La discipline par l’exemple

Après une dizaine d’années d’opposition, d’abord verbale avant de passer à l’action violente, Pastef est en train de faire prendre au Peuple sénégalais, la mesure de ses capacités de gouverner. Ce qui est notable avec nos nouveaux dirigeants, c’est leur rapidité à faire montre de leurs carences. En moins d’un an de pouvoir, une bonne partie de l’opinion, même parmi leurs plus fermes partisans, ne cache plus sa déception et sa désillusion.
Le plus extraordinaire, c’est de se rendre compte que nos dirigeants n’ont pas de solution pour sortir le pays de l’ornière. 5 mois après son arrivée aux affaires, le Premier ministre Sonko a annoncé que le pays était encore plus mal en point qu’il ne l’avait cru, que le régime précédent avait procédé à un pillage en règle de nos maigres ressources. Comme un devin, il annonçait que la Cour des comptes, prévenue, allait conforter le constat fait par ses services financiers. Et effectivement, quatre mois après cette sortie, la Cour des comptes, ravalant tous les satisfécits délivrés par elle à la gestion de Macky Sall durant ses douze années de pouvoir, a encore plus noirci le tableau peint par le Premier ministre et ses principaux collaborateurs. Nous avons vécu dans le mensonge et l’illusion au cours de ces deux mandats écoulés. Au lieu d’aider à nous impulser vers le développement, les infrastructures sorties de terre nous aurons encore plus enfoncés dans la spirale de la dette. Nous serions donc au trente-sixième dessous de l’économie, comme nous l’a annoncé l’homme sur lequel compte le Sénégal pour pouvoir parler d’égal à égal avec les pays du monde entier.
Lire la chronique – Vivement l’ère des affairismes patriotiques !
Si cela s’était limité à un constat analytique, il n’aurait que produit un débat d’économistes. Hélas, depuis bientôt quelques mois, Goorgoorlou, le Sénégalais moyen, constate que le 36ème dessous est loin d’être une simple vue de l’esprit. Dans leur volonté de traquer tous les responsables de la mauvaise gouvernance et du pillage de nos ressources, de leur faire rendre gorge, ainsi qu’à leurs complices, nos autorités n’hésitent pas à priver de marchés publics, certaines entreprises dont les dirigeants seraient soupçonnés de fortes accointances avec les dirigeants déchus, à licencier à tour de bras des centaines de personnes dans les organismes de l’Etat, ainsi qu’à priver de crédits des projets déjà en cours d’exécution.
La conséquence de tout cela est que même le regard de l’extérieur n’est plus aussi bienveillant. Les déclarations défaitistes ont conduit notre principal partenaire financier, le Fonds monétaire international (Fmi), à suspendre sa coopération avec le Sénégal, avant de négocier un nouvel accord, au regard des déclarations du Premier ministre Sonko de septembre 2024. Mais sans attendre l’accord en question, les principales agences de notation qui travaillent avec nous, se sont empressées de dégrader la note souveraine du Sénégal. Que cela soit juste ou pas, c’est la conséquence de l’arrimage à l’économie capitaliste à laquelle nos dirigeants nous ont accolés depuis les indépendances. Cette dégradation fait que le risque du Sénégal s’est aujourd’hui accru aux yeux des bailleurs de fonds, et les emprunts que le pays pourrait solliciter aujourd’hui pourraient nous coûter encore plus cher.
Lire la chronique – Mettre notre argent dans les déchets
Même sur le marché régional de l’Uemoa, il n’est pas évident que les créanciers habituels, les banques de la sous-région, soient enclins à nous faire des faveurs. Les pays ne sont pas différents des êtres humains. Quand votre créancier sait que vous êtes pris à la gorge, il n’est pas enclin à desserrer son étau. Les bons du Trésor que le pays place régulièrement sur le marché courent le risque d’être encore plus dépréciés, obligeant le pays à en vendre toujours plus.
On aura beau nier ne pas être en situation d’ajustement structurel, on va en subir les effets. Certaines de ses caractéristiques se constatent tous les jours, dont notamment les licenciements massifs dans des entreprises d’Etat.
D’autres ont déjà annoncé qu’ils vont y recourir dans les plus brefs délais. Il est d’ailleurs paradoxal, quand ces dirigeants annoncent devoir déflater une bonne partie de leur personnel, de les voir accusés d’opérer des recrutements massifs de certains de leurs proches ou des membres de leurs partis. On dit vouloir corriger les erreurs des dirigeants déchus, en finir avec les injustices des autres, en commettant des injustices peut-être même plus grandes.
Lire la chronique – Faire émerger des capitaines nationaux
Priver des chefs de familles sénégalaises de leur gagne-pain ne permettra pas à ce pays de décoller, car des Sénégalais seront toujours dans la misère dans leur pays. Sans la garantie de pouvoir sortir d’autres de leur détresse. De plus, la chose la plus inquiétante dans les circonstances actuelles, c’est que la paupérisation rampante s’accompagne d’une forte réduction de la liberté d’expression et de la liberté d’association. Le discours du Premier ministre, lors de la rencontre tripartite avec les partenaires sociaux, n’était pas particulièrement rassurant. Quand il a voulu faire le parallèle avec les pays d’Asie et du Moyen-Orient, il a juste omis de dire que si ces peuples avaient échangé leurs projets de développement contre leur mise au pas, ils ont gagné en accroissement des ressources humaines et en amélioration de leurs conditions de vie. Or, un peuple privé de nourriture comme le nôtre actuellement, ne pourrait se voir priver de parole, à moins de vouloir le voir prendre les armes.
Le nouveau pouvoir de Pastef semble parier fortement sur l’exploitation des hydrocarbures pour sortir le pays de l’ornière. Si l’on se rappelle les déclarations des partisans de l’Apr au pouvoir, on se rend compte que nos dirigeants n’ont encore rien imaginé de nouveau. Ils pensent que le pays sera bientôt transformé en eldorado avec ces nouvelles ressources. On veut bien croire que c’est une manière comme une autre d’entretenir l’espoir.
En termes de ressources tirées de nos minerais, le Sénégal récolte depuis des années, près de 100 milliards de francs Cfa de son or. Ces ressources n’ont même pas amélioré les conditions de vie de nos concitoyens qui vivent dans ces régions aurifères. On entend également, depuis un certain temps, les mouvements d’humeur des habitants de la zone de Diogo, de Mboro, ainsi que d’autres recoins de la Grande-Côte, où l’exploitation minière est en train de prendre le pas sur la production agricole et la pêche.
Lire la chronique – Les nouveaux trafiquants d’esclaves
Et même, nonobstant cela, le Sénégal a été chanceux d’avoir été l’un des derniers pays de la côte ouest-africaine à découvrir des hydrocarbures et à les mettre en exploitation. Nous avons donc la chance d’avoir sous les yeux, les exemples de pays qui nous ont précédés dans cette voie. Le dernier en date, le Ghana, avait fortement jubilé quand il a mis en service ses gisements de pétrole, en 2008. Pour schématiser, le gouvernement de John Dramani Mahama, qui venait de succéder à Atta Mills décédé, n’a pu finir qu’un seul mandat, terriblement discrédité par le niveau de corruption de son régime dont les dirigeants ne voyaient plus que l’argent facile.
La situation a persisté avec son rival Akufo-Addo. Dès son arrivée aux affaires, ce dernier a clamé que son pays n’avait pas besoin de l’aide étrangère pour son développement, que le Ghana avait pris un élan irrésistible. A la fin de son mandat, le pays, bien que producteur de pétrole, second exportateur mondial de cacao, second producteur africain d’or, s’est retrouvé en défaut de paiement vis-à-vis de ses créanciers, et contraint de négocier un accord avec le Fonds monétaire international. On pense que le Sénégal est suffisamment armé pour éviter de se retrouver dans une situation similaire dans quelques années.
Quel rapport avec le Sénégal ? Notre chef du gouvernement a pendant longtemps claironné plusieurs choses et leur contraire. A certains moments, il disait qu’il ne lui faudrait pas plus de deux mois pour remettre le pays sur les rails, et à d’autres, il semblait indiquer que les dégâts opérés avant Pastef étaient si importants qu’un seul mandat ne suffirait pas pour remettre les choses sur le droit chemin. Quelle que soit la manière dont il voudrait s’y prendre, notre Premier ministre ne doit pas ignorer que l’on ne peut imposer à personne une quelconque discipline. Car discipline ne veut pas dire résignation ou silence. Elle ne pourrait s’obtenir que par l’exemple. On ne peut pas convaincre les gens de faire des sacrifices s’ils ne voient pas les chefs faire des sacrifices encore plus importants. En une année, il a été demandé au Peuple sénégalais d’être patient et résilient. Mais on a oublié de lui apprendre à être aveugle et sourd.
Lire la chronique – Cultiver enfin la transparence
Or, ce qu’il voit et entend, ce sont des personnes dont le statut social semble avoir changé du jour au lendemain en un tournemain, qui viennent étaler leur luxe avec insolence. Ils se souviennent de certaines premières dames qui faisaient étalage de distribution de moulins et de forages dans des villages. D’autres créaient des écoles et des hôpitaux dans des localités plus ou moins éloignées. Et ces dames prenaient le prétexte de président des fondations à travers lesquelles de généreux donateurs faisaient montre de philanthropie.
Or, maintenant, nos nouvelles épouses de dirigeants vont dans leurs terroirs avec force cortèges de camions remplis de victuailles de toutes sortes, qu’elles distribuent du haut de leur munificente tribune. Et elles n’ont même pas besoin d’invoquer une quelconque fondation ou des «partenaires étrangers» qui seraient venus les soutenir. Ce Peuple sénégalais ne va-t-il pas faire comme dans La Ferme des animaux de George Orwell, et se demander à quoi aura servi le changement de régime ?
Par Mohamed GUEYE – mgueye@lequotidien.sn