Pour poursuivre le débat sur la dette, que nous avions entamé la semaine dernière, des lecteurs nous ont interpellés, qui n’étaient pas tous de notre avis. Et c’est une bonne chose. On ne progresse pas en stagnant dans une appauvrissante unanimité. Pour en revenir à la dette, il est constant que le système économique impose à des Etats comme le Sénégal de s’endetter auprès de partenaires étrangers, en devises étrangères. Ce qui nous conduit à la situation que nous connaissons actuellement, qui fait que beaucoup d’observateurs, et même des institutions multilatérales, commencent à tirer la sonnette d’alarme sur le niveau d’endettement du pays, qui a atteint les 75% du Pib, bien au-dessus des critères de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa).
Pourtant, si les dirigeants politiques le voulaient, ils pourraient commencer à travailler à renverser la tendance, pour nous sortir du cycle infernal de l’endettement pour investir et transférer les profits à l’étranger, pour aller encore s’endetter. Et cela est bien possible, quand il y a la volonté, car le pays aura tout à y gagner. Il suffit de se rendre compte des énormes montants que le Sénégal perd du fait des accords de partenariat ou des investissements mal négociés, ou dont les conditions ont été particulièrement déséquilibrées.
Il y a 4 ans environ, le dirigeant de l’une des plus grosses banques de la place de Dakar m’indiquait que l’un des moments les plus pénibles pour les banques au Sénégal, c’est quand la Sonatel paie ses dividendes à ses actionnaires. Car, soulignait-il, ce sont près de 100 milliards de francs Cfa qui sortent des caisses pour l’étranger, d’un seul coup ! Il disait qu’à cette période, presque aucune banque n’était en mesure de faire face à aucune autre demande de liquidités. Or, la Sonatel et Orange Sénégal sont peut-être la multinationale qui ponctionne le plus gros montant, mais elle n’est pas la seule. Bien d’autres entreprises étrangères, françaises principalement, mais pas que, rapatrient régulièrement leurs bénéfices dans leurs pays ou dans des comptes offshore, en payant des impôts ridicules par rapport aux sommes qu’elles collectent ici.
Alors que le Sénégal devient de plus en plus un pays producteur de minerais et bientôt d’hydrocarbures, on ne peut s’empêcher de se désoler que, depuis les décennies qu’elles exploitent les ressources du Sénégal, les industries extractives soient toujours exonérées d’impôts pour leur activité. Et les taxes qu’elles paient couvrent à peine les dégâts qu’elles commettent sur l’environnement. L’une des choses les plus déplorables est que ces grosses entreprises, dont on veut toujours se vanter de les avoir attirées chez nous, ne sont même pas réputées pour être de grosses créatrices d’emplois. Dans leurs zones d’activités se notent le plus souvent des gros taux de chômage, du fait selon le discours officiel, d’un défaut de qualification des populations locales.
Cela revient à dire que l’Etat doit être en mesure de suppléer les limitations de ces investisseurs. Or, il a besoin pour cela, des ressources financières dont ces dits investisseurs privent le pays en grande quantité, et qui sont l’une des causes de l’appauvrissement de ces populations. L’économiste Ndongo Samba Sylla, que nous avions cité la semaine dernière, est décidément l’un des Sénégalais qui ont beaucoup produit sur la question de la dette. Il vient d’ailleurs de publier un autre article sur le sujet dont malheureusement, on ne trouve encore que la version anglaise. (https://www.project-syndicate.org/commentary/conceptual-roots-of-global-south-debt-crisis-by-ndongo-samba-sylla-1-2024-01).
Il y montre le paradoxe auquel sont soumis des pays comme la Zambie, très riche exportatrice de cuivre, mais qui étouffe et s’appauvrit sous le poids d’une dette devenue insupportable. Les bénéfices tirés de ses ressources minières, s’ils ne sortaient pas du pays en termes des bénéfices transférés, ou sous forme de fonds détournés, auraient pu largement compenser les montants des dettes contractés par le pays, et qui l’ont mis à la merci de ses créanciers étrangers. Le cas peut-être reproduit dans plusieurs pays dont même le Sénégal. Combien aurait-on pu s’épargner d’emprunt si les investisseurs étrangers ne transféraient pas tout ce qu’ils gagnent ici, ou s’ils en réinvestissaient une bonne part dans le développement effectif de leurs zones d’exploitation. Qui peut comprendre et accepter que la région de Kédougou, d’où est tiré l’or, qui tend à devenir le premier produit d’exportation actuellement, soit toujours dans un état de pauvreté ahurissante ? Les populations, qui voient passer les gros véhicules des compagnies qui exploitent les mines, doivent pour la plupart, se contenter d’avaler la poussière en saison sèche, et de supporter la boue quand il pleut.
S’il est difficile de connaître actuellement l’ampleur des flux financiers illicites au Sénégal, on ne peut que craindre qu’ils s’amplifient une fois que les pompes à pétrole et à gaz vont commencer à tourner, en ajoutant de nouvelles ressources. Il faut souhaiter que nos dirigeants, aussi bien au pouvoir que dans la Société civile, fassent preuve de vigilance pour que nous n’ayons pas à payer les dégâts provoqués par des richesses dont la population n’aurait pas profité.