«Quand la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie.» Jacques Prévert

Il faut se rendre à l’évidence. Dans notre pays, la vérité n’est plus libre. La plupart de nos élites, quand elles n’essaient pas de les justifier, s’abstien­nent de dénoncer ou de con­damner les violences con­sécutives à la condamnation du leader du parti Pastef, Ousma­ne Sonko, à deux ans de prison ferme pour corruption de la jeunesse.
Or, il faut condamner les violences qui ont fait seize victimes parmi nos compa­triotes et les actes de vanda­lisme de biens publics et privés. Il faut dénoncer la furie qui s’est abattue sur l’université Cheikh Anta Diop de Dakar où, pour la première fois, des facultés ont été saccagées puis incendiées, des archives, des ouvrages et autres documents détruits avant d’être transfor­més en brasier. Au-delà de la des­truction du patrimoine ma­tériel et immatériel de l’uni­versité Cheikh Anta Diop de Dakar, cette profanation du temple du savoir et de la liberté constitue une atteinte à la quête de la connaissance et à une partie importante de notre mémoire.
A l’évidence, ces violences inouïes révèlent la plus secrète des motivations de leurs commanditaires : une agres­sion planifiée contre notre système démocratique. S’il est vrai que la contradiction est consubstantielle à la dé­mocratie, elle ne doit pas dégénérer en violence car la démocratie est, par essence, le cadre d’expression du plura­lisme. En effet, elle incarne ce qui relie les hommes aux hommes, les communautés aux communautés dans la diversité de leurs opinions. Elle garantit à chacun et à tous l’exercice plénier de la cito­yenneté et d’un de ses corolaires, la liberté d’expres­sion.
Au vrai, et il faut donner aux mots leur sens, les violences de la semaine dernière ont mis à jour l’intolérance, pour ainsi dire la dictature de la pensée unique qui gangrène notre pays depuis quelques années. Par la faute, il faut les désigner, de politiciens de fraiche date qui, par ignorance ou malveillance, veulent réduire au silence tous ceux qui émettent une opinion contraire à leurs idées. Comme souvent avec les populistes, la liberté leur sert de prétexte pour justifier leurs actes, mais ils ignorent tout de la liberté et de la démocratie, du pluralisme des idées et de la diversité des opinions qui en constituent les marqueurs.
Bien entendu, ll n’est pas question d’absoudre le Président Macky Sall dans la situation actuelle de notre pays, encore moins des évènements des 1er, 2 et 3 juin derniers. Il en est le principal responsable pour avoir cherché, depuis son arrivée au pouvoir, à éliminer les plus républicains parmi ses adversaires politiques et pour avoir installé dans le champ politique des populistes adep­tes de l’idéologie de la brutalité des mots et des actes. Il a exacerbé les tensions politiques par ses velléités de se présenter pour un troisième mandat en violation de la Constitution.
Les scènes de pillage dans plusieurs villes du Sénégal ont montré au monde la face hideuse de notre démocratie prise en otage par les intérêts politiciens de deux camps qui s’affrontent par la manipu­lation des masses. En effet, les auteurs des violences n’exer­çaient pas un jugement rationnel, conditionnés pour certains et influencés pour d’autres par la frénésie mani­pulatrice. En poussant le discours victimaire à son paroxysme et en appelant les Sénégalais à résister par tous les moyens, les leaders de cette «insurrection» excitaient les colères enfouies, les émotions collectives et les compor­tements impulsifs.
Par la manipulation et la désinformation, notamment sur les réseaux sociaux, ils ont réussi à exploiter les émotions collectives de certains de nos concitoyens pour les pousser à la barbarie selon leurs propres intérêts. En réalité, les foules sont souvent attirées par des figures autoritaires et sont prêtes à suivre aveuglément leurs directives, sans remettre en question leur légalité, leur légitimité ou leurs motivations. Dans son ouvrage Psychologie des foules, Gustave Le Bon soutient qu’au sein des foules, les émotions se propagent rapidement. Lorsqu’un indi­vidu est exposé à l’émotion collective, il peut se retrouver dans un état émotionnel simi­laire par effet de contagion.
En définitive, le corps politique doit se ressaisir et ne doit ni promouvoir ni s’habi­tuer à la violence. Etre un homme politique, c’est en toute circonstance se conformer aux valeurs de la République et aux règles démocratiques. Une société démocratique se doit de cultiver le dialogue et de suivre la voie de la raison pour aboutir à des consensus. Car le génie de la démocratie et du pluralisme qui est son corollaire, c’est de générer des divergences entre ses acteurs et d’être capable dans le même temps de trouver des mécanismes de délibé­ration pour éviter qu’elles ne dégénèrent en conflits. Ceux qui l’ignorent ou ne s’en accommodent pas ne sont pas des démocrates et doivent être exclus de la vie politique.
Amadou B. SARR
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