La levée temporaire des brevets sur les vaccins anti-Covid est salutaire mais insuffisante pour rendre le vaccin plus accessible dans le court terme

L’annonce du Président américain, Joe Biden, sur la levée temporaire des brevets sur les vaccins anti-Covid est une annonce salutaire parce qu’il y a une urgence mondiale et beaucoup d’argent public a été injecté dans la recherche de ces vaccins. Rien que pour les Etas Unis d’Amérique, la facture s’élève à 18 milliards de dollars. Beaucoup de pays, ainsi que l’Organisation mondiale de la santé (Oms) se sont réjouis de cette annonce. Mais, je ne pense pas que cette mesure soit suffisante pour rendre le vaccin plus accessible dans le court terme. En l’occurrence, la levée des brevets sera inéluctablement un long processus, qui soulèvera des obstacles d’ordres juridique, commercial et technique.
Les firmes pharmaceutiques et les autres pays producteurs de vaccin devront être associés au processus, en vue d’éviter d’éventuels conflits de lois. Sur la question, la Fédération internationale de l’industrie pharmaceutique (Ifpma) a déjà exprimé son opposition. Alors, il faut s’attendre à ce qu’elle ait recours aux tribunaux compétents en vue de garder la propriété intellectuelle de ses produits. L’Union européenne est ouverte à la négociation. La France est favorable alors que l’Allemagne est contre. Vous voyez que le débat s’annonce houleux. Il faudra trouver un consensus avec à l’Organisation mondiale du commerce (Omc). Je pense même que le principal obstacle est d’ordre technique. En réalité, la levée du brevet n’est pas suffisante, parce que la connaissance des ingrédients qui composent les vaccins ne permet pas à elle seule de produire les vaccins. En effet, il faut connaître les différentes étapes de fabrication des vaccins, se procurer les différents ingrédients (des centaines de composants) et surtout avoir les moyens industriels de production à disposition. Cela est particulièrement vrai pour les vaccins à RNA messager de Pfizer et Moderna, qui exigent que des températures basses soient respectées dans la chaîne de production.
En vérité, la pénurie des vaccins ne vient pas des brevets mais des capacités de production auxquelles sont confrontés un bon nombre d’Etats. C’est pourquoi je pense que la production sous licence serait plus efficace, en renforçant la collaboration internationale pour le transfert de technologie, avec la mise en place de nouveaux sites de production dans les pays en développement. Encore mieux, il faut que la production sous licence commence avec les pays développés comme la France ou l’Allemagne, qui ont des capacités industrielles de production. Ce qui va permettre de renforcer la stratégie Covax. En d’autres termes, le monde a plus besoin de doses de vaccins que de brevets à l’heure actuelle.
Par ailleurs, les pays africains doivent prendre leur destin en main en matière de santé publique. D’après l’Oms, moins de 2% des vaccins anti-Covid sont administrés en Afrique. Il ne faut en vouloir aux pays développés qui veulent d’abord vacciner leurs populations avant des penser aux autres. Le Président américain avais déclaré : «Protégeons d’abord les Américains, après on essaiera d’aider le reste du monde.» Ces propos sont compréhensibles parce qu’il a été élu pour défendre l’intérêt des Américains. Je ne peux pas comprendre qu’un continent de plus 1 milliard d’habitants et l’un des plus grands consommateurs de vaccins, importe 99% de ses vaccins. C’est vrai que la recherche coûte cher, mais le problème réside surtout dans le manque de volonté politique. L’Afrique peut bien avoir une politique efficace continentale et sous régionale de recherche et de production de vaccins et autres médicaments. C’est à la limite une question de souveraineté. Il en est de même pour les évacuations sanitaires vers les pays du Nord, qui sont toujours importants 60 ans après les indépendances. Il suffit d’avoir une politique nationale ou sous régionale sérieuse d’équipement et d’entretien de quelques hôpitaux pour diminuer ce besoin, parce qu’il existe des professeurs en médecine compétents en Afrique. Même Cuba, un pays sous embargo depuis plusieurs décennies, produit ses vaccins anti-Covid. L’Union africaine a annoncé le 13 avril dernier, un Partenariat pour la fabrication de vaccins africains (Pavm) dans 5 pôles de recherche et de fabrication de vaccins sur le continent. L’objectif de ce programme est de produire 60% de vaccins contre actuellement 1% dans les 20 prochaines années. J’espère que ce projet très ambitieux sera concrétisé, parce qu’on n’en a pas fini avec les maladies infectieuses et il faut s’attendre à d’autres épidémies ou pandémies de type Covid dans le futur.
Dr Abdoulaye Kébé DIA
Médecin
Spécialiste en épidémiologie, santé publique