La rencontre entre le Président américain Donald Trump et son homologue russe, Vladimir Poutine, en Alaska hier, pour discuter de questions majeures, notamment de la guerre russo-ukrainienne, offre l’occasion de s’arrêter cette semaine sur l’excellente lecture de «Le Mage du Kremlin», écrit par Giuliano da Empoli. Ce livre, paru en 2022, a été récompensé du Grand Prix du roman de l’Académie française.

L’ouvrage est un récit de vie mettant au centre Vadim Baranov, qu’on présente comme un idéologue, un maître à penser et un spin doctor au service exclusif du pouvoir russe. Le personnage de Baranov est inspiré d’un ancien conseiller très puissant et influent de Vladimir Poutine du nom de Vladislav Sourkov. Ce producteur audiovisuel et metteur en scène aura longtemps été considéré comme un des cerveaux du Président russe. Il quittera son cercle restreint en 2021.

La lecture au Quotidien : Cheikh Niang et l’inéluctable quête des cimes

Le personnage qu’il inspire dans le roman de Empoli, permet une plongée dans les coulisses du pouvoir russe, en comprenant la façon de penser du patron du Kremlin, les dynamiques entretenues avec les oligarques, la gestion de la défense d’un pays comme la Russie et la stratégie mise en œuvre pour assurer un rayonnement international. Continuer à compter sur le plan diplomatique avec une défense expéditive et le recours à des figures-clés comme des patrons de sociétés militaires privées, voilà un exemple de stratégie que le Kremlin déploie avec son patron et que Empoli essaie de bien détailler dans son roman. Il y accorde librement la parole à des protagonistes comme l’ancien patron de Wagner, Evgueni Prigojine, donnant des étincelles à l’ouvrage et des dialogues dont on sort marqué par leur cynisme et l’objectif ultime de maintenir un pouvoir. Les mécanismes de propagande, la stratégie de contrôle de l’information, le processus de désinformation que mettent en place les pouvoirs politiques, sont abordés à l’aune de la Russie, avec une fabrique en permanence de mythes et une constante création de sens pour assurer une cohésion.

La Lecture au Quotidien : Riad Sattouf et son Arabe du futur

Vadim Baranov tient la main au lecteur et lui fait pénétrer dans les dédales du pouvoir russe dans une grande partie du roman, en détaillant l’ascension du Président Poutine, ainsi que la logique mise en place par tout un système pour consolider son exercice du pouvoir et promouvoir une grandeur de la Russie. Le lecteur sera fasciné par la façon dont y sont présentés les événements contemporains qui se sont produits en Russie, côté coulisse. Des Jeux Olympiques d’hiver de Sotchi à la guerre en Tchétchénie, en passant par les épisodes de tensions avec les puissances occidentales et le naufrage du sous- marin Koursk lors d’un exercice de la Marine russe, chaque événement est vu sous un jour nouveau avec le point de vue de Baranov. La force de «Le Mage du Kremlin» est cette rencontre entre fiction romanesque et analyse politique qu’aura prodiguée de main de maître Empoli. On navigue avec un personnage manifestement désengagé et distant qui, page après page, se révèle être un des piliers majeurs de tout un système. On voit bien que la force d’un prince se mesure à la ténacité et à la sagesse de ses conseillers.

La Lecture au Quotidien : Howard French et l’âge d’or africain

Enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris, on peut dire que les jours de Giuliano da Empoli comme conseiller du président du Conseil italien, Matteo Renzi, lui ont sans doute facilité la production d’une telle fiction, surtout quand on ajoute à cela sa passion pour la Russie. «Le Mage du Kremlin» est à lire pour une compréhension de la Russie, mais surtout pour cerner les dynamiques des hommes de pouvoir et leurs éminences de l’ombre.

Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn