A la fin de l’adresse de fin d’année du président de la République Macky Sall, le dimanche 31 décembre dernier, beaucoup de ses détracteurs n’ont retenu que les non-dits de son bilan. Certains ont mis l’accent sur ce qu’ils appellent le bilan immatériel, tandis que plusieurs autres ont voulu mettre l’accent sur le coût exorbitant à leurs yeux, des réalisations du Président bientôt sortant. L’un d’eux a même indiqué que par rapport à son actuel niveau d’endettement, le Sénégal aurait dû faire mieux en matière d’infrastructures et dans le chemin de l’émergence.

Cela montre que, malgré sa récurrence depuis 2000, le débat sur le niveau d’endettement du Sénégal ne baisse pas. Les politiciens, surtout ceux de l’opposition, ont pris l’habitude, quand ils veulent dénoncer la manie de leurs adversaires du pouvoir de mettre en avant le fait que beaucoup de créances contractées actuellement seront payées par nos enfants et même nos petits-enfants.

Des économistes comme Ndongo Samba Sylla soulignent le caractère dangereux de la dette par le fait qu’elle est contractée en devises étrangères. Ce spécialiste des questions monétaires fait valoir que l’on ne pourrait, au Sénégal, comparer le niveau d’endettement des Etats-Unis ou du Japon, à celui de nos pays. Si le Sénégal, avec un niveau d’endettement de 75% du Pib, peut prétendre qu’il a encore une marge d’endettement par rapport au Japon qui a dépassé les 110% ou les Etats-Unis qui frôlent les 120%, il aurait tort car les gouvernement de ces deux pays s’endettent principalement dans leur monnaie propre. Ils ont le loisir, quand il s’agira de payer, de faire tourner la planche à billets et de produire des valeurs. Ce qui n’est pas le cas du Sénégal.

Par-delà ce débat sur l’utilité de la dette, la question que l’on peut aussi se poser est de savoir si, en l’état actuel de notre économie, le Sénégal peut espérer se doter d’un minimum de moyens sans avoir recours aux apports financiers de l’extérieur. Nous avons un tissu économique en pleine confection. La majeure partie de nos outils de production appartiennent encore à des intérêts extérieurs. Comment produire de la valeur quand les outils et moyens de production échappent aux nationaux ? On en voit d’ailleurs les effets dans les programmes économiques que lance le gouvernement. A ce jour, l’Etat du Sénégal reste le principal client du secteur privé, le premier employeur également. Une situation peu propice à la constitution d’une masse critique de potentiels investisseurs nationaux.

Donc, le véritable débat n’est pas de savoir si l’Etat devrait s’endetter ou à quel niveau il devrait le faire. La question que l’on devrait se poser est de savoir à quoi l’Etat consacre les financements qu’il va solliciter à l’extérieur. Nous avons la chance d’avoir un gouvernement qui a pu préserver sa capacité à s’endetter, ce qui n’est pas le cas de nombreux autres pays.

On peut se désoler qu’avec 75% du Pib, le taux d’endettement du Sénégal ait dépassé la norme imposée par l’Uemoa. Mais il faut alors aussi se féliciter de voir que les bailleurs des fonds continuent à faire la cour à l’Etat du Sénégal pour nous prêter. Et cela n’est pas que la conséquence de la découverte du pétrole et du gaz, comme certains voudraient nous le faire croire. La preuve, le Ghana, l’un des derniers arrivés sur le marché de la découverte et de l’exploitation des hydrocarbures, est également en train d’en expérimenter la malédiction. Déjà. Or, sans ces hydrocarbures, les agrégats économiques du Sénégal sont encore bien solides et sa signature respectée. C’est dire que s’endetter ne tue pas. A condition de ne pas se laisser étouffer par l’argent d’autrui.

Macky Sall a parlé de la «densification de nos infrastructures routières et autoroutières, et la modernisation de notre système de transport urbain et interurbain» qui nous mettraient sur la voie de l’émergence.

Il s’est vanté de la remise en état des aéroports régionaux, des parcs industriels et des zones économiques spéciales, entre autres réalisations de sa mandature. Toutes ces réalisations, ainsi que d’autres, sur le plan de la production agricole, n’ont été possibles que grâce à l’apport de l’extérieur. Ce qui a porté le niveau d’endettement à plus de 15 mille milliards de francs Cfa, ce que dénoncent certains politiciens. Mais ils ne disent pas que si ces investissements n’avaient pas été faits, la lutte pour sortir la population du niveau de pauvreté aurait été certainement encore plus lourde.

Dans ce débat sur l’endettement, la seule critique qui pourrait être acceptée, serait celle qui voudrait que l’argent que les générations futures devraient rembourser soit aujourd’hui utilisé de manière à ce que dans l’avenir, les pouvoirs publics soient en mesure de s’endetter auprès des institutions dominées par des capitaux sénégalais. Et ne pas continuer à enrichir l’étranger.

Par Mohamed GUEYE – mgueye@lequotidien.sn