D’Europe 1 à Rfi-France 24, en passant par une bonne partie de la presse écrite, le tout largement relayé par des sites internet dédiés ou non, les médias français s’en donnent à cœur joie sur le report de l’élection présidentielle au Sénégal ; avec une telle frénésie d’ailleurs, que même des mots, quelque peu tabous pour eux et, à vrai dire, démodés, comme «França­frique», «pré-carré», y sont convoqués à tout-va. Ceci, après que le Quai d’Orsay, quasiment pour la première fois de toute l’histoire politique de notre pays, a pris une position tranchée contre une décision de nature si éminemment politique d’un pouvoir en place chez nous, et réclamé la tenue de l’élection présidentielle à date ; ce, juste après l’annonce par le Président Macky Sall de l’abrogation du décret fixant la date du 25 février 2024 pour sa tenue. Elle n’a même pas attendu le vote de la loi, prévu pour le lendemain seulement.

Face à des options politiques ou décisions gouvernementales contestées de son ancienne colonie chouchou, la France s’était toujours réfugiée derrière une langue de bois d’ébène, quand elle n’était pas, de façon nette ou nuancée, en parfait accord avec les gouvernants.

Avec la complexité de la situation ayant découlé de cette décision, elle-même partie d’une affaire inédite ou d’affaires toutes inédites chez nous, la moindre prudence n’a été observée par un pays étroitement lié au nôtre, et dont le moindre cillement de ses officiels, même de second rang, sur ce qui se passe chez nous, est scruté et interprété dans tous les sens, souvent de façon subjective, parfois irrationnelle ! Aujourd’hui plus que jamais, quand, touchée-coulée sur le plan géopolitique par… Wagner, des «mercenaires» qu’ils disent, elle cherche à quoi s’agripper pour surnager.

Cette affaire m’interpelle pour deux raisons : l’une relevant de la situation globalement inconfortable de l’ancienne puissance coloniale en Afrique de l’Ouest francophone, où les fondations-mêmes de sa politique s’effondrent pilier après pilier, et de façon accélérée ; l’autre partant de ses relations étroites avec notre pays dont une des manifestations -qui, me semble-t-il, est passée inaperçue aux yeux des observateurs- est directement liée à ce report de l’élection présidentielle. Il s’agit de ce décret portant déchéance de la nationalité française pour Karim Wade.

Thierno Alassane Sall (TAS -dont je n’oserai pas dire, ici, que «moo tas jang yi», étant en train de démontrer que non), qui avait saisi le Conseil constitutionnel sur la nationalité sénégalaise non exclusive de Karim Wade, semblait bien en peine d’en apporter la preuve. Le Conseil constitutionnel, pour sa part, qui avait déjà enregistré et validé la déclaration sur l’honneur de Karim Wade, n’a pas vocation ni compétence d’enquêteur. Ce décret venu de France n’avait assurément pas pour but de sauver la candidature du fils de Abdoulaye Wade, il ne le pouvait plus. Au cas où il y aurait eu une brèche, Karim serait tombé comme Mme Wardini sous le coup de la loi pour parjure.

On peut spéculer à satiété sur cette affaire, ce coup presque pour rien de la France, sauf qu’il représente la goutte de trop qui a fait déborder le vase vers ce report controversé, pour dire le moins, tient à sa quête fiévreuse de se remettre dans le jeu en Afrique ! A trop bon compte, il me semble.

Elle, qui ne sait plus où elle habite en Afrique, étant en train d’être chassée de partout sous les quolibets -«France dégage !» et autres- cherche à se remettre avec plus de confort autour de la table du poker géopolitique africain.
Seulement, elle le fait avec une frénésie parfaitement improductive. Comme dernièrement après le coup d’Etat militaire au Niger, avec les mouvements de menton du Président Macron. On a vu comment cela s’est terminé, la France est allée à Canossa face aux putschistes.

Marianne devrait prendre acte que les temps ont changé, peut-être prendre du recul, réfléchir plus longuement à comment se trouver une nouvelle place autour de la table.

Abdoulaye Wade, politicien hors classe et juriste chevronné, coach et principale ligne de défense de son fils, lucide, lui -et ce soit dit en passant- a choisi cette belle confusion pour remettre son parti dans un jeu dont il avait été exclu, tout en faisant oublier, dans le brouhaha généralisé, le parjure de fiston. Et ça, ça va être absorbé, dissout dans le dialogue prévu auquel son parti va bien entendu jouer des premiers rôles, la très rapide remise en liberté de Mme Rose Wardini l’augure parfaitement.

Macky, lui, et son parti, boivent du petit lait.
Si la France de Macron dont on dit qu’elle ne lui a jamais pardonné d’avoir ouvert sa porte à Marine Le Pen -principale menace pour Macron à l’horizon-, a jeté ce pavé dans la mare, pensant ainsi sauver l’élection par la réhabilitation de Karim, et jouer donc, par ricochet, la carte d’une opposition donnée favorite, eh bien, c’est tout l’effet contraire qui s’est produit …

On verra ce que le pouvoir marron beige et ses alliés feront de l’aubaine. Politiquement s’entend !
Par Papa Samba KANE