La lecture au Quotidien : Cheikh Niang et l’inéluctable quête des cimes

Aujourd’hui, dans la «Lecture du Quotidien», l’ancien ministre Yoro Dia décortique l’ouvrage de l’ambassadeur Cheikh Niang, portant sur les «Réflexions d’un diplomate sur les défis du continent».
La lecture de l’ouvrage Réflexions d’un diplomate sur les défis du continent. La quête des cimes, de l’ambassadeur Cheikh Niang, que je me plais à appeler Grand Thiaroye, a coïncidé avec ma lecture annuelle du classique Le grand échiquier de Brezinski. Coïncidence fort heureuse, parce que l’ambassadeur veut, en effet, donner à notre continent sa véritable place dans le grand échiquier mondial. Pour Brezinski, l’Eurasie est le pivot de l’ordre mondial, mais après avoir lu Cheikh Niang, on ne peut s’empêcher de penser que l’Afrique, séparée de l’Eurasie par la Méditerranée, a tous les atouts naturels et géopolitiques pour être un pivot ou le prolongement du pivot eurasien. Le livre de Cheikh Niang est fort original.
Il est arrivé que nos diplomates prennent la plume, mais souvent c’est pour nous raconter à force d’anecdotes, leur carrière personnelle. L’ouvrage de l’ambassadeur Niang est un traité de géopolitique et de diplomatie qui balise une nouvelle voie, car «l’Afrique ne doit plus être perçue comme une terre d’opportunités, mais comme une force motrice de l’ordre mondial émergent». Pour atteindre cet objectif, l’auteur veut «repositionner l’Afrique pour ne plus être un réceptacle passif, mais un acteur autonome et proactif de la scène mondiale». Pour se repositionner, l’auteur invite le continent à quitter le mur des lamentations et assumer son destin qui n’appartient qu’à lui-même, et non compter sur la bienveillance des partenaires extérieurs.
Il est grand temps de quitter le mur des lamentations, car le fardeau de la souffrance n’est pas «l’apanage» de l’Afrique, et «ces cicatrices historiques qu’ont vécues des peuples, d’autres régions du monde, peuvent façonner les trajectoires de nations concernées». La Chine demeure le meilleur exemple de comment s’appuyer sur des «cicatrices historiques» pour façonner des trajectoires positifs, car elle s’est appuyée sur ce qu’elle appelle le siècle des humiliations occidentales pour fouetter l’orgueil des Chinois et se lancer dans la course vers le développement, et devenir ainsi la 2e puissance mondiale. L’auteur donne aussi les cas de Singapour, qui passe du «Tiers Monde au Premier», du Japon, qui a reçu deux bombes atomiques, et de l’Allemagne, complètement détruite pendant la 2e Guerre mondiale. De même que la Corée du Sud, un des pays les plus pauvres au monde après la guerre, qui est passée du suivisme technologique à innovateur majeur. Le dénominateur commun de ces pays est qu’ils ne se sont pas contentés de rester figés devant le mur des lamentations, mais ont repris l’initiative qui leur a permis de «choisir de se libérer des schémas inhibiteurs hérités de l’Occident» et de tracer une nouvelle voie.
L’auteur est optimiste et pense que l’Afrique doit quitter le mur de lamentations en reprenant l’initiative historique «à travers des réformes structurelles profondes, un leadership éclairé, une diplomatie visionnaire». L’Afrique peut et doit devenir maîtresse de son destin. C’est une conviction profonde de l’ambassadeur, qui ne se contente pas de vœux pieux, mais indique la voie pour atteindre les «cimes», c’est-à-dire permettre au continent, qui a tous les atouts, de se hisser à la hauteur de ses ambitions avec la «quatrième révolution industrielle» qui lui offre un atout formidable.
En lisant ce livre, on comprend pourquoi Niang est l’un de nos meilleurs diplomates ; car à l’image de Kissinger, il est féru d’histoire et nous rappelle que la constante dans les relations entre les grandes puissances et l’Afrique, a toujours été «l’accès aux ressources naturelles et le contrôle géopolitique». Un postulat qui permet de comprendre que le «fardeau de l’homme blanc» (mission civilisatrice) n’était en réalité que prédation, qui est même antérieure à la colonisation, avec l’esclavage, qui a permis de «financer la révolution industrielle». La prédation continue sous des formes beaucoup plus subtiles, car on est passés «de l’ingérence militaire au soft power, notamment les couvertures médiatiques négatives», mais l’objectif reste le même. L’auteur donne en exemple la géométrie variable des droits de l’Homme, toujours sacrifiés à l’autel de la «Realpolitik». «Le sous-développement n’est pas une fatalité mais un défi à relever», nous dit Cheikh Niang, qui invite le continent à se lancer dans «une odyssée libératrice».
L’heure de l’odyssée a sonné, car comme dit Hugo que Niang cite dans sa conclusion, «rien n’est plus fort qu’une idée dont l’heure est venue». Et rien qu’un regard sur la carte montre un continent qui s’ouvre sur deux océans et une mer au Nord avec d’immenses ressources, des terres arables, une population essentiellement jeune, ce qui justifie amplement l’optimisme de l’ambassadeur, qui nous invite à la quête des cimes. Et comme dit Nietzsche, que cite l’auteur à la première page, «qui veut gravir des cimes, trouve des sentiers». Aujourd’hui, il est évident que l’Afrique a plus que la volonté de gravir les cimes, à cause de la frustration permanente entre le potentiel du continent et son état lamentable. Cheikh Niang, dans cette quête des cimes, propose des sentiers très intéressants car n’étant pas simplement des vœux pieux ou des incantations, mais une véritable «odyssée libératrice» pour notre grand continent.
La carrière du diplomate Cheikh Niang, Représentant permanent du Sénégal à l’Onu, ambassadeur du Sénégal aux Etats-Unis, ambassadeur au Japon, en Afrique du Sud, a été aussi une «odyssée libératrice» pour beaucoup de jeunes thiaroyois de ma génération, car le fait de le voir à l’époque au Journal télévisé, en noir et blanc, à côté du Président Abdou Diouf, nous avait convaincus que si Grand Cheikh, issu de Thiaroye comme nous, avait réussi à se hisser au sommet, malgré les «contraintes initiales», nous devrions suivre son exemple au lieu de rester figés devant le mur des lamentations, pleurnichant sur le fait de ne pas avoir de «bras longs».
Par Dr Yoro DIA, Politologue, Ancien Ministre