Cette première édition parisienne de la Foire 1-54 résulte d’un concours de circonstances lié à la pandémie du Covid-19. Face aux difficultés de voyager à l’extérieur de l’Union européenne, l’édition 2021 de Marrakech, qui devait se tenir en février, a finalement été reportée. Touria El Glaoui, fondatrice de la foire, a saisi cette opportunité pour bouleverser le calendrier en s’associant à Christie’s afin d’organiser une nouvelle foire, physique, à Paris et en virtuel sur la plateforme Artsy, et ce jusqu’au 30 janvier. La décision prise en décembre, il a fallu faire très vite pour tout préparer. Et retenir son souffle. Jusqu’au dernier moment, l’incertitude a pesé. La décision du gouvernement d’opter pour un couvre-feu à 18 heures sur tout le territoire, repoussant momentanément l’ombre du confinement, a permis à la Foire 1-54 de se tenir en physique à Paris. Toutes les mesures sanitaires ont été déployées, dont un système de billetterie par créneaux horaires, du désinfectant pour les mains, des dispositifs mains libres et un contrôle permanent de la capacité des lieux.

Un sort différencié pour les galeries
Dix-neuf galeries ont participé. Parmi les exposants, on retrouve des habitués des rendez-vous de Londres, Marra­kech et New York, et notamment les galeries Magnin A, Nathalie Obadia, Anne de Villepoix, Eric Dupont ou la plus jeune Nil Gallery. Quelques-unes ont pu venir d’Afrique, comme la galerie Cécile Fakhoury (Côte d’Ivoire et Dakar), Loft Art Gallery (Casablanca), THK (Le Cap) ou This is not a white Cube (Luanda). D’autres ont dû renoncer à cause des restrictions de voyage à l’international. Enfin, certaines galeries européennes ou parisiennes, comme les galeries Lelong & Co, Septiè­me, 31 Projects, ou Wilde, ont profité de l’opportunité pour présenter des artistes africains ou de la diaspora qu’ils défendent.
Depuis Art Paris en septembre dernier, aucun événement n’a eu lieu dans la capitale française. On sent une certaine effervescence et un réel plaisir de la part des exposants et des amateurs d’art de se retrouver. Bien sûr chacun de son côté, depuis le début de la pandémie, a appris à se réorganiser et à cultiver sa partie digitale. «Les collectionneurs achètent toujours et certains prennent le temps de découvrir d’autres artistes», glisse une exposante. Pour certains, comme la galerie suisse Wilde, l’année a même été la meilleure depuis trente ans ! Pour d’autres, comme Nil Gallery qui privilégiait les grandes foires d’art contemporain, à Hongkong, Miami ou Londres, il a fallu revoir le business model.

Des défis à relever
Tenir un stand à Paris a demandé à Yasmine Berrada, directrice de Loft Art Gallery (Casablanca), de relever un certain nombre de défis. Compte tenu des difficultés pour voyager, elle a d’abord dû trouver une personne de confiance qui puisse la représenter à Paris. Puis passer outre le fait que les œuvres de Joana Chamouli, une artiste ivoirienne qui mixte la photographie et la broderie, soient restées bloquées en douane. «C’est la première fois que cela nous arrive, des toiles qui restent bloquées en douane», relate aussi Cécile Fakoury, une autre galeriste.
Pas d’inquiétude pour autant. La foire a réussi à réunir foison de belles pièces. Dès l’entrée, une vespa avec ses grandes amphores de l’artiste Romuald Hazoumé invite à la visite. Chez Nathalie Obadia, Nu Bareto interpelle avec un drapeau américain aux couleurs de l’Afrique et un titre plein d’humour «Bailleurs Pro-Fonds (Etats Désunis d’Afrique)». Malgré ses mésaventures, Loft Art Gallery a pu afficher une belle série de portraits décalés du photographe Mous Lamrabat et celle d’un autre photographe, N’hammet Kilito. Et les visiteurs ont tout de même pu découvrir d’autres œuvres de Joana Chamouli, présentées par la galerie 1957.

L’histoire interrogée, la mémoire aussi
Impossible de passer à côté de Roméo Mivekannin présenté chez Cécile Fakhoury et Eric Dupont. Ses peintures inspirées des œuvres classiques de la peinture européenne ou des photographies de la période coloniale interrogent l’histoire. Sur des draps anciens, cousus et trempés dans un élixir, il réinterprète l’histoire, se dessine lui-même, comme sur l’impressionnant et gigantesque «Radeau de la méduse» de Géricault revisité, où les visages des naufragés sont des autoportraits.
La mémoire et l’histoire, la place de l’homme noir sont aussi questionnées par d’autres artistes, comme Noel Anderson, Afro-Américain, qui réalise des tableaux en tapisserie à partir d’images d’archives faisant le parallèle entre les compétitions sportives et la lutte pour les droits civiques. Kelani Abass, artiste nigérian, travaille lui aussi sur la mémoire. Ses petites constructions mêlent d’anciennes photographies, des tampons, des lettres d’imprimerie, des objets puisés dans l’imprimerie de son père.
Bien connu pour ses grandes aquarelles, Barthélemy Toguo interroge aussi l’histoire en mixant malicieusement portrait et cartes postales de l’époque coloniale.

La pandémie évoquée
Les artistes s’emparent aussi de l’actualité, de cette pandémie qui bouleverse le quotidien, comme Didier Viodé qui réalise une série d’autoportraits durant le confinement, avec l’expression de tous les sentiments qui nous traversent, inquiétude, fatigue ou perplexité. Barthélemy Toguo, lui, ajuste des masques à ses portraits d’animaux. De nombreuses œuvres présentées ont été créées durant cette année si particulière, comme la série Hero, des peintures débordantes de couleur de l’Angolais Christiano Mangovo. Cette visite parisienne de la Foire 1-54 ressemble à un grand bol d’air. Une pause dans un hiver gris.
Le Point