Le Peuple américain a eu 4 ans pour y réfléchir, et le 45e Président est maintenant le 47e. Cette fois, Donald Trump a emmené avec lui des amis puissants, qui sont bien décidés à doubler la mise sur le programme Maga.

Je dois admettre qu’il a été assez difficile de trouver un point de départ pour cette chronique. En effet, si la victoire de Donald Trump en 2016 a fait l’effet d’un choc au système, ce qui s’est passé le 5 novembre 2024 m’est apparu comme la suite logique de la saga politique américaine. Il existe de nombreuses craintes légitimes quant à ce que signifierait une seconde Présidence Trump, et alors qu’il serait facile de faire de cet essai uniquement sur le new-yorkais qui a été deux fois empêché, un examen beaucoup plus sérieux de la politique américaine s’impose à nous. Avant de faire des pronostics sur l’avenir de l’Amérique sous Trump, je propose que nous revenions sur la façon dont la Nation la plus puissante du monde en est arrivée là.

A moins d’avoir vécu toute votre vie dans une monarchie totale, vous avez très souvent entendu le refrain selon lequel les hommes politiques sont corrompus, mais vous n’avez peut-être pas consacré suffisamment de temps à la question de savoir comment cette corruption supposée se produit exactement. Aux Etats-Unis, toute analyse de la politique qui ne commencerait pas par les lois sur le financement des campagnes serait totalement dépourvue de contexte. Cela reviendrait à parler d’incendies sans mentionner les flammes. A cet égard, l’incendie qui semble aujourd’hui consumer Wa­shing­ton Dc a été déclenché par la légalisation du lobbying politique anonyme dans l’affaire Citizens United v. Commission électorale fédérale à la Cour suprême en 2010.

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Cette décision judiciaire en faveur d’un groupe financé par quelques milliardaires, Citizens United, a essentiellement permis à des intérêts particuliers de corrompre légalement les élus au Congrès américain. Il n’est pas surprenant qu’elle ait créé les circonstances idéales pour une législation qui ignore de plus en plus les souhaits du Peuple en faveur des grandes fortunes qui versent des sommes incalculables dans les fonds de campagne des législateurs. Les réductions drastiques dans le budget de la sécurité sociale, de l’éducation publique, des infrastructures et des soins de santé, qui se sont matérialisées par un sursis fiscal pour 1% d’Américains les plus riches, en sont un exemple. A cela s’ajoutent les déréglementations du secteur professionnel qui ont supprimé la protection des travailleurs pour les Américains ordinaires. Avec la normalisation de ce qui est considéré comme de la corruption dans la plupart des pays du monde, nous sommes arrivés à un point où des gens, comme le magnat de la technologie Elon Musk, ont décidé de se débarrasser de tous les prétextes et de diriger directement le gouvernement pour lequel ils ont «payé». Le retour sur investissement commence d’ailleurs très bien, puisque l’héritier de mines d’émeraude a ajouté près de $200 milliards à sa fortune en quelques mois seulement après l’arrivée de Trump au pouvoir.

En effet, le milliardaire sud-africain s’est imposé comme une figure centrale de l’Administration Trump en créant un département censé améliorer l’efficacité du gouvernement. Au lieu de cela, ce qu’il a fait, c’est réduire le financement de la sécurité de l’aviation et du contrôle aérien parce que l’une de ses entreprises, «SpaceX», faisait l’objet d’une enquête, et il a réussi à faire en sorte que le Président des Etats-Unis licencie le personnel qui intentait un procès contre sa principale entreprise, «Tesla», pour pratiques de travail illégales et violations de la sécurité des travailleurs. Il est également important de noter que Musk a également engrangé des contrats gouvernementaux à hauteur de dizaines de milliards, ce qui fait du contribuable américain la plus grande source de revenus de ses entreprises. Mais malgré ces irrégularités évidentes, rien ne nous aurait préparés aux scènes choquantes de Musk, un non-élu, dans le bureau ovale, en train de tenir cour avec la presse nationale et internationale, alors que le Président dûment élu des Etats-Unis était assis juste là, apparemment impuissant ou peut-être totalement d’accord avec cette usurpation de pouvoir.

Musk s’adressant aux médias dans le Bureau présidentiel © CNN

Une question récurrente que me posent les amis qui observent cette folie depuis l’étranger est la suivante : «Pourquoi les Américains acceptent-ils cela ?» Je concède que je n’ai pas de réponse globale à cette question, mais plusieurs facteurs peuvent nous aider à mieux comprendre.
Même s’il existe plusieurs organisations politiques plus petites, comme le parti vert et le parti libertaire, l’Amérique fonctionne essentiellement comme un système à deux partis. En fait, la triste réalité est que les Américains ont vraiment le choix entre un parti de Centre-droite avec le parti démocrate et un parti d’Extrême-droite avec le parti républicain. Avec ce déséquilibre malsain dans la représentation politique, la question de la participation revient au centre du discours lors de chaque cycle électoral, car il n’y a pratiquement aucun lien entre les gens ordinaires et ceux qui sont censés se battre pour eux au Congrès. A l’état actuel des choses, la plupart des législateurs ne représentent pas les souhaits de leurs électeurs, et ils ont créé un système qui les met à l’abri de la responsabilité de leurs propres concitoyens. En conséquence, une grande partie de l’Amérique a progressivement, mais complètement perdu confiance dans le processus politique, choisissant plutôt de se concentrer sur le coût de la vie qui ne cesse d’augmenter dans ce pays. Les plus cyniques d’entre nous diraient que c’était peut-être le but recherché par les «élites politiques», mais on peut affirmer sans risque de se tromper qu’aucune démocratie ne peut prospérer longtemps dans de telles circonstances.

Le déclin et la disparition quasi complète de la presse libre constituent un autre facteur important de ce rêve fiévreux que vivent les Etats-Unis. Il est loin le temps où les médias étaient détenus par des particuliers ou des familles qui défendaient les principes du journalisme à travers plusieurs générations. Il en va de même pour les stations locales et les journaux qui relataient les événements d’une région donnée tout en générant suffisamment de revenus pour assurer leur survie. Aujourd’hui, presque tous les médias ont été rachetés par des sociétés géantes dont les actionnaires ne cachent pas leurs opinions politiques et leur volonté d’utiliser leur bras médiatique pour soutenir ces opinions, même si cela implique de déformer la vérité ou de l’omettre purement et simplement. Comme le disait récemment un de mes amis en plaisantant, «à ce stade, tout acte de vrai journalisme qui se produit dans les grands médias américains n’est qu’une coïncidence». L’exemple le plus frappant reste certainement la chaîne Fox News, propriété de Rupert Murdoch. En 2020, elle était de loin la chaîne d’information la plus regardée et présentait régulièrement Donald Trump, alors au pouvoir, dans plusieurs de ses émissions phares. C’est cette même chaîne qui a fait circuler à ses millions de téléspectateurs, le mensonge selon lequel l’élection présidentielle avait été truquée en faveur de Joe Biden et que Donald Trump était le vainqueur légitime. Ce mensonge a entraîné des conséquences catastrophiques puisqu’il a déclenché de multiples explosions de violence dont l’insurrection du 6 janvier, qui a fait plusieurs victimes.

Bien qu’elle ait été contrainte de verser à la société qu’elle accusait d’avoir truqué les machines à voter, près de 800 millions de dollars de dommages et intérêts pour avoir sciemment répandu des mensonges sur le processus de vote, la chaîne du milliardaire australien reste la chaîne d’information câblée la plus regardée aux Etats-Unis et celle à laquelle les Conservateurs font le plus confiance.

Les partisans de Trump envahissent violemment le Capitole © Reuters

Depuis sa création, l’Amérique n’a pas pu échapper à la question de la race. Lors de la dernière élection présidentielle, l’éléphant dans la pièce était bien sûr l’identité de Harris en tant que femme et en tant que personne d’origine noire et asiatique. Pendant trop longtemps, les Démocrates ont été trop dépendants du vote des minorités non blanches, se targuant d’être le parti de la diversité et de l’ouverture culturelle, mais leurs détracteurs diraient que leur rhétorique et leurs promesses de campagne ne correspondent pas tout à fait à leur gouvernance réelle. Depuis le mouvement des droits civiques des années 1960, les groupes minoritaires aux Etats-Unis ont toujours voté pour le parti démocrate, principalement en raison du racisme non voilé que le parti républicain laisse régner dans ses rangs. Toutefois, il semble que cette coalition multiethnique ne suffise plus au vu des résultats des dernières élections. Cela est d’autant plus vrai que de nombreuses personnes de couleur sont de plus en plus désenchantées par un parti démocrate qu’elles considèrent comme trop soumis à ses mécènes aux poches profondes. Un exemple flagrant est le refus du parti démocrate d’autoriser tout orateur musulman ou arabe à prendre la parole lors de sa convention générale, de peur qu’il n’attire trop l’attention sur ce qui a été largement décrit comme un génocide à Gaza et sur la responsabilité des Etats-Unis dans ce génocide.

A l’opposé, Trump et le parti républicain sont plus qu’enthousiastes à l’idée d’aborder ces sujets de division. Ils prêchent constamment à leur base que les responsables de leurs difficultés économiques sont les immigrés qui prennent les emplois et les ressources qui étaient destinés aux «vrais» Américains. Ce type de rhétorique n’est bien sûr pas nouveau, mais il est très efficace à un moment où la récession menace et où le parti d’opposition craint trop de faire campagne contre les barons industriels comme Musk dont l’ingérence exacerbe les inégalités en Amérique.

Cette élection et le chaos qu’elle a entraîné ont pu en surprendre plus d’un, mais, comme je l’ai déjà écrit, un rapide coup d’œil à l’histoire américaine révélerait qu’elle est tout à fait conforme à la manière dont le pays a réagi aux changements sociétaux dans le passé. Très souvent, les frustrations suscitées par les élections américaines se résument au choix du «moindre mal», et cette fois-ci, il semble que les électeurs aient décidé que nous pouvions tous aller en enfer.

Dema SANE
Bayonne, NJ