître qu’il y a un commencement à toute action humaine. Il faut bien que la Cedeao commence à agir quelque part de façon enfin concrète comme elle vient de le faire aux yeux du monde ; cela l’honore parce que ça nous honore, nous Africains. En peu de temps, elle a rassemblé ses troupes et a frappé à la porte du dictateur, du tueur d’hommes, de femmes et d’enfants, à la grande joie de la population gambienne. Comment peut-on minimiser ou incriminer un tel geste ? Si les meurtres, atrocement commis par Yahya Jammeh, avaient concerné directement nos propres familles, nous aurions tous reconnu et certainement applaudi la bravoure et la lucidité des dirigeants de la Cedeao.
Tu constates que «la médiation des présidents Condé et Abdel Aziz a été présentée comme celle de la dernière chance» et qu’une bonne partie de l’opinion «a salué le résultat obtenu». Il s’agit là, mon cher Pascal, du modèle même des pratiques politiques qu’il faut honnir. Et je ne pense pas non plus que dans le continent, tous ceux qui croient à l’unité africaine, à nos forces rassemblées aient salué cette intervention. Jammeh savait que la décision prise par la Cedeao était implacable. Il était à la portée de ses canons. N’importe quel petit amateur de politique aurait convaincu Yahya Jammeh, durant ces heures-là, de quitter le pouvoir, surtout si on lui permet de piller le trésor public et d’embarquer ses butins, sous la barbe complaisante des négociateurs et de la Cedeao, dans tout un cargo sans le moindre contrôle de l’institution sous-régionale. Et lui faire croire, en outre, au nom de la Cedeao, que ses gestes commis dans l’exercice de ses fonctions resteraient impunis. C’était précisément au moment où le dictateur de Banjul n’avait plus d’issue, cerné militairement de tous côtés, que les négociateurs ont réussi à freiner l’élan de la Cedeao, pour donner plus de temps et de sécurité aux dernières actions criminelles du dictateur. Tu prétends que cette «médiation a été présentée comme celle de la dernière chance»; dernière chance pour qui? Pour la population ou pour le tortionnaire?
A bien réfléchir, au moment où les deux chefs d’Etat ont entamé leurs dernières négociations, le pays n’était plus en situation de guerre, car les forces militaires nationales avaient déjà lâché le dictateur; il ne restait plus, aux forces de la Cedeao, qu’à capturer Yahya Jammeh dans son palais, sans effusion de sang, et à le livrer à son pays souverain. Cela était bien possible. Avec tout le respect que je dois aux négociateurs de la dernière heure, le scénario me fait irrésistiblement penser à Hollywood. En lisant, même superficiellement, le communiqué de la présidence mauritanienne qui a sanctionné positivement ces négociations, on se rend compte qu’il a existé deux camps dans l’esprit des négociateurs: celui de la Cedeao et celui des négociateurs. Si ces négociations ont été autorisées aux dernières heures par la Cedeao, je reconnais, mon cher Pascal, peut-être à tort, que ce n’était rien de moins qu’une bavure.
N’étant ni politicien ni politologue, ma modeste conclusion est qu’il est urgent, sur le continent, de lever le malentendu qui existe, depuis la proclamation de la souveraineté de nos pays, entre l’élite politique et nos populations. Il semble y avoir un grand fossé entre le niveau de maturité politique de nos populations et la perception tronquée que certains hommes politiques, au sommet de nos Etats, se font de ce niveau de maturité. Il n’est plus aisé de manipuler l’opinion publique dans le sens égoïste de nos intérêts personnels, comme dans les décennies écoulées. Il faut oser reconnaître que nos populations sont devenues majeures et qu’il faut nous en applaudir. Tu comprends, mon cher Pascal, pourquoi j’ai déjà dit qu’il nous faut des analyses objectives de nos politologues et de nos journalistes d’investigation sur toutes ces questions car, ce qui vient de se passer en Gambie est important pour l’avenir politique, militaire et économique de l’Afrique.
Makhily GASSAMA
Absolument, vous avez parfaitement raison cette action est plus que salutaire et ça nous honore, nous africains à plus d’un titre. C’est une preuve incommensurable pour l’occident qui se croit toujours être chargé d’une mission civilisatrice en direction de l’Afrique, une preuve qui montre avec insistance que l’Afrique n’est plus une fille qui doit toujours obéir les ordres de ses parents (l’occident). L’Afrique a beaucoup souffert et continu de souffrir, mais je pense que des responsabilités comme celle que la CEDEAO vient de prendre réduira minime soit-il les maux dont elle souffre. Il est temps pour nous en tant que africains (hommes de la paix) de dire non à une soumission injuste et injustifiée. Un écrivain africain a posé une question qui n’a jusqu’à présent pas trouvé une réponse adéquate en ces termes « hier nos misères provenant du blanc qui fallait chasser pour le bonheur vienne, aujourd’hui, les oncles sont partis et la misère est toujours là qui donc faut il chasser ? Cette interrogation reste sans réponse. Nos représentants ou chefs d’états doivent montrer qu’ils sont capables de nous diriger car leur choix était tout sauf involontaire…