Sa Majesté le Roi Hassan II disait au journaliste Eric Laurent, dans La Mémoire d’un Roi (Plon, 1993), qu’«on peut classer en trois catégories ceux qui manient les idées politiques : les agités, les agitateurs et les hommes d’Etat. Les agités, heureusement, sont les plus nombreux ; les agitateurs, eux, feront beaucoup de bruit ; quant aux hommes d’Etat, il leur faudra un certain temps pour se découvrir». Il est difficile de ranger, avec exactitude, notre bonhomme dans les deux premières catégories, mais une chose est sûre : il ne pourra jamais prétendre à une place, aussi insignifiante soit-elle, dans la troisième.
Cela fait une éternité qu’il n’avait pas retrouvé son milieu naturel, c’est-à-dire les «lives», où il pratique son sport de prédilection : fouetter, avec son fouet traditionnel de gladiateur, tout ce qui gesticule. Il semble qu’il soit impossible, pour lui, de se mettre dans la posture de celui qui incarne le pouvoir politique. L’opposant, le théoricien emblématique du Mortal kombat, est le père du Premier ministre, lequel est, à son tour, le chef incontesté du président de la République. Comme de coutume, depuis 2021, c’est la Justice qui est sa tête de Turc. Il s’est donné, encore une fois, le plaisir tragique d’ouvrir ses écluses d’injures sur les magistrats qu’il considère comme des «lâches» et des «corrompus». Des «résidus» du fameux système dont les tentacules ne font que s’élargir, malgré ses efforts titanesques. Avec Ousmane Sonko, quand les décisions de Justice lui sont défavorables, il faut accuser les juges des dix plaies d’Egypte, exposer leurs familles à la vindicte populaire, les menacer de mort ou d’exil. On a même vu, dans ce pays, des gens crier victoire parce que tout simplement un magistrat, considéré comme stipendié par le pouvoir politique et en mission pour liquider leur chef, a rendu l’âme…
A l’entendre s’apitoyer sur son sort lors de son dernier live-fleuve, on a la fâcheuse impression que tout le monde -les magistrats, les journalistes, les chroniqueurs, les hommes politiques, le plus atone des présidents de la République, les ministres, que sais-je encore- fomente une entourloupe pour saper son destin présidentiel pourtant si bien tracé par les sacrifices de ses groupies. Il a le pouvoir entre ses mains, et il se lamente ; il est la deuxième ou première tête de l’Exécutif, et son acrimonie légendaire est toujours là, tel le système renforcé et perpétué par Macky et sa bande de faussaires. Peut-être que son malheur s’explique par le fait qu’il n’est pas le président de la République pour que certains Sénégalais puissent enfin raser les murs…
Ceux qui font mine d’être choqués par ses déclarations graveleuses sur la Justice font preuve d’hypocrisie ou d’amnésie. Le leader de Pastef reste fidèle à sa réputation de pourfendeur impitoyable des institutions de la République. Rappelons que dès son accession au pouvoir, il avait déclaré, à la stupéfaction générale, avoir un projet d’épurer la Justice de fond en comble. Car, selon lui, il y a de très bons magistrats, c’est-à-dire ceux qui savent prendre des décisions qui lui sont favorables, et, à l’opposé, des magistrats venimeux et corrompus, qui ne demandent que des maisons et privilèges pour faire tout ce qu’on leur demande. On peut citer des exemples à l’infini, pour montrer que toutes les institutions de ce pays ont été victimes des attaques intempestives de Ousmane Sonko.
Défier la Justice a toujours été le modus operandi de l’actuel Premier ministre. Combien de fois a-t-il refusé de se présenter devant les juges pour répondre de ses actes ? Son argument, on le sait, était très simple : son sort était déjà scellé, puisque les magistrats n’étaient là que pour dérouler un projet funeste visant à anéantir son ambition présidentielle. Nous devons à la vérité de dire que le procès en diffamation qui l’a opposé à Mame Mbaye Niang est l’œuvre de ses propres turpitudes. En 2022, il avait déclaré proprio motu, devant le monde entier, être capable de prouver que l’ancien ministre de la Jeunesse, comme tous les prédateurs financiers du tyran Macky Sall, s’est gavé de deniers publics. A défaut de preuves pour étayer ses accusations, il décida de transformer ses procès en champs de bataille, causant ainsi la mort de plusieurs de nos concitoyens. L’irresponsabilité -qui consiste à se dire que c’est toujours la faute des autres, que l’on n’est jamais responsable de ses incartades- a toujours caractérisé sa manière de faire la politique.
Quand le Premier ministre parle, désormais, nous devons nous demander : laquelle de ses nombreuses casquettes est-elle en exercice ? Il faut dire que c’est une confusion qu’il a savamment orchestrée, pour continuer de torpiller impunément nos institutions républicaines. Lors de la campagne électorale pour les dernières Législatives, il s’était attaqué à la Justice sous prétexte que c’était le candidat, et non le Premier ministre, qui demandait Justice. Même son de cloche quand la Cour suprême lui administre récemment une retentissante déconfiture judiciaire : c’est le citoyen Ousmane Sonko, et non le chef du gouvernement, qui, horripilé par une décision de Justice injuste, s’indigne ouvertement, en arguant que c’est une énième forfaiture dirigée par des «magistrats corrompus» contre lui. Une question de bon sens s’impose : quel simple citoyen peut traiter les juges de tous ces maux d’Israël sans se retrouver en prison, ou sans recevoir la foudre de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums) ? Aucun ! C’est donc la «culture de la non-distinction» qui s’impose : le Premier ministre porte la voix du Sénégal ; il n’est pas libre de ses actes, ni de ses mots, ni de ses foucades. Car toute institution porte en elle un stock de connaissances, c’est-à-dire un ensemble de prescriptions, qui encadre les comportements de tout citoyen ayant la chance de la servir temporairement -en démocratie, bien sûr.
Au moment où l’Etat est confronté à d’énormes défis budgétaires et même sécuritaires (les terroristes sont à un jet de pierre de nos frontières), où les urgences sont partout, notre foudre de guerre, lui, continue de se comporter comme un opposant, avec une irresponsabilité qui doit susciter toutes les inquiétudes. Une question, peut-être impie, me vient à l’esprit : quand est-ce que le Premier ministre Ousmane Sonko, celui qui définit dorénavant la politique de la Nation, se mettra sérieusement au travail, dans le silence et la solitude, pour nous dépêtrer de cette mauvaise ambiance économique ?
Par Baba DIENG